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mardi 27 septembre 2016

Transaction pénale : Vers l'annulation du décret de 2015

La décision du Conseil constitutionnel rendue sur QPC le 23 septembre 2016 n'a pas suscité de longs commentaires dans les médias et dans la doctrine. Il est vrai que le même jour, le Conseil avait rendu une décision déclarant inconstitutionnelles les perquisitions effectuées sous le régime de l'état d'urgence, entre le 14 et le 20 novembre 2015. Saluée comme une grande victoire de l'Etat de droit, la seconde a éclipsé la première.

Cette QPC est pourtant, de loin, la plus intéressante, dans la mesure où elle traite d'une procédure en constante expansion : la transaction pénale. Frédéric Desportes et Laurence Lazerges-Cousquer la définissent comme "un accord entre une personne susceptible de faire l'objet de poursuites et une autorité légalement investie du droit d'engager celles-ci, aux termes duquel l'acceptation et la réalisation des mesures proposées par la seconde à la première éteint l'action publique".

Une nouvelle forme de transaction pénale


En l'espèce, la transaction pénale contestée a été introduite dans notre système juridique par la loi du 15 août 2014. Un nouvel article 41-1-1 du code de procédure pénale autorise désormais un officier de police judiciaire (OPJ), avec l'autorisation du procureur de la République, à proposer une transaction à la personne mise en cause, qu'elle soit physique ou morale, transaction ensuite homologuée par un juge du siège. Le champ d'application de cette procédure nouvelle est très large, puisqu'elle concerne toutes les contraventions (sauf celles réprimées par une amende forfaitaire) ainsi que les délits punis d'une peine d'amende ou d'un emprisonnement inférieur ou égal à un an, ceux qui concernent l'usage de stupéfiants, ou encore un vol, à la condition que le montant des biens dérobés ne dépassent pas un certain seuil. 

Ces dispositions ont ensuite été précisées par le décret du 13 octobre 2015, dont la légalité a été mise en cause devant le Conseil d'Etat par le syndicat de la magistrature. C'est à l'occasion de ce recours pour excès de pouvoir que le Conseil constitutionnel a été saisi d'une QPC portant sur la conformité de cette nouvelle forme de transaction pénale à la Constitution.

Une jurisprudence bien établie

 

Observons d'emblée que la transaction pénale contestée dans la présente QPC n'est pas la première du genre. Qu'il s'agisse du classement sous condition et médiation pénale, de la composition pénale, de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, voire de l'amende forfaitaire utilisée dans de nombreux domaines, la formule est solidement ancrée dans notre système juridique et a suscité plusieurs décisions du Conseil constitutionnel.

Depuis sa décision du 30 mars 2006, il la considère conforme à la Constitution, à la condition que soient respectées deux conditions cumulatives. En premier lieu, sa mise en oeuvre est subordonnée à l'accord de la personne mise en cause, assistée d'un avocat. En second lieu, la peine proposée ne doit avoir aucun caractère exécutoire en soi, l'intéressé pouvant refuser l'offre qui lui est faite. Cette double condition a ensuite été confirmée par la décision du 26 septembre 2014 rendue à propos de la transaction pénale en matière environnementale. Dans la décision du 23 septembre 2016, le Conseil s'attache donc à examiner ces deux éléments.

Desperate Housewives. Marc Cherry. Saison 6 épisode 9. 2009.

L'absence de caractère exécutoire


Pour le syndicat requérant, la consignation du montant d'une éventuelle amende proposée en transaction pénale lui confère un caractère exécutoire. Le Conseil se refuse à entrer dans cette logique, en l'absence de disposition législative en ce sens. La consignation du montant de l'amende ne saurait donc être assimilée à son paiement et ainsi conférer à la transaction un caractère immédiatement exécutoire.

La précision est importante, car le Conseil constitutionnel offre ainsi sur un plateau un cas d'annulation du décret d'application du 13 octobre 2015. En effet, celui mentionne que "la consignation vaut paiement de l'amende transactionnelle si la transaction est homologuée". Ajoutant ainsi une disposition qui ne figure pas dans la loi, le décret risque d'autant plus d'être annulé par le Conseil d'Etat que nul n'ignore que l'incompétence est un moyen d'ordre public.

Les droits de la défense


Les requérants invoquent ensuite la violation des droits de la défense, dans l'hypothèse où la transaction peut être proposée à la personne mise en cause durant sa garde à vue. Or, le droit positif pose un cadre très strict à l'intervention de l'avocat durant la garde à vue, celui ne pouvant réellement s'entretenir avec son client qu'à sa première heure et au moment de son éventuel renouvellement, pour trente minutes (art. 63-4 cpp). Si la proposition de transaction est faite après ces entretiens, le client n'est donc pas en mesure d'en discuter avec son conseil.

