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samedi 27 mai 2017

Moralisation de la vie politique : le chantier est ouvert

L'une des promesses électorales les plus emblématiques d'Emmanuel Macron est sans doute l'annonce d'une loi de moralisation de la vie politique. Portée par François Bayrou, ministre de la justice, elle devrait être débattue dès le début de la prochaine législature. Elle est, à l'évidence destinée à marquer une rupture, alors que chacun conserve en mémoire une campagne électorale marquée par les affaires, de l'emploi de Pénélope Fillon à celui des filles de Bruno Le Roux.

François Bayrou consulte les associations et notamment Anticor pendant que René Dosière dépose à l'Assemblée deux propositions de loi, l'une constitutionnelle l'autre organique. Il n'est pas du tout certains qu'elles soient débattues, ne serait-ce que parce que leur auteur (PS. Aisne) ne se représente pas aux élections législatives. C'est donc une certaine forme de testament politique pour celui qui, depuis de nombreuses années, fait des propositions pour améliorer la gestion des fonds publics et lutter contre la corruption. C'est aussi un moyen de faire pression sur François Bayrou pour que la loi sur la moralisation de la vie publique soit aussi complète que possible.

Mais qu'entend-on par "moralisation de la vie politique" ? Il s'agit, à dire vrai, d'un concept-valise qui englobe des réformes de nature pénale, financière, fiscale, administrative etc. Certaines réformes ont déjà été mises en oeuvre. La création de la Haute autorité pour la transparence de la vie politique par la loi du 11 octobre 2013 et celle du Procureur de la République financier par celle du 6 décembre 2013 interviennent à la suite de l'affaire Cahuzac. L'institution d'un registre des lobbies par la loi Sapin 2 du 9 décembre 2016, l'interdiction de cumuler une fonction parlementaire et la présidence d'un exécutif local avec la loi du 14 février 2014, tous ces éléments montrent que le dernier quinquennat a marqué des progrès substantiels dans ce domaine. Substantiels certes, mais insuffisants, comme l'ont montré les récents scandales.

Une révision constitutionnelle ?


René Dosière envisage une réforme extrêmement ambitieuse. Il suggère d'abord une révision constitutionnelle portant sur deux dispositions de la Constitution. La première est la modification de l'article 23 al. 2 : la proposition envisage d'interdire aux membres du gouvernement l'exercice de tout mandat "électoral" et non plus seulement "parlementaire". François Hollande avait déjà exigé des ministres le non-cumul avec une fonction exécutive locale, mais cette prohibition ne reposait sur aucun fondement juridique. René Dosière propose d'introduire dans la Constitution une disposition qui a pour but de lutter contre certains conflits d'intérêts.

En même temps, il souhaite supprimer l'alinéa 2 de l'article 56, ce qui revient à supprimer les membres de droit du Conseil constitutionnel. On ne peut que se féliciter d'une telle démarche, même si elle relève d'une notion de "moralisation" pour le moins élargie. En effet, les anciens présidents ne sont pas accusés de corruption ou de conflit d'intérêts. C'est leur présence seule, quelle que soit leur honnêteté personnelle, qui porte atteinte à l'impartialité de l'institution.

Le gouvernement et le Président Macron reprendront ils cette idée ? En tout état de cause, c'est seulement à l'issue des élections législatives qu'ils sauront s'ils disposent d'une majorité suffisante pour voter la révision. Ils devront en effet obtenir le vote en termes identiques de l'Assemblée nationale et du Sénat. Ensuite, c'est une majorité des 3/5è qu'il faudra réunir devant le Congrès pour que la révision soit définitivement adoptée.

Le statut des élus


La proposition de loi organique, quant à elle, porte sur la situation des élus. Bien entendu, et l'on trouve aussi ces dispositions dans les propos de François Bayrou, elle commence par interdire les emplois familiaux, prohibition que tout le monde attendait. Il sera cependant indispensable d'accompagner cette réforme d'une transparence totale dans ce domaine, dans le but de prévenir un détournement du texte qui consisterait à échanger les emplois, sur le thème "je recrute ton fils et tu recrutes ma femme"... De même est-il assez facile d'exiger un casier judiciaire vierge pour tous les candidats à des élections nationales ou locales, ainsi qu'un quitus fiscal pour tous les élus ou une déclaration de patrimoine rédigée par l'ensemble du foyer fiscal. La loi peut aussi, sans trop de difficultés, interdire le cumul d'un mandat parlementaire avec des fonctions de consultation ou l'exercice de la profession d'avocat.

