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vendredi 31 mars 2017

Etat d'urgence : Le juge judiciaire et le contrôle des perquisitions (épisode 2)

Par deux arrêts rendus le 28 mars 2017, la Chambre criminelle de la Cour de cassation affirme une nouvelle fois sa volonté de ne pas laisser au Conseil d'Etat le monopole du contrôle des décisions prises sur le fondement de l'état d'urgence. Dans les deux décisions, la Cour sanctionne les juges du fond qui avaient méconnu l'étendue du contrôle de légalité qu'ils sont désormais autorisés à effectuer sur les actes administratifs ordonnant des perquisitions.

Dans l'affaire Adda X., le préfet a décidé une perquisition dans une épicerie d'Echirolles, car il avait "des raisons sérieuses de penser" que les lieux étaient fréquentés par une personne soupçonnée d'y détenir illégalement des armes et d'entretenir des liens avec des individus radicalisés. Dans l'affaire Semi X., c'est le domicile de l'intéressé qui a été perquisitionné. Dans les deux cas, des poursuites ont été engagées à la suite de ces visites, contre Adda X. pour détention de stupéfiants (dix grammes de cannabis), et contre Semi X. pour détention d'armes de catégorie de C et de stupéfiants. Ces procédures sont donc de droit commun, aucun fait lié à une activité terroriste n'ayant été établi.

Aux termes de l'article 111-5 du code pénal, le juge pénal est compétent pour interpréter un acte administratif, lorsque, de cet examen, "dépend la solution du procès pénal" qui lui est soumis. En l'espèce, les perquisitions ont eu lieu sur le fondement l'article 11-I de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence. Elles sont décidées par un acte administratif du préfet, acte qui s'analyse comme une mesure de police administrative. On sait cependant qu'une perquisition administrative devient judiciaire au moment précis où sont découverts des éléments révélant l'existence d'une infraction. On revient alors dans le droit commun de la procédure pénale, et c'est en contestant cette procédure que les requérants invoquent l'illégalité de la décision de perquisition prise par l'autorité préfectorale. 

L'arrêt de décembre 2016


Depuis l'arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 13 décembre 2016, il est acquis que les juges du fond peuvent apprécier la légalité de la décision de perquisition prise par le préfet. La Cour de cassation adopte alors une interprétation large des dispositions de l'article 111-5 du code pénal. En effet, dans le cas des perquisitions menées sous état d'urgence, "la solution du procès pénal" ne dépend pas de ce contrôle de l'acte administratif, car celui-ci ne fait pas disparaître les infractions découvertes lors de ces perquisitions. La Cour de cassation décide donc d'élargir une jurisprudence qui se limitait, jusqu'à la décision de décembre 2016, à autoriser le juge pénal à apprécier la légalité d'un acte administratif, quand une personne était accusée d'avoir enfreint ses dispositions. Désormais, le contrôle de la légalité de l'acte peut intervenir non seulement quand il conditionne "la solution du procès pénal"mais aussi lorsque  "de la régularité de l'acte dépend celle de la procédure".


Entre deux joints. Robert Charlebois. 1973

Motivation et demande de motifs


Ce second cas de contrôle de légalité est précisément celui qui est mis en oeuvre dans les deux décisions du 28 mars 2017. Dans les deux affaires, la Cour d'appel compétente a sanctionné l'arrêté préfectoral décidant la perquisition au motif qu'il était insuffisamment motivé. Dans l'affaire Adda X., la Cour affirmait ainsi qu'aucun élément factuel ne venait appuyer l'affirmation selon laquelle l'épicerie était fréquentée par un ou plusieurs individus dont le comportement constituerait une menace pour l'ordre public. Dans l'affaire Semi X, l'arrêté préfectoral ne faisait pas apparaître les éléments de nature à justifier l'urgence de la perquisition. Pour les juges d'appel, les arrêtés étaient tous deux "insuffisamment précis pour justifier la contrainte exercée". 

La Cour de cassation sanctionne pourtant ce raisonnement, estimant qu'aucune des deux cours d'appel n'a exercé son contrôle dans sa pleine intensité. Après avoir constaté l'insuffisance des motifs invoqués, elles auraient du demander au préfet les justifications manquantes. Cette lacune conduit ainsi à la cassation des décisions qui seront une nouvelle fois jugées en appel, les juges devant alors demander à l'autorité administrative les motifs de sa décision pour en apprécier ensuite la légalité.