En l'espèce, le Conseil ne peut pas annuler une disposition législative qui n'existe pas, la loi ne précisant pas le moment où la proposition de transaction doit intervenir. Il formule donc une réserve d'interprétation, interdisant "qu'une transaction soit conclue sans que la personne suspectée d'avoir commis une infraction ait été informée de son droit à être assistée de son avocat avant d'accepter la proposition qui lui est faite, y compris si celle-ci intervient pendant qu'elle est placée en garde à vue".

Là encore, le Conseil met le pouvoir réglementaire en porte-à-faux. En effet, le décret du 13 octobre 2015 voulant, sans doute avec la meilleure volonté du monde, éviter toute atteinte au droit de la défense, a purement et simplement interdit toute proposition de transaction pénale pendant la garde à vue. Or le législateur ne l'interdit pas, et c'est ce que fait subtilement observer le Conseil constitutionnel, offrant à nouveau un cas d'incompétence au Conseil d'Etat.

L'incompétence négative


Le Conseil ne se borne tout de même pas à offrir des cas d'annulation du décret d'application. Il déclare fondé le grief reposant sur l'incompétence négative du législateur, dans la mesure où ce dernier ne fixe pas avec précision le champ d'application de la nouvelle transaction pénale. Il renvoie en effet au pouvoir réglementaire le soin de fixer le montant de la valeur des objets volés en-dessous duquel la transaction peut-être proposée. Pour le Conseil, le refus de fixer ce plafond emporte une violation de l'article 34 de la Constitution, dès lors que seul le législateur est compétent pour définir les règles gouvernant l'extinction de l'action publique et le champ d'application d'une procédure pénale.

Cette censure n'est guère surprenante. Le Conseil constitutionnel semble directement s'inspirer de l'arrêt France Nature Environnement rendu par l'Assemblée du Conseil d'Etat le juillet 2006. Celui-ci avait alors affirmé "qu'il appartient au législateur, (...) lorsqu'il crée un régime de transaction pénale, de déterminer les règles qui permettent d'en assurer le respect ; qu'au nombre de ces règles figurent le champ d'application de la transaction pénale".

La décision QPC du 23 septembre 2016 révèle, en creux, de graves insuffisances dans la rédaction des textes législatifs et réglementaires. Nul doute que l'annulation pour incompétence négative aurait pu être évitée, tant il était évident que le plafond financier de la transaction conditionnait son champ d'application. Nul doute aussi que la rédaction du décret accumule les cas d'incompétence et que le Conseil constitutionnel se fait un plaisir, peut-être un peu pervers, de les signaler au Conseil d'Etat. La QPC va donc entrainer non pas l'annulation de la loi mais très probablement celle du décret. Un exemple de plus de l'influence considérable de la jurisprudence constitutionnelle sur l'ensemble du système juridique. Pourquoi pas ? Encore faudrait-il réfléchir sérieusement à la composition du Conseil constitutionnel, à l'impartialité de ses membres et à toutes questions qui empêchent aujourd'hui de le considérer comme une vraie juridiction.


Sur les droits de la défense, la garde à vue : manuel de libertés publiques sur internet, chapitre 4.



1 commentaire:

  1. Une fois encore, l'immense mérite de votre approche réside dans sa double approche de type photographique : microjuridique et macrojuridique.

    1.Pour ce qui du microjuridique, votre analyse lumineuse, précise et un brin ironique (qualité importante dans l'analyse froide du droit positif) de cette QPC met en exergue la contrepartie de l'inflation et de la célérité normative : faiblesse des textes adoptés et, parfois, incompétence de leurs rédacteurs.

    2. S'agissant du macrojuridique, votre analyse, comme dans certains de vos posts précédents, met le doigt sur un point crucial (véritable étalon de la démocratie, de l'état de droit et des libertés publiques) : l'indépendance du juge au sens large qui fonde le droit à un procès équitable. Il mériterait de faire l'objet d'une réflexion d'ensemble indépendante sur le sujet. Elle devrait porter sur le Conseil constitutionnel (conditions de désignation de ses membres) ; le Conseil d'Etat (perméabilité avec le pouvoir exécutif et accueil des "copains" du Prince en place au Palais-Royal) et le Parquet (mise en conformité de notre droit avec la jurisprudence de la CEDH) sans parler des toutes ces autorités administratives indépendantes et autres agences (comme celle du médicament dont les dérives ont été soulignées avec l'affaire du Médiator)qui posent problème. Vaste programme comme aurait dit le général de Gaulle.

    "Finalement, peu de choses distinguent un procès équitable d'une comédie judiciaire" (Françoise Zimeray, "J'ai vu partout le même visage. Un ambassadeur face à la barbarie du monde", Tribune du Monde, Plon, 2016, p. 88).

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