Plus complexe en revanche est la réforme consistant à fiscaliser l'indemnité de représentation et de frais de mandat (IRFM). Rappelons qu'il ne s'agit pas de l'enveloppe destinée à rémunérer les collaborateurs mais de celle affectée, d'une manière générale, aux frais de fonctionnement et de représentation. Sa fiscalisation revient à la considérer comme une rémunération et à l'intégrer au revenu global du parlementaire. Pourquoi pas ? Mais dans ce cas, pourquoi ne pas augmenter l'indemnité parlementaire qui s'apparente déjà à un salaire en supprimant l'IRFM ? Quoi qu'il en soit, sa fiscalisation a au moins l'avantage de permettre au fisc de demander des justificatifs sur son utilisation.

Couplets du caissier. Les Brigands. Jacques Offenbach
Dranem. 1931

Le financement de la vie politique


Les dispositions relatives au financement de la vie politique feront-elles l'objet d'un consensus ? Pour le moment, Emmanuel Macron et François Bayrou n'ont pas évoqué de réforme des micro-partis, alors même qu'il s'agit de structures davantage destinées à recueillir des fonds qu'à représenter des groupes militant pour leurs idées. On sait que l'une des causes du maintien de la candidature Fillon résidait dans le fait qu'il avait fondé un micro-parti vers lequel étaient dirigés les dons. Sa candidature mise en péril par les scandales, il refusait absolument de rendre l'argent aux Républicains s'ils choisissaient un autre candidat.

La proposition Dosière conditionne le financement public des partis politiques à trois conditions : avoir un objet politique, rassembler des militants et soutenir des candidats à toutes les élections, locales et nationales. Une telle mesure semble de nature à exclure de la manne publique les micro-partis, en particulier aux élections présidentielles. Pour les législatives, René Dosière propose de limiter la participation aux groupements ayant présenté au moins cent candidats, ayant déjà obtenu chacun 2,5 % des suffrages, à une précédente élection. Cette disposition vise à empêcher la création de pseudo-partis au moment des élections, objectif que ne parviennent pas à remplir les seuils actuels de cinquante candidats et 1 % de suffrages.

Il est vrai que l'article 4 de la Constitution énonce que "les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage", dispositions qui semblent exclure toute atteinte à la liberté de créer un mouvement politique. Dans une décision du 23 août 2000, le Conseil constitutionnel a pourtant considéré que ne portaient pas atteinte à l'article 4 la loi qui limitait la participation aux élections européennes aux partis représentés par au moins cinq députés ou cinq sénateurs. Les élections au parlement européen se déroulent cependant avec un scrutin de liste marqué par la prééminence des partis dans le choix des candidats. La situation est bien différente aux élections législatives auxquelles chaque citoyen peut être candidat.

La lutte contre la professionnalisation de la vie politique


La disposition la plus délicate de la proposition Dosière, au moins sur le plan constitutionnel, vise à interdire à un parlementaire d'effectuer plus de trois mandats dans la même assemblée. L'objet est d'assurer le renouvellement des générations et de lutter contre la professionnalisation de la vie politique qui conduit les élus à considérer qu'il s'agit d'une véritable carrière destinée à les enrichir.

Derrière ces excellents motifs se cachent de vraies difficultés. Matérielles d'abord, car ces dispositions n'interdisent pas de faire une très longue carrière politique en alternant mandats parlementaires à l'Assemblée et au Sénat, avec peut-être quelques années consacrées à la présidence d'un exécutif local. Constitutionnelles aussi, car le droit d'éligibilité est une liberté publique. Certes, le Président de la République ne peut faire plus de deux mandats successifs. Mais cette contrainte lui est imposée par l'article 6 de la Constitution, dans sa rédaction issue de la révision de 2008. Une contrainte de même nature pesant sur les parlementaires par la voie législative ne bénéficierait pas d'un fondement constitutionnel.  Depuis sa décision du 6 avril 2012, le Conseil constitutionnel affirme ainsi que "la loi ne saurait priver un citoyen du droit d'éligibilité que dans la mesure nécessaire au respect d'égalité devant le suffrage et à la préservation de la liberté de l'électeur".  Il appartiendra donc au Conseil constitutionnel d'apprécier la nécessité d'une telle réforme.

Pour le moment, on constate une certaine convergence entre les propositions Dosière et celles de François Bayrou sur le régime juridique applicable aux parlementaires. En revanche, la question de savoir si les dispositions relatives au financement la vie politique et aux micro-partis seront finalement intégrées à la réforme n'est pas encore résolue. De toute évidence, René Dosière a voulu placer le Président de la République et le nouveau ministre de la justice devant ses responsabilités. Il y est parvenu et il ne fait aucun doute que sa proposition suscitera le débat, même si son auteur n'est plus à l'Assemblée pour la défendre.


