Dans son arrêt du 25 avril 2017, la chambre criminelle de la Cour de cassation confirme l'élargissement du droit au silence et du droit de ne pas s'auto-incriminer à l'ensemble de la procédure pénale. Cette évolution trouve son fondement dans la loi du 27 mai 2014 qui transpose la directive européenne du 22 mai 2012 relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales.
L'auteur du pourvoi Hocine X., a été interpellé sur la voie publique, une arme à la main, et des témoins affirment qu'il a tiré sur M. Z. Au moment de sa garde à vue, il est régulièrement avisé de ses droits et demande l'assistance d'un avocat avec lequel il s'entretient avant sa première audition. Mais sans doute son conseil n'a-t-il pas suffisamment insisté sur les bienfaits du droit au silence, surtout pour les personnes qui ont quelque chose à se reprocher. En effet, avant même cette première audition, alors que les enquêteurs le ramènent en voiture d'une perquisition effectuée chez lui, Hocine X. passe aux aveux. Il leur explique spontanément comment il est entré en possession de l'arme et comment il a accidentellement tiré sur M. Z. Les enquêteurs dressent un procès-verbal de ces déclarations, document qui va constituer l'élément essentiel de la mise en examen de Hocine X pour tentative de meurtre, violences aggravées et infractions à la législation sur les armes. C'est précisément ce procès-verbal dont il demande aujourd'hui l'annulation, invoquant à la fois son droit au silence et son droit à ne pas s'auto-incriminer.
Le droit au silence
Le
droit au silence peut être considéré comme un droit d’importation,
directement inspiré de la procédure accusatoire américaine reposant sur
une stricte égalité entre l'accusation et la défense. Sa justification
est moins évidente dans un système inquisitoire durant lequel
l’enquête préliminaire et l’instruction se font à charge et à décharge. Cette situation explique certainement les difficultés qu'il a rencontrées pour s'implanter durablement dans notre système juridique. Affirmé par la loi Guigou du 15 juin 2000, il disparaît avec la loi du 18 mars 2003 pour revenir avec celle du 14 avril 2011, puis être confirmé et élargi par celle du 27 mai 2014.
Le droit au silence a connu des hauts et des bas, et il ne se serait sans doute pas développé sans la pression constante de la Cour européenne des droits de l'homme. Elle le considère en effet comme un élément du droit au procès équitable depuis l'arrêt Saunders c. Royaume-Uni du 17 décembre 1996. Le Conseil constitutionnel, dans une décision rendue sur QPC le 30 juillet 2010 a également considéré qu'il faisait partie des droits de la défense et s'imposait dès le début de la garde à vue. L'article 63-1 du code de procédure pénale confère donc à la personne placée en garde à vue "le droit, lors des auditions (...) de faire des déclarations, de répondre aux questions posées ou de se taire".
Certes, mais Hocine X. a eu la malencontreuse idée de faire ses aveux en dehors d'une audition. Il peut cependant là encore invoquer la jurisprudence libérale de la Cour européenne des droits de l'homme. Dès l'affaire Allan c. Royaume Uni de 2002, la Cour sanctionne ainsi l'utilisation à charge de confidences faites à un soi-disant co-détenu, en réalité un informateur de la police placé au contact de l'accusé pour obtenir des aveux. Ces confidences qui constituaient l'essentiel de l'accusation ont donc été obtenues contre le gré du requérant et l'utilisation qui en est faite au procès porte atteinte au droit de garder le silence qu'il avait pourtant invoqué. Le cas d'Hocine X. est très proche puisque lui aussi s'est laissé aller à faire des aveux en dehors d'une audition. En l'espèce, il n'a d'ailleurs pas, expressément et de manière non équivoque, renoncé à l'assistance d'un avocat, seul élément qui permettrait de recueillir ses déclarations, même effectuées en dehors d'une audition proprement dite (CEDH, 1er décembre 2009, Ahmet Engin Satir c. Turquie).
Le droit de ne pas s'auto-incriminer est aussi directement inspiré du droit américain, plus exactement du 5è Amendement à la Constitution des Etats-Unis. En tant que tel, il ne figure pas formellement dans le code pénal. Il trouve son origine dans la jurisprudence de la Cour européenne qui, comme le droit au silence, le rattache aux exigences du procès équitable. Consacré par un arrêt du 25 février 1993 Funke c. France, il interdit à l'accusation de recourir à des éléments de preuve obtenus sous la contrainte ou par la ruse. Dans un arrêt très remarqué du 6 mars 2015, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation reprend ce principe et sanctionne pour défaut de loyauté le fait d'avoir sonorisé deux cellules de garde à vue dans lesquelles ont été enfermées des individus soupçonnés d'avoir dévalisé une bijouterie. Or ces enregistrements sont accablants : après avoir reconnu avoir exercé des violences à l'égard d'une cliente du magasin, l'un des deux gardés à vue propose à l'autre de le disculper, moyennant finances. Ces enregistrements considérés comme des éléments de preuve et versés au dossier seront finalement annulés car ils ont conduit les gardés à vue à s'auto-incriminer.
