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lundi 10 octobre 2016

La République numérique nous appelle

La principale caractéristique de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique réside sans doute dans son ambition. Par sa référence à la République tout d'abord, référence qui s'accompagne d'un style qui n'est pas sans évoquer la peinture "pompier" :  "La République du 21e siècle sera nécessairement numérique : elle doit anticiper les changements à l’œuvre, en saisir pleinement les opportunités, et dessiner une société conforme à ses principes de liberté, d’égalité et de fraternité". Par sa volonté d'associer les citoyens à sa rédaction ensuite, et un site a permis à chacun de donner son opinion sur la loi, durant trois semaines, à l'automne 2015. Cette procédure a surtout permis l'intervention des associations actives dans ce secteur, même si leurs propositions n'ont pas toujours été suivies comme elles l'auraient souhaité. 

A l'issue d'un tel processus, certains espéraient sans doute un bouleversement complet du droit du numérique. Or, la loi Lemaire est sans doute républicaine mais elle n'est pas, pour autant, révolutionnaire. Si on la considère sous l'angle des libertés publiques, elle vise surtout à affirmer des principes fondateurs, souvent déjà connus mais qui bénéficient désormais d'un ancrage solide dans le droit positif.  Les prérogatives nouvelles offertes aux citoyens sont, en revanche, nettement plus modestes. 

Des principes libéraux


La loi du 7 octobre 2016 repose incontestablement sur un principe libéral. En témoigne cette "ouverture de l'accès aux données publiques", que l'on qualifie généralement d'Open Data. L'idée générale est celle d'un accès libre aux documents administratifs et aux informations publiques, ouvert à la fois aux collectivités publiques et aux individus. Il s'agit donc d'un principe d'ouverture des données publiques, à laquelle il demeure cependant possible d'opposer les secrets protégés par la loi. Sur ce plan, la loi de 2016 constitue une seconde étape, après la loi Valter du 29 décembre 2015, qui posait un principe de gratuité des données publiques (avec tout de même un certain nombre d'exceptions). Aujourd'hui, c'est donc un véritable service public de la donnée publique qui est créé.

De la même manière, elle autorise la réutilisation des données publiques par les personnes privées, principe qui existait déjà dans le code des relations entre l'administration et le public (art. L 321-1 et s.). mais qui est désormais étendu aux personnes publiques ou privées gérant un service public industriel et commercial. Il reste à voir comment cette disposition nouvelle sera appliquée. En effet, s'il est désormais permis de penser que des données statistiques relatives à l'énergie ou à l'environnement sont désormais publiques, le secret industriel et commercial peut demeurer opposable dans ces domaines. 

Le principe de neutralité du net, consacré par la loi Lemaire, repose sur la même perspective libérale. Il affirme que les réseaux doivent transporter les flux d'information de manière neutre, quels que soient leur nature, leur contenu, leur expéditeur ou leur destinataire. Là encore, l'évolution avait été engagée dès la loi du 24 août 2011 qui avait mis en oeuvre certaines mesures concrètes concernant les pratiques d'acheminement du trafic par les opérateurs. Elle était désormais rendue indispensable par le règlement européen du 25 novembre 2015 "établissant des mesures relatives à l'internet ouvert". Observons cependant, et cette formulation témoigne du caractère toujours novateur du droit français en ce domaine, que la loi Lemaire ne se contente pas de la référence à l'"internet ouvert", notion dont le contenu manque pour le moins de clarté, et ose formuler expressément le principe de neutralité du net. 

La neutralité du net s'accompagne, logiquement, d'une interdiction faite aux fournisseurs d'accès  d'interrompre la ligne de "toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières". Semblable à ce qui existe en matière d'accès au téléphone ou à l'électricité, cette règle n'interdit cependant pas de réduire le débit dès lors que l'accès demeure fonctionnel.

Le renforcement des pouvoirs de la CNIL



Moins symbolique, le renforcement des pouvoirs de la CNIL a surtout pour objet de lui permettre de lutter contre les géants du secteur, les fameurs GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple). Les amendes susceptibles d'être infligées par la Commission passent ainsi de 150 000 € à trois millions d'euros. Cette évolution n'est qu'un début, car le règlement européen du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles autorisera la CNIL à prononcer des amendes de vingt millions d'euros ou de 4 % du chiffre d'affaires annuel mondial des entreprises concernées. La loi Lemaire se présente donc comme un texte transitoire sur ce point, dès lors que le règlement sera applicable dès janvier 2018. En tout état de cause, ce ne sont pas tant les pouvoirs de la CNIL qui seront renforcés que ceux du G 29, ensemble qui regroupe l'ensemble des autorités de contrôle des Etats de l'Union européenne. Un tel renforcement du pouvoir de sanction était indispensable, en particulier dans le contentieux qui oppose l'Union européenne à Google

D'après Antoine Gros. Figure allégorique de la République. 1848


Une protection modeste des droits individuels


Du point du vue de la protection la plus immédiate du citoyen, la loi du 7 octobre 2016 n'est pas sans intérêt mais son apport demeure modeste. Il se limite à quelques dispositions ponctuelles. 