2 commentaires:

  1. === CONCILIER MORALE ET POLITIQUE : LE ROCHER DE SISYPHE ===

    Bravo pour avoir mis de la cohérence intellectuelle et juridique dans un indescriptible patchwork médiatico-politique sur un sujet qui se trouve au coeur de la démocratie et de l'état de droit ! Nous ne pouvons que nous réjouir de cette initiative du nouveau président de la République placée dans le peloton de tête de ses priorités. Sans vouloir jouer le rabat-joie, l'histoire contemporaine nous apprend que cette démarche est, quoi qu'il fasse, objectivement grevée de quatre hypothèques.

    1. Une hypothèque normative

    Nous apprenons que le ministre de la Justice vient de lancer des consultations en vue de pouvoir boucler son projet de loi avant les élections législatives. Le résultat ne risque-t-il pas de ne pas être à la hauteur de l'enjeu en débouchant sur une loi communiqué de presse ? L'important étant plus dans l'affichage que dans le contenu de la loi. Nous en avons eu, malheureusement, de nombreux exemples durant le dernier quinquennat.

    2. Une hypothèque exécutivo-législative

    N'est-il pas paradoxal de demander aux principaux destinataires de la future loi (les parlementaires) de se faire Hara Kiri en édictant une loi visant à mieux contrôler leur moralité ? Le risque n'est-il pas que le texte final soit au mieux inoffensif, au pire contournable par divers artifices. Demanderait-on aux membres de la mafia de contribuer à la moralisation de leurs activités ? N'est-ce pas un texte qui devrait passer par l'onction populaire pour prévenir les psychodrames que l'on a connus sur la question du cumul des mandats ?

    3. Une hypothèque institutionnelle

    Nous pourrions nous interroger sur les raisons qui font que ce sont quelques médias (Le Canard enchaîné, Médiapart...) qui ont soulevé les derniers lièvres et non les multiples comités Théodule mis en place pour ce faire ? Quid de la HATVP (dépourvue de réels moyens humains), des commissions de déontologie, des déontologues et autres gadgets ayant proliféré au cours des dernières années ? A quoi ont-ils servi concrètement ?

    4. Une hypothèque judiciaire

    Que dire de la célérité du parquet de Brest qui déclare résolu un problème pour ne pas l'avoir posé ? A cet égard, nous devons féliciter ce reluisant parquet qui déclare moins de 48 heures (dont un jour férié) après les révélations du Palmipède dans l'affaire Richard Ferrand, qu'il ne fera rien. Si l'on voulait démontrer que la CEDH a tapé dans le mille en 2010, on ne s'y serait pas pris autrement pour mettre au grand jour la partialité et la dépendance des procureurs dans notre pays.

    Cette moralisation de la vie politique à marche forcée ne risque-t-elle pas de tourner au fiasco faute de temps et d'approche stratégique ? Emmanuel Macron ne court-il pas le risque d'être pris dans le piège qu'il a lui même armé ? Le traitement politique de l'affaire juridique qu'est l'affaire Ferrand par son fringuant premier ministre n'est pas de bonne augure pour la suite. Affaire à suivre...

    "On ne fait pas de politique avec de la morale, mais on n'en fait pas davantage sans" (André Malraux).

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    1. En complément à mon premier commentaire, j'ajouterai deux remarques qui le précisent.

      - La première portant sur le projet de loi à venir. Nous apprenons que sa présentation en Conseil des ministres est retardée (signe d'une certaine improvisation) et que son titre n'est peut-être pas définitif (suite de l'affaire Ferrand ?) comme le souligne le Palmipède du 31 mai 2017 ("Transparence: les trois projets mitonnés en secret par Bayrou").

      - La seconde portant sur la philosophie générale du projet. Il convient de lire dans le Monde daté du 1er juin 2017 sous la rubrique "Débats et analyses" en page 23 une tribune de l'un de vos confrères de Paris I Panthéon Sorbonne, Paul Cassia. Elle est intitulée :"La future loi ne doit pas servir qu'à éteindre l'incendie". Nous nous en tiendrons seulement à sa conclusion :

      "La future loi de moralisation sera-t-elle une loi d'affichage, instrumentalisée pour éteindre l'incendie des affaires en cours ou un bing bang vers plus d'étanchéité entre les sphères publiques et privées ? A coup sûr, une partie importante du quinquennat est en jeu à travers cette réforme qui ne faisait pas partie de ses priorités".

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