Il serait utile qu'un étudiant courageux, et peu intéressé par une carrière politique, consacre une thèse aux "derniers textes", derniers décrets avant la démission d'un Premier ministre, dernières lois votées avant la fin de la législature. On ne doute pas que l'étude serait intéressante.
Parfois, il s'agit de faire adopter des règles contestables au regard des libertés publiques et l'on se souvient qu'avant de quitter Matignon, Manuel Valls avait ainsi adopté le décret du 5 décembre 2016 portant création de l'Inspection pour la justice, institution nouvelle qui a suscité l'irritation des plus hautes autorités de la Cour de cassation. Le plus souvent, l'objet est, de manière plus pragmatique, d'assurer l'avenir personnel de l'auteur du texte ou de ses amis politiques. Souvenons nous de Nicolas Sarkozy a signé le décret du 3 avril 2012 définissant des "conditions particulières d'accès à la profession d'avocat". Il permet aux parlementaires risquant d'être battus aux prochaines élections législatives, ainsi qu'à leurs collaborateurs, de devenir avocat.
Aujourd'hui, c'est le Parlement qui, le 16 février 2017, adopte une loi qui, si l'on en fait une lecture rapide, n'a rien de très choquant. Pour l'essentiel, elle allonge les délais de prescription de l’action publique, de dix à vingt
ans en matière criminelle et de trois à six ans pour les délits de
droit commun. C'est le rôle du Parlement de définir ces délais, et il faut observer que le texte est le fruit d'une proposition de loi émanant de Georges Fenech (LR Rhône) et d'Alain Tourret (RRDP). Le principe était donc d'adopter une loi consensuelle destinées à "moderniser la prescription pénale".
Un fâcheux amendement sénatorial
Si ce n'est qu'après son passage au Sénat, le texte est revenu à l'Assemblée "enrichi" d'un amendement particulièrement étrange déposé par François-Noël Buffet, (LR, Rhône), vice président de la commission des lois et rapporteur du texte au Sénat. Cet amendement a été rédigé, et finalement adopté, en ces termes : " (...) Le délai de prescription de
l'action publique de l'infraction occulte ou dissimulée court à
compter du jour où l'infraction est apparue et a pu être
constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou
l'exercice de l'action publique, sans toutefois que le délai de
prescription puisse excéder douze années révolues pour les
délits et trente années révolues pour les crimes à
compter du jour où l'infraction a été commise". Ces dispositions, contrairement à ce que l'on serait tenté de penser, n'ont pas été introduites après les révélations du Canard Enchaîné sur le PenelopeGate, mais à l'automne 2016. Il n'empêche qu'elles apparaissent fort opportunément, et que l'Assemblée nationale aurait pu les rejeter lors des travaux de la Commission mixte paritaire qui, eux, ont eu lieu après ces révélations. Elle n'en a rien fait, choisissant de faire passer le texte, en dépit de cette mauvaise action juridique.
Le point de départ du délai de prescription
De quoi s'agit-il concrètement ? L'objet de l'amendement est d'écarter la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la prescription en matière d'infraction occulte ou dissimulée. L'infraction occulte est celle qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime ni de l'autorité judiciaire. L'infraction dissimulée est celle dont l'auteur accomplit délibérément des manoeuvres caractérisées destinées à en empêcher la découverte. La Cour de cassation a développé à leur propos une construction prétorienne permettant de faire courir le délai de prescription à partir de la découverte de l'infraction. L'amendement sénatorial pose au contraire comme principe que le délai de prescription a pour point de départ la commission de l'infraction. Le texte peut ainsi s'analyser comme un message adressé aux auteurs d'infractions occultes et dissimulées : cachez vous bien, le temps travaille pour vous.
Dès 1935, la Cour de cassation s'est intéressée aux infractions dissimulées par des manoeuvres caractérisées. En matière d'abus de confiance, elle avait alors considéré que "la dissimulation des agissements marquant le moment de la violation du contrat servant de base à la poursuite retarde le point de départ de la prescription jusqu'au jour où le détournement est apparu et a pu être constaté". Cette jurisprudence a été étendue en 1967 aux abus de bien sociaux, le point de départ de la prescription étant reporté au jour où les agissements délictueux ont pu être constatés dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique. Enfin, la Cour de cassation a, au fil des décisions, généralisé cette règle à toutes les infractions occultes par nature ou clandestines.
Parmi les infractions concernées, figurent les délits financiers et ceux liés à la corruption. Pour ne prendre qu'un exemple, la dissimulation d'un
détournement de fonds publics pendant huit ans justifie le
retard dans le point de départ du délai de prescription à la date de sa découverte. La Chambre criminelle de la Cour de cassation affirme ainsi, dans un arrêt du 2 décembre 2009, que ce retard est particulièrement justifié, dans la mesure où l'auteur de l'infraction cherche à en effacer les traces et ainsi à échapper aux poursuites. Si l'on examine une situation concrète, on s'aperçoit que dans le cas d'un détournement de fonds publics, par exemple un emploi fictif d'une assistante parlementaire, découvert en janvier 2017, les juges ne pourraient remonter que douze ans après les faits, c'est-à-dire en 2005. Or, on se souvient que Penelope Fillon a été collaboratrice parlementaire de son époux de 1998 à 2002, puis du suppléant de ce dernier de 2002 à 2007.