Dans le cas d'Hocine X., l'atteinte au droit à ne pas s'auto-incriminer est la conséquence logique de la violation de son droit au silence. Dès lors qu'il a fait des aveux en dehors d'une audition et alors qu'il n'était pas assisté par son avocat, il s'est nécessairement auto-incriminé.
D'une manière générale, la décision du 25 avril 2017 illustre une tendance de la jurisprudence à prendre en considération non plus les seules auditions mais l'ensemble de la période de garde à vue, et non pas la seule garde à vue mais l'ensemble de la procédure pénale. Appliquant la jurisprudence Bykov c. Russie du 10 mars 2009, la Cour de cassation examine donc l'ensemble de cette procédure.
Le droit au silence a connu des hauts et des bas, et il ne se serait sans doute pas développé sans la pression constante de la Cour européenne des droits de l'homme. Elle le considère en effet comme un élément du droit au procès équitable depuis l'arrêt Saunders c. Royaume-Uni du 17 décembre 1996. Le Conseil constitutionnel, dans une décision rendue sur QPC le 30 juillet 2010 a également considéré qu'il faisait partie des droits de la défense et s'imposait dès le début de la garde à vue. L'article 63-1 du code de procédure pénale confère donc à la personne placée en garde à vue "le droit, lors des auditions (...) de faire des déclarations, de répondre aux questions posées ou de se taire".
Certes, mais Hocine X. a eu la malencontreuse idée de faire ses aveux en dehors d'une audition. Il peut cependant là encore invoquer la jurisprudence libérale de la Cour européenne des droits de l'homme. Dès l'affaire Allan c. Royaume Uni de 2002, la Cour sanctionne ainsi l'utilisation à charge de confidences faites à un soi-disant co-détenu, en réalité un informateur de la police placé au contact de l'accusé pour obtenir des aveux. Ces confidences qui constituaient l'essentiel de l'accusation ont donc été obtenues contre le gré du requérant et l'utilisation qui en est faite au procès porte atteinte au droit de garder le silence qu'il avait pourtant invoqué. Le cas d'Hocine X. est très proche puisque lui aussi s'est laissé aller à faire des aveux en dehors d'une audition. En l'espèce, il n'a d'ailleurs pas, expressément et de manière non équivoque, renoncé à l'assistance d'un avocat, seul élément qui permettrait de recueillir ses déclarations, même effectuées en dehors d'une audition proprement dite (CEDH, 1er décembre 2009, Ahmet Engin Satir c. Turquie).
N'avoue jamais. Guy Mardel. 1965
Le droit de ne pas s'auto-incriminer
Le droit de ne pas s'auto-incriminer est aussi directement inspiré du droit américain, plus exactement du 5è Amendement à la Constitution des Etats-Unis. En tant que tel, il ne figure pas formellement dans le code pénal. Il trouve son origine dans la jurisprudence de la Cour européenne qui, comme le droit au silence, le rattache aux exigences du procès équitable. Consacré par un arrêt du 25 février 1993 Funke c. France, il interdit à l'accusation de recourir à des éléments de preuve obtenus sous la contrainte ou par la ruse. Dans un arrêt très remarqué du 6 mars 2015, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation reprend ce principe et sanctionne pour défaut de loyauté le fait d'avoir sonorisé deux cellules de garde à vue dans lesquelles ont été enfermées des individus soupçonnés d'avoir dévalisé une bijouterie. Or ces enregistrements sont accablants : après avoir reconnu avoir exercé des violences à l'égard d'une cliente du magasin, l'un des deux gardés à vue propose à l'autre de le disculper, moyennant finances. Ces enregistrements considérés comme des éléments de preuve et versés au dossier seront finalement annulés car ils ont conduit les gardés à vue à s'auto-incriminer.
Dans le cas d'Hocine X., l'atteinte au droit à ne pas s'auto-incriminer est la conséquence logique de la violation de son droit au silence. Dès lors qu'il a fait des aveux en dehors d'une audition et alors qu'il n'était pas assisté par son avocat, il s'est nécessairement auto-incriminé.
