Le 4 mai 2016, le projet de loi prorogeant l'état d'urgence a été adopté en conseil des ministres, sans que cela suscite de commentaires particuliers. Car l'état d'urgence ne fait plus recette dans les médias ni dans la doctrine militante. Cet éloignement s'explique peut-être par l'émergence de "Nuit debout" qui s'est construit autour de l'opposition à la loi El Khomri pour s'élargir et devenir un mouvement cathartique qui cristallise des mécontentements de toutes sortes. L'état d'urgence sort ainsi en catimini des écrans radar, comme si l'abandon de la procédure visant à son intégration de la Constitution avait, d'un seul coup, supprimé tous les problèmes qui étaient auparavant dénoncés avec l'indignation la plus ardente.
Certes, l'état d'urgence ne figurera pas dans la Constitution mais on doit tout de même se souvenir qu'il est toujours là, solidement ancré dans le droit positif par son traditionnel fondement législatif, la loi du 3 avril 1955 modifiée par celle du 20 novembre 2015. Depuis sa mise en oeuvre par décret le soir du 13 novembre 2015, l'état d'urgence a donc été prorogé à deux reprises, d'abord pour trois mois par la loi du 20 novembre 2015, puis pour la même durée par celle du 19 février 2016. Aujourd'hui, le gouvernement sollicite du parlement une nouvelle prorogation, jusqu'au 26 juillet 2016. L'avis du Conseil d'Etat, publié sur son site, est favorable à cette prorogation.
Le projet de loi ne se borne pourtant pas à reprendre purement et simplement les termes des textes antérieurs, comme si l'on entrait dans une sorte de routine de l'état d'urgence. Au contraire, le texte est bien différent et laisse penser qu'il s'agit de la dernière prorogation.
Moins de trois mois
La date du 26 juillet marquant la fin de cette nouvelle période d'état d'urgence est, en soi, intéressante. Commençant le 19 mai et s'achevant le 26 juillet, elle durera à peine plus de deux mois. Le projet de loi met donc fin à une pratique des prorogations de trois mois, pratique qui avait déjà été mise en oeuvre en 2005 lors de la mise en oeuvre de l'état d'urgence dans certains quartiers marqués par des émeutes, et qui avait été reprise dans les deux lois de 2015 et 2016.
Mais pourquoi choisir une durée de deux mois ? On peut y voir une volonté de donner satisfaction au Conseil d'Etat. Dans son avis sur la seconde prorogation de février 2016, ce dernier avait averti que "le renouvellement de l'état d'urgence ne sauraient se succéder indéfiniment" et que "l'état d'urgence doit demeurer temporaire". Le Conseil d'Etat soumet donc la durée de l'état de l'urgence à un contrôle de proportionnalité, s'assurant que ce choix de deux mois est adapté à la menace.
La réalité de la menace terroriste est largement invoquée. Les attentats de Bruxelles et les liens de leurs auteurs avec ceux de Paris témoignent de sa permanence. De manière plus conjoncturelle, l'Exécutif fait état de deux grandes manifestations sportives qui vont se dérouler sur le territoire français durant cette période, d'une part le championnat d'Europe de football du 10 juin au 10 juillet, d'autre par le Tour de France cycliste, du 3 au 24 juillet. Ces deux évènements présentent la particularité de constituer des cibles éventuelles pour des attentats terroristes, avec notamment la création de "Fan Zones" pour les supporteurs de football. Le maintien de l'ordre sera d'autant plus délicat que qu'ils se dérouleront sur l'ensemble du territoire, dix villes différentes pour l'Euro 2016, et dix-sept étapes pour le Tour de France. Les risques pour la sécurité suscités par ces évènements permettent donc de qualifier un "péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public" au sens de l'article premier de la loi de 1955.
L'adaptation des mesures envisagées à la menace est également envisagée, et l'Exécutif prend soin de réduire le champ de l'état d'urgence. Le projet de loi exclut en effet l'application de l'article 11 de la loi de 1955 qui confère à l'autorité administrative le pouvoir "d'ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit (...) lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics".
Pour justifier cette exclusion, l'Exécutif invoque les succès rencontrés par la mise en oeuvre de l'état d'urgence. Le "coup de pied dans la fourmilière" destiné à désorganiser les milieux islamistes radicaux serait donc une réussite, et il ne serait plus nécessaire de sortir du droit commun en matière de perquisitions.
Certes, mais l'Exécutif oublie de mentionner que l'article 11 est désormais largement inutile. Le projet de loi Police et sécurité : lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement prévoit en effet une nouvelle rédaction de l'article 706-90 du code de procédure pénale, rédaction qui offre la possibilité de recourir aux perquisitions de nuit. Les termes mêmes de cette disposition sont encore discutés, l'Assemblée nationale préférant les limiter aux enquêtes préliminaires, alors que le Sénat envisage d'autoriser les perquisitions de nuit "en cas d'urgence" et durant les enquêtes préliminaires. Mais cette discussion n'en modifie guère le principe.
Cette disposition entrera rapidement en vigueur. On sait que le gouvernement a décidé la procédure accélérée pour le vote de la loi Police et sécurité. Cette procédure devrait rapidement venir à son terme puisque la commission mixte paritaire doit se réunir très prochainement. La disposition devrait donc être adoptée avant l'entrée en vigueur de la future loi de prorogation de l'état d'urgence.
Comme il avait été annoncé, la loi Police et sécurité a pour conséquence de rendre largement inutile l'état d'urgence, par la substitution de dispositions pérennes à un droit provisoire. On peut donc raisonnablement penser que le présent projet de prorogation est le dernier. Ceux qui s'étaient opposés à