Le 21 octobre 2016, le Conseil constitutionnel a rendu, sur question prioritaire de constitutionnalité, (QPC) une décision censurant une disposition de la loi renseignement du 24 juillet 2015. Il s'agit de l'article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure (csi) qui énonce : « Les
mesures prises par les
pouvoirs publics pour assurer, aux seules fins de
défense des intérêts nationaux, la surveillance et le contrôle des
transmissions empruntant la voie hertzienne ne sont pas
soumises aux dispositions du présent livre, ni à
celles de la sous-section 2 de la section 3 du chapitre Ier du titre III
du livre Ier du code de procédure pénale ». Autrement dit, les interceptions de communication par la voie hertzienne ne sont soumises, ni au régime établi par la loi renseignement pour les interceptions administratives, ni à celui figurant dans le code pénal pour les interceptions judiciaires.
Ce statut tout-à-fait particulier fait ainsi échapper les transmissions par voie hertzienne à tout contrôle. Sur ce point, la loi renseignement de 2015 ne fait que reprendre l'ancienne loi du 10 juillet 1991, aujourd'hui abrogée, et qui concernait exclusivement les interceptions téléphoniques. A l'époque, on avait jugé cette exception indispensable, dans la mesure où les communications hertziennes ne concernaient pas, du moins en principe, des particuliers. Elles visaient essentiellement les transmissions radio des sous-marins, des avions, des militaires ou des services de police et de secours.
Pour les associations requérantes dirigées par La Quadrature du Net, cette disposition s'analyse comme une brèche permettant de rouvrir le contrôle de constitutionnalité de la loi renseignement. En effet, dans sa décision du 23 juillet 2015, le Conseil constitutionnel, saisi de la loi dans le cadre de son contrôle a priori, ne s'est prononcé que sur les dispositions qui lui ont déférées par le Président de la République et par les parlementaires requérants, parmi lesquelles ne figurait pas l'article L 811-5 csi.
La procédure de renvoi
Les requérants devaient cependant, et c'était une difficulté, engager un recours susceptible de servir de vecteur à une QPC. Ils ont en fait choisi de contester la légalité des quatre décrets d'application de la loi renseignement et ont donc déposé quatre QPC qui, toutes les quatre, ont été renvoyées devant le Conseil constitutionnel par le Conseil d'Etat.
Parmi ces textes réglementaires, le décret du 28 septembre 2015 pose un problème tout à fait particulier. Il se borne à énumérer les services de renseignement autorisés à recourir aux techniques d'interception soumises à la procédure prévue par la loi de juillet. Il est donc très probable que les associations requérantes n'ont aucun intérêt à agir contre un acte réglementaire qui ne modifie en rien la situation juridique de leurs membres et que le recours devant le Conseil d'Etat est irrecevable. Mais dans son arrêt de renvoi du 21 octobre 2016, le Conseil d'Etat prend soin d'affirmer qu'il n'est pas tenu de statuer sur la recevabilité du recours avant de se prononcer sur la QPC. Il décide donc de renvoyer aussi cette QPC, sans ignorer que, quel que soit son résultat, elle ne modifiera en rien la décision d'irrecevabilité.
Dans sa décision de renvoi, le Conseil d'Etat mentionnait l'existence d'un moyen sérieux d'inconstitutionnalité, résidant dans un cas d'incompétence négative, formule employée pour désigner la situation dans laquelle le législateur est demeuré en-deçà de sa compétence. En ne prévoyant aucune garantie ni administrative ni judiciaire en matière d'interception de communications hertziennes, le législateur aurait ainsi porté atteinte aussi bien au droit au respect de la vie privée qu'au droit au recours.
Le Conseil constitutionnel, quant à lui, va au plus simple. Il exerce son contrôle de proportionnalité et il n'est pas bien difficile de considérer que la disposition contestée entraine une atteinte disproportionnée à ces deux droits.
Il affirme d'abord qu'elle autorise les pouvoirs publics à prendre des mesures de surveillance de toute communication par voie hertzienne, sans qu'ils soient parvenus à démontrer, de manière convaincante, que les particuliers n'étaient pas concernés. Il n'est donc pas possible de déduire l'absence d'atteinte au secret des correspondances et au droit au respect de la vie privée.