L'ensemble de la procédure
D'une manière générale, la décision du 25 avril 2017 illustre une tendance de la jurisprudence à prendre en considération non plus les seules auditions mais l'ensemble de la période de garde à vue, et non pas la seule garde à vue mais l'ensemble de la procédure pénale. Appliquant la jurisprudence Bykov c. Russie du 10 mars 2009, la Cour de cassation examine donc l'ensemble de cette procédure.
La
jurisprudence de la Cour européenne considère ainsi que toutes les phases antérieures à la saisine
des juges du fond peuvent être soumises aux règles du procès équitable.
Le célèbre arrêt Salduz c. Turquie du 27 novembre 2008
ne raisonne pas autrement lorsqu'il impose la présence de l'avocat dès
le début de la garde à vue. De la même manière, l'audition comme témoin doit être appréhendée au cas par cas, en fonction des conséquences qu'elle a eu sur la suite de la procédure et sur la situation de la personne mise en cause. Dans l'arrêt Schmid-Laffer c. Suisse du 16 juin 2015, la Cour européenne estime ainsi que l'atteinte au droit au procès équitable n'est pas établie. Lors de sa
première audition comme témoin, la requérante s'était bornée à mentionner qu'elle avait évoqué avec son amant la
disparition de son encombrant mari, mais seulement "pour plaisanter". Ses propos ne permettaient donc pas de l'incriminer directement, en l'absence d'autres preuves. Il est vrai qu'il aurait été un peu délicat, en l'espèce, d'annuler la procédure dans la mesure où l'intéressée avait ensuite fait d'autres aveux circonstanciés, à deux reprises, avant finalement de se rétracter.
Dans l'affaire Hocine X., la Cour de cassation embrasse aussi l'ensemble de la procédure pour apprécier la violation du droit au silence. Il ne fait pas de doute qu'en l'espèce, les aveux spontanés de l'intéressé sont directement à l'origine de sa mise en examen, et qu'il n'avait pas renoncé, de manière non équivoque, à son droit au silence. La sanction pour atteinte au droit au procès équitable n'est donc pas surprenante.
La place de l'aveu
La décision peut susciter le débat. Certains, et notamment ceux qui sont chargés des enquêtes, penseront que l'arrêt les prive de moyens bien utiles pour obtenir des aveux. Qui a oublié, par exemple, que le maréchal des logis chef Abgrall, accompagné d'un collègue, avait obtenu des aveux de Francis Heaulme.. en l'invitant à déjeuner au mess de la Gendarmerie, à la bonne franquette, entre deux auditions ? Le tueur en série avait alors avoué qu'il avait égorgé une aide-soignante, Aline Pérès, "qui avait l'air si gentille". Certes, et on peut comprendre que les forces de police ressentent une certaine frustration à la lecture de l'arrêt.
Mais il repose, avant tout, sur l'idée que l'aveu n'est pas "la reine des preuves" et ne saurait justifier, à lui seul, la mise en examen d'une personne. Il doit s'accompagner d'autres éléments à charge, témoignages, preuves scientifiques, écoutes etc. Cette fois, on ne songe plus à Francis Heaulme mais à Patrick Dils. Lui aussi avait avoué avoir tué les enfants de Montigny-les-Metz après trente-six heures de garde à vue... et son innocence a finalement été démontrée, avec le concours actif des services de police scientifique de la Gendarmerie. La Cour de cassation impose ainsi une extrême prudence dans l'enquête pénale, seul moyen d'éviter les erreurs judiciaires.
Sur le droit au silence et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination : Chap 4, section 1 § 2 du manuel de libertés publiques.
Votre présentation est comme toujours très pédagogique et très lumineuse.
RépondreSupprimerOn ne peut que se féliciter de toutes les nouvelles normes de droit positif et de toutes les jurisprudences de nos plus hautes juridictions (volontairement ou sous la pression de la Cour européenne des droits de l'Homme) renforçant les garanties des droits de la défense et la stricte application des règles du droit à un procès équitable. Encore faut-il que les normes soient tout à fait claires et ne prêtent pas à interprétation ! Encore faut-il que cette récente jurisprudence fasse jurisprudence à tous les sens du terme ! La France a trop l'habitude du grand écart entre principes généreux et mise en oeuvre mesquine. Tout ce qui, en définitive, peut limiter la marge d'appréciation des magistrats est le bienvenu pour réduire au maximum le risque d'erreurs judiciaires. Et, elles sont encore trop nombreuses dans la patrie autoproclamée des droits de l'Homme.
L'avenir n'appartient à personne, comme chacun le sait. Seul l'avenir proche et lointain nous dira si une hirondelle fait ou ne fait pas le printemps en matière de jurisprudence des droits fondamentaux de la défense si souvent bafoués dans les prétoires.