On ne peut que se réjouir que le Revenge Porn puisse enfin être sérieusement réprimé. Cette pratique consiste à diffuser sur internet des images intimes de son ex-compagne ou de son ex-compagne. Or le législateur n'avait sans doute pas prévu une telle bassesse, et la sanction pénale était impossible dès lors que l'intéressée avait donné son consentement, au moins implicite, au cliché. Dans ces conditions, le droit positif ne prévoyait pas un nouveau consentement en cas de diffusion sur le net, et la Cour de cassation, dans un arrêt du 16 mars 2016, n'avait pu que constater son impuissance à réprimer une telle pratique. C'est désormais chose faite et la loi ajoute au code pénal un nouvel article 226-2-1 qui punit d'une peine d'emprisonnement de deux ans et d'une amende de 60 000 € le fait de diffuser sur le net, sans le consentement de l'intéressé, des images "présentant un caractère sexuel". La loi Lemaire comble donc une lacune du droit. C'est évidemment très utile, mais c'est aussi très ponctuel. 

La loi prévoit par ailleurs que les auteurs et leurs ayants-droit ne pourront pas s'opposer à la liberté   de "photographier des oeuvres architecturales et des sculptures", dès lors que le cliché est dépourvu de finalité commerciale. A dire vrai, on ne peut s'empêcher d'être surpris à l'idée qu'il pourrait être interdit de photographier la Tour Eiffel..Là encore, il s'agit de simplifier le droit, car certains bâtiments sont protégés par le droit d'auteur, et d'autres pas. On arrivait ainsi à des situations ubuesques où l'on pouvait librement photographier le Louvre, mais pas la pyramide du Louvre, la Tour Eiffel, mais pas ses éclairages. Sur ce point, la loi fait évidemment oeuvre utile, mais le citoyen lambda n'en tire aucune prérogative supplémentaire. Il avait depuis longtemps compris qu'il pouvait librement faire un selfie sur le Pont des arts.

Enfin, le droit à l'oubli doit être évoqué, pour constater que la loi du 7 octobre 2016 n'en fait qu'une consécration extrêmement modeste. Son article 63 ne concerne en effet que les mineurs qui se voient offrir le droit d'obtenir l'effacement des données les concernant déposées sur les réseaux sociaux, y compris par eux-mêmes. Inspirées de la "loi gomme" californienne, ces dispositions permettent de réparer les erreurs de jeunesse, ce qui n'est pas négligeable. 

En revanche, force est de constater que le droit à l'oubli, en tant que tel, n'est pas consacré par la loi. La question ne manquera pourtant pas de se poser lorsque le "Paquet protection des données" adopté le 15 décembre 2015 par le Parlement européen, la Commission et le Conseil sera en vigueur. Il comporte un projet de directive dont l'article 17 consacre un "droit à l'oubli" numérique qui impose aux responsables d'un traitement d'effacer tout lien vers des données personnelles divulguées ainsi que vers les copies qui en ont été faites. Il faut ajouter que les juges français n'ont pas attendu le droit européen, et la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation, évoque dans un arrêt du 12 mai 2016, tout aussi expressément, "le droit à l'oubli numérique", à propos d'une demande de désindexation du nom du requérant des archives informatisées du journal Les Echos

Derrière une apparente ambition, et une communication un peu boursouflée, la loi Lemaire se présente donc comme un texte composite, sans doute le résultat de négociations auxquelles beaucoup de lobbies ont participé. Certaines dispositions posent des principes, certes déjà connus mais qui acquièrent désormais une puissance nouvelle. D'autres s'efforcent de rendre plus efficace le droit positif, sans le modifier. D'autres enfin interviennent à la marge, pour combler des lacunes ou colmater des brèches. Tout cela n'est pas inutile, loin de là. Mais il n'en demeure pas moins que l'intervention, tellement saluée, des citoyens dans le processus législatif n'a pas permis de renforcer leurs droits de manière substantielle. Une constatation à méditer par tous ceux qui considèrent qu'internet constitue désormais l'outil démocratique par excellence.


Sur la protection des données : Chapitre 8 section 5 du manuel de libertés publiques sur internet

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