L'article 4 et le Parquet national financier
L'article 4 de la loi ajoute, dans un style d'une joyeuse obscurité que "la présente loi ne peut avoir pour effet de prescrire des infractions
qui, au moment de son entrée en vigueur, avaient valablement donné lieu à
la mise en mouvement ou à l’exercice de l’action publique à une date à
laquelle, en vertu des dispositions législatives alors applicables et
conformément à leur interprétation jurisprudentielle, la prescription
n’était pas acquise". Cette disposition manque, à l'évidence, de clarté. La phase d'enquête par la Procureur national financier sera-t-elle considérée comme "la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique" ? Rien n'est moins certain, car aucun acte de procédure n'avait encore été pris. C'est sans doute la raison pour laquelle, le choix a été fait de privilégier la saisine de trois juges d'instruction, et non pas la citation directe devant le tribunal correctionnel. En continuant son enquête en vue d'une éventuelle citation directe, le Parquet national financier prenait le risque que la promulgation imminente de la loi interdise des poursuites sur la période antérieure à 2005. En ouvrant une instruction avant la promulgation de la loi, il permet aux juges de remonter aux origines de l'affaire.
Comment justifier un tel texte ? Les parlementaires ne voient-ils pas qu'ils risquent fort de donner du grain à moudre à ceux qui évoquent la société de connivence ? Les initiateurs de la loi affirment, pour leur défense, qu'ils tenaient beaucoup à une réforme de la prescription qui, pour une large part, est utile. Ils expliquent qu'il fallait parvenir à un accord avec le Sénat avant le fin de la mandature, au prix de certaines concessions.. L'argument a du mal à convaincre. D'une part, on a observé une très grande discrétion aussi bien du ministre de la justice que de la majorité de l'Assemblée nationale après que l'amendement litigieux ait été introduit dans le texte. Personne n'a réellement protesté et l'amendement a suivi tranquillement son chemin parlementaire. D 'autre part, et cette fois, la critique porte sur le fond, doit-on tout accepter pour faire un passer une loi ? En l'espèce, les délais de prescriptions sont allongés pour les crimes et les délits de droit commun, et en pratique considérablement raccourcis pour la délinquance en col blanc. N'aurait-il pas été préférable de risquer l'échec plutôt que d'apparaître comme les fossoyeurs de l'égalité devant la loi ? Une question que les électeurs ne manqueront pas de se poser.
Analyse pointue et distrayante à la fois de ces "petits arrangements entre amis", qui font certes les délices du Palmipède, mais signent la marque "France", au plus mauvais sens du terme. Ils disqualifient la "patrie des droits de l'homme", en général et la classe politique, en particulier. Au-delà de la phase du diagnostic, quel pourrait être le remède efficace pour lutter contre des dérives ?
RépondreSupprimer1. Un diagnostic incontournable : les coups de canif à l'état de droit
Cette délicieuse histoire à épisodes illustre la régularité du problème, à la veille de changements à la tête de l'exécutif. Il porte, en définitive, sur la difficulté qui s'attache au contrôle de la qualité du travail législatif. Quand ? Comment ? Par qui en raison de la séparation des pouvoirs ? Cette question est rarement évoquée tant elle est sensible. Il est vrai que nos honorables parlementaires ne sont pas des experts reconnus en matière de machines à laver sauf pour les spécimens chargés de blanchir leurs propres turpitudes.
L'analyse ne vaut que si elle sert l'action.
2. Un remède indispensable : traiter le mal à la racine
Vouloir et pouvoir trouver une solution à ce problème suppose de régler la question plus épineuse de la relation existant entre le peuple et ses représentants. Lequel des deux doit avoir le dernier mot. On connait, depuis l'échec du referendum sur le projet de traité constitutionnel européen, les préventions de nos dirigeants à recourir à ce mode de règlement des conflits institutionnels. On peut et doit se poser une question simple : à quoi sert d'avoir créé des postes de déontologues dans les deux assemblées si leur rôle se limite au seul contrôle des agissements personnels des parlementaires (lutte contre la fraude fiscale, les emplois fictifs ?, le sexisme et le machisme ambiant...). Ne devrait-on pas imaginer la création d'un déontologue en charge du contrôle des agissements collectifs comme celui que vous évoquez dans votre post. Il devrait s'agir d'une structure légère comportant des universitaires, des chercheurs, des juristes, des citoyens (toujours pleins de bon sens)... à l'exclusion des parlementaires et des fonctionnaires du SGG, et cela au nom du principe de l'impartialité objective. Il y va, comme vous le soulignez justement, de l'avenir de la démocratie et de l'état de droit dans notre pays.
Il est grand temps d'agir en traitant tous les problèmes à la racine mais aussi de façon globale tant les dérives sont nombreuses dans deux Palais prestigieuse de la République : Bourbon et Luxembourg. "Pangloss prouvait qu'il n'y a point d'effet sans cause" (Candide de Voltaire).
Désolé d'être à contre- courant mais moi, ce sont les délits imprescriptibles qui me choquent et il n'est pas indécent que le législateur et non le juge fixe le délai et le point de départ. 12 ans me semble un bon compromis; cela étant le calendrier n'est pas opportun et la prolongation pour les autres crimes et délits pas davantage.
RépondreSupprimerA titre d'information, et en complément à votre post, est publiée ce jour au Journal officiel de la République française (JORF n° 0050 du 28 février 2017, texte n° 2) la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale.
RépondreSupprimerPour le lecteur régulier de cette bible qu'est le JORF, le texte de cette loi est tout simplement incompréhensible, reconnaissons-le ! Heureusement, votre post fournit un éclairage indispensable à sa compréhension générale à tous vos fidèles et nombreux lecteurs.
Merci encore pour votre exercice de pédagogie permanente et gratuite à travers LLC (blog "échangiste" comme le considère le très "select" Quai d'Orsay) des évolutions les plus récentes du droit positif et des jurisprudences nationale et européenne (CJUE et CEDH).