La Cour européenne des droits de l'homme le 6 avril 2017 A. P. Garçon et Nicot c. France, sanctionne le droit français relatif au changement d'identité sexuelle. En subordonnant le changement d'état-civil à la preuve du "caractère irréversible du changement de l'apparence physique", il porte, aux yeux de la Cour, une atteinte excessive à la vie privée des intéressés.
Le sentiment d'appartenir au sexe opposé
Le transsexualisme se définit comme un trouble de l'identité,
le sentiment profond d'appartenir au sexe opposé, malgré un aspect
physique en rapport avec le sexe chromosomique. La personne se sent
victime d'une insupportable erreur de la nature, et ne peut vivre sans
parvenir à une cohérence entre son psychisme et son physique. Elle doit
donc changer de sexe et de prénom dans le registre d'état-civil.
C'est précisément ce qu'ont demandé les requérants aux juges français. Mais leur demande a été rejetée parce qu'ils n'avaient pas engagé les traitements hormonaux et opérations chirurgicales témoignant du "caractère irréversible du changement de l'apparence physique". Si l'on écarte d'emblée la requête présentée par A. P., le premier des requérants, car elle est irrecevable, l'intéressé n'ayant pas épuisé les voies de recours internes, il reste deux recours, ceux de E. Garçon et S. Nicot, qui contestent la jurisprudence française.
La jurisprudence de la Cour de cassation
Celle-ci repose sur deux arrêts de la Cour de cassation intervenus le 13 février 2013. Dans les deux cas, elle confirme la décision des juges du fond qui avaient refusé la modification de l'état-civil des requérants, au motif qu'ils ne produisait pas "la preuve médico-chirurgicale" de leur changement de sexe. Autrement dit, le changement de sexe et de prénom ne peut être prononcé qu'à l'issue de longues années de traitement hormonal et de plusieurs interventions chirurgicales. Cette jurisprudence ne modifie pas de manière substantielle la formulation employée auparavant par un arrêt du 7 juin 2012 qui soumettait le changement d'état-civil à l'ablation des organes reproducteurs.
Ma Loute. Bruno Dumont 2016. Bruno Lavieville et Raph |
Le point d'aboutissement d'une jurisprudence ancienne
Le recours devant la Cour européenne avait toutes les chances d'aboutir. Depuis l'arrêt Rees c. Royaume-Uni du 17 octobre 1986, le juge européen considère que l'identité sexuelle constitue un droit attaché à la vie privée et donc protégé par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. L'affaire Christine Goodwin c. Royaume-Uni du 11 juillet 2002 est un nouveau tournant de la jurisprudence. La Cour oblige en effet les Etats membres à organiser, dans leur droit interne, une procédure de reconnaissance juridique de la conversion sexuelle. Titulaires d'un nouvel état-civil, les intéressés sont aussi titulaires des droits qui lui sont rattachés, y compris le droit au mariage.
Plus récemment, dans un arrêt Schlumpf c. Suisse du 8 janvier 2009, la Cour réalise une dissociation entre les approches physique et psychologique de ce que les médecins qualifient de "syndrome transsexuel". Elle sanctionne en effet le système suisse d'assurance maladie qui imposait un délai trop long avant d'accepter le traitement de conversion sexuelle, sans tenir compte de la situation psychologique de l'intéressé(e). A bien des égards, l'arrêt du 6 avril 2017 n'est donc que le point d'aboutissement d'une évolution engagée depuis bien longtemps.
La présente décision marque ainsi l'abandon définitif du critère de la stérilité, jusqu'alors largement utilisé pour démontrer l'effectivité de la conversion sexuelle. La Cour fait observer que les traitements imposés pour parvenir à un tel résultat sont très lourds et touchent à l'intégrité physique de la personne. Or, selon sa propre jurisprudence, un tel traitement ne peut être prescrit qu'avec le consentement éclairé de la personne (CEDH, 16 février 2016, Soares de Melo c. Portugal). En matière de conversion sexuelle, la Cour considère qu'"un traitement médical n'est pas véritablement consenti, lorsque le fait pour l'intéressé de ne pas s'y plier a pour conséquence de la priver du plein exercice de son droit à l'identité sexuelle". Pour la Cour, les demandeurs se trouvent placés devant un choix impossible : soit subir une opération et un traitement stérilisant, soit renoncer à leur droit à l'identité sexuelle. De cette situation, la Cour déduit l'existence d'une atteinte à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Une preuve à reconstruire
L'arrêt est soigneusement motivé et on doit en déduire que la preuve du syndrome transsexuel par les actes médicaux n'est plus possible. La Cour détruit donc le critère utilisé par les juges parce que les demandeurs se trouvent placés dans une situation impossible. Mais il faut reconnaître que ce sont désormais les juges qui se trouvent placés dans une situation également impossible. Car aucun autre critère n'est sérieusement proposé. Tout au plus la Cour évoque-t-elle le diagnostic psychiatrique permettant de constater la dystrophie de genre, c'est-à-dire le trouble de l'identité sexuelle. Il est certes indispensable, mais doit-il pour autant constituer l'unique critère à la disposition des juges ? Le risque est-il réellement inexistant de voir produire des expertises rapides conduisant à une procédure de changement d'état-civil que le demandeur lui-même pourrait ensuite regretter ?
Surtout, les deux exigences posées par la Cour européenne semblent quelque peu contradictoires dans le cas précis évoqué par l'arrêt d'avril 2017. En effet, la Cour affirme que la stérilisation constitue une atteinte à la vie privée dans la mesure où elle n'est pas réellement consentie. En même temps, le maintien des capacités reproductives de l'intéressé contribue à le maintenir dans une identité sexuelle avec laquelle il déclare ne pas pouvoir vivre. De toute évidence, la relation entre la biologie, la psychologie et le droit demeure marquée par la complexité.
Petite précision législative: la loi du 18 nov 2016 de modernisation de la justice, a assouplit les conditions de changement de sexe. L'article 61-5 du code civil permet d'obtenir la modificatif de l'état civil, lorsqu'il démontre par une réunion suffisante de faits que le sexe inscrit sur son état civil ne correspond pas à celui "dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue".
RépondreSupprimerLe législateur a donc adopté la méthode du faisceau d'indice, et prend désormais en compte du comportement social de la personne. Aucune exigence de certification médicale, ou d'intervention chirurgicale n'est posée.