Le Conseil s'interroge ensuite sur la proportionnalité des motifs invoqués pour justifier ces dispositions dérogatoires au droit commun. La "défense des intérêts nationaux" est certes un motif parfaitement licite, mais il serait plus efficace s'il s'accompagnait d'une interdiction formelle d'utiliser ces interceptions hertziennes à d'autres fins. Aux yeux du Conseil, il ne suffit donc pas de s'appuyer sur de bons motifs, il faut aussi exclure les mauvais.
Enfin, dernier point et sans doute le plus important, le Conseil observe que ces interceptions ne sont soumises à aucune condition de fond, à aucune garantie de procédure, à aucun recours.
En soi, toutes ces conditions de licéité des interceptions n'ont rien de nouveau. Elles figuraient déjà dans la décision du 23 juillet 2015 sur la loi renseignement et dans celle du 26 novembre 2015 sur la loi relative à la surveillance des communications électroniques internationales. Le seul élément surprenant réside dans cette accumulation d'incertitudes qui rendait la déclaration d'inconstitutionnalité extrêmement prévisible. On peut même se demander si le Conseil constitutionnel ne s'est pas réjoui de trouver une disposition aussi manifestement inconstitutionnelle, qui lui permettait de donner satisfaction aux associations de protection des droits de l'homme, sans pour autant entraver sérieusement l'activité des services de renseignement.
En effet, le Conseil constitutionnel ne prononce pas l'abrogation immédiate de l'article déclaré inconstitutionnel, ce qui aurait eu pour conséquence d'empêcher toute interception des communications par voie hertzienne. Il renvoie cette abrogation au 31 décembre 2017, délai de quatorze mois qui laisse largement le temps au législateur de modifier le texte. Il est toutefois précisé que, durant cette période, ce type d'interception devra être soumis, selon les cas, soit aux garanties prévues par le code pénal, soit à celles organisées par la loi renseignement. .
Lorsque les médias saluent la "censure de la loi renseignement" réalisée par cette décision du 21 octobre 2016, ils font plaisir à leurs lecteurs et se présentent comme de grands protecteurs des droits de l'homme. En réalité, la décision a pour effet de réintégrer la surveillance hertzienne dans le droit commun, celui-là même qui est défini par la loi renseignement qu'ils ont combattue avec la plus grande énergie...
Ces effets d'annonce occultent pourtant un problème plus grave. Comment a-t-on pu laisser subsister dans un texte aussi longuement préparé que la loi renseignement une disposition héritée d'un texte ancien et dont il était impossible d'ignorer le risque lié à son inconstitutionnalité ? A une époque où n'importe quelle loi est précédée d'études multiples, y compris celle du Conseil d'Etat intervenant dans sa fonction consultative, une telle erreur peut sembler surprenante. En tout cas, elle au moins permis au Conseil d'Etat, cette fois en formation contentieuse, au Conseil constitutionnel, et aux associations requérantes de montrer leur attachement aux droits de l'homme, à peu de frais.
Sur la loi renseignement : Chapitre 8 section 5 du manuel de libertés publiques sur internet.
Parmi ces textes réglementaires, le décret du 28 septembre 2015 pose un problème tout à fait particulier. Il se borne à énumérer les services de renseignement autorisés à recourir aux techniques d'interception soumises à la procédure prévue par la loi de juillet. Il est donc très probable que les associations requérantes n'ont aucun intérêt à agir contre un acte réglementaire qui ne modifie en rien la situation juridique de leurs membres et que le recours devant le Conseil d'Etat est irrecevable. Mais dans son arrêt de renvoi du 21 octobre 2016, le Conseil d'Etat prend soin d'affirmer qu'il n'est pas tenu de statuer sur la recevabilité du recours avant de se prononcer sur la QPC. Il décide donc de renvoyer aussi cette QPC, sans ignorer que, quel que soit son résultat, elle ne modifiera en rien la décision d'irrecevabilité.
Exemple de communication hertzienne
Y-a-t-il un pilote dans l'avion ? Jim Abrahams. 1989
Le contrôle de proportionnalité
Dans sa décision de renvoi, le Conseil d'Etat mentionnait l'existence d'un moyen sérieux d'inconstitutionnalité, résidant dans un cas d'incompétence négative, formule employée pour désigner la situation dans laquelle le législateur est demeuré en-deçà de sa compétence. En ne prévoyant aucune garantie ni administrative ni judiciaire en matière d'interception de communications hertziennes, le législateur aurait ainsi porté atteinte aussi bien au droit au respect de la vie privée qu'au droit au recours.