Par ces deux décisions, la Cour de cassation donne aux juges du fond le mode d'emploi de la jurisprudence initiée en décembre 2016. Il leur appartient en effet d'engager le dialogue avec les autorités administratives exactement comme le fait le Conseil d'Etat lorsqu'il apprécie, par exemple, la légalité des assignations à résidence prononcées sur le fondement de l'état d'urgence. Il n'hésite pas, en effet, même en référé, à rouvrir l'instruction et à organiser une audience durant laquelle il va contraindre l'administration à justifier sa décision. 

Dans une ordonnance de référé du 22 janvier 2016, le juge des référés du Conseil d'Etat a ainsi considéré comme trop imprécise une note blanche établie par les services de renseignement et utilisée par le préfet pour justifier une assignation. Il y était mentionné que l'intéressé avait été photographié "à plusieurs reprises" devant l'immeuble de Charlie Hebdo dans les jours qui ont précédé l'attentat. Le juge administratif a donc demandé que lui soient communiqués les clichés pris par les services de renseignement. Il a ensuite constaté que ces éléments étaient parfaitement compatibles avec la défense de l'intéressé qui faisait valoir que sa mère habitait à proximité et il a, en conséquence, suspendu l'arrêté d'assignation à résidence. 

De toute évidence, la Cour de cassation invite les juges du fond à faire preuve du même niveau d'exigence vis-à-vis des autorités administratives chargées de mettre en oeuvre l'état d'urgence. Agissant ainsi, la Cour rappelle implicitement que le juge judiciaire est gardien des libertés individuelles et qu'il est également fondé à intervenir dans un contentieux qui ne saurait relever de la compétence exclusive de la juridiction administrative.


Sur l'état d'urgence   : Chapitre 2 du manuel de libertés publiques sur internet.




1 commentaire:

  1. === ETAT D'URGENCE OU URGENCE D'ETAT ===

    Pour sympathiques (moralement) et brillantes (juridiquement) qu'elle soient, ces deux décisions de la Cour de cassation ne représentent qu'un frêle rempart contre l'arbitraire administratif généré par la prolongation de l'état d'urgence et son cortège de mesures potentiellement attentatoires aux libertés publiques. Elles ne constituent qu'un maigre pis-aller au regard de trois types de dérives institutionnelles.

    - Une dérive des pouvoirs exécutif et législatif :

    A trop agir sous la pression de l'émotion et des médias (lois communiqués de presse), l'exécutif et le législatif se trouvent pris à leur propre piège. Lutter contre l'insécurité sécuritaire suppose de ne pas porter atteinte au socle fondamental des droits élémentaires du citoyen ! Ce qui est tolérable sur une courte période pour des raisons d'imminence de la menace ne l'est plus sur le long terme. Le remède de cheval ne peut avoir qu'un temps sous peine de tuer le cheval.

    Confusion entre urgence et précipitation !

    - Une dérive de la juridiction administrative

    Confier la défense des libertés publiques au Conseil d'état relève de l'aberration juridique. Ceci revient concrètement à couvrir les turpitudes éventuelles de certains fonctionnaires (préfets) par d'autres fonctionnaires (ceux du Palais-Royal qui ne sont pas considérés comme des magistrats). L'affaire se corse lorsque les uns et les autre sont issus de la même promotion de l'ENA. C'est bien connu, c'est de la faute à Voltaire. Nous sommes au coeur de la question de l'indépendance et de l'impartialité de la Justice avec un "J" majuscule.

    Confusion entre fonctionnaire et juge !

    - Une dérive de la juridiction judiciaire

    Il faut bien se rendre compte que, concrètement, le citoyen mal traité par l'administration doit faire le parcours du combattant judiciaire (instance, appel, cassation), temporel (les mois passent lentement), financier (les avocats ne sont pas des philanthropes) pour tenter, avec beaucoup de chance, de revenir à la case départ. Par ailleurs, si nous disposons d'experts de la dentelle juridique à la Cour de cassation, on ne peut pas en dire autant des juridictions de première instance, voire d'appel. Ces dernières tombent souvent dans le pifométrique juridique, pour ne pas dire parfois dans l'incongruité juridique. Les philistins en robe sont légions dans les prétoires.

    Confusion entre juge et juriste !

    "Un des tests de l'autorité est d'identifier un problème avant qu'il ne devienne une urgence" (André Glasgow). Nous en sommes malheureusement encore loin dans notre douce France, doux pays de notre enfance ...

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