Le Conseil constitutionnel, quant à lui, va au plus simple. Il exerce son contrôle de proportionnalité et il n'est pas bien difficile de considérer que la disposition contestée entraine une atteinte disproportionnée à ces deux droits.
Il affirme d'abord qu'elle autorise les pouvoirs publics à prendre des mesures de surveillance de toute communication par voie hertzienne, sans qu'ils soient parvenus à démontrer, de manière convaincante, que les particuliers n'étaient pas concernés. Il n'est donc pas possible de déduire l'absence d'atteinte au secret des correspondances et au droit au respect de la vie privée.
Le Conseil s'interroge ensuite sur la proportionnalité des motifs invoqués pour justifier ces dispositions dérogatoires au droit commun. La "défense des intérêts nationaux" est certes un motif parfaitement licite, mais il serait plus efficace s'il s'accompagnait d'une interdiction formelle d'utiliser ces interceptions hertziennes à d'autres fins. Aux yeux du Conseil, il ne suffit donc pas de s'appuyer sur de bons motifs, il faut aussi exclure les mauvais.
Enfin, dernier point et sans doute le plus important, le Conseil observe que ces interceptions ne sont soumises à aucune condition de fond, à aucune garantie de procédure, à aucun recours.
En soi, toutes ces conditions de licéité des interceptions n'ont rien de nouveau. Elles figuraient déjà dans la décision du 23 juillet 2015 sur la loi renseignement et dans celle du 26 novembre 2015 sur la loi relative à la surveillance des communications électroniques internationales. Le seul élément surprenant réside dans cette accumulation d'incertitudes qui rendait la déclaration d'inconstitutionnalité extrêmement prévisible. On peut même se demander si le Conseil constitutionnel ne s'est pas réjoui de trouver une disposition aussi manifestement inconstitutionnelle, qui lui permettait de donner satisfaction aux associations de protection des droits de l'homme, sans pour autant entraver sérieusement l'activité des services de renseignement.
Une abrogation différée
En effet, le Conseil constitutionnel ne prononce pas l'abrogation immédiate de l'article déclaré inconstitutionnel, ce qui aurait eu pour conséquence d'empêcher toute interception des communications par voie hertzienne. Il renvoie cette abrogation au 31 décembre 2017, délai de quatorze mois qui laisse largement le temps au législateur de modifier le texte. Il est toutefois précisé que, durant cette période, ce type d'interception devra être soumis, selon les cas, soit aux garanties prévues par le code pénal, soit à celles organisées par la loi renseignement. .
Lorsque les médias saluent la "censure de la loi renseignement" réalisée par cette décision du 21 octobre 2016, ils font plaisir à leurs lecteurs et se présentent comme de grands protecteurs des droits de l'homme. En réalité, la décision a pour effet de réintégrer la surveillance hertzienne dans le droit commun, celui-là même qui est défini par la loi renseignement qu'ils ont combattue avec la plus grande énergie...
Ces effets d'annonce occultent pourtant un problème plus grave. Comment a-t-on pu laisser subsister dans un texte aussi longuement préparé que la loi renseignement une disposition héritée d'un texte ancien et dont il était impossible d'ignorer le risque lié à son inconstitutionnalité ? A une époque où n'importe quelle loi est précédée d'études multiples, y compris celle du Conseil d'Etat intervenant dans sa fonction consultative, une telle erreur peut sembler surprenante. En tout cas, elle au moins permis au Conseil d'Etat, cette fois en formation contentieuse, au Conseil constitutionnel, et aux associations requérantes de montrer leur attachement aux droits de l'homme, à peu de frais.
Sur la loi renseignement : Chapitre 8 section 5 du manuel de libertés publiques sur internet.
Votre analyse se suffisant à elle-même tant elle est claire et précise, je préfère emprunter à une bonne plume le langage approprié pour féliciter l'enseignante que vous êtes :
RépondreSupprimer"A l'heure où chacun n'a plus que de la bouillie d'idées dans la bouche et dans l'esprit, vous enseignez encore à penser clairement et proprement, sans que le style y perde en magie".
(Cf. lettre en date du 18 juillet 1925 adressée par Paul Morand à Abel Bonnard ; Paul Morand, Lettres à des amis et à quelques autres, éditions de la Table Ronde, 1978, page 30).
j'ai eu le plaisir de visiter ce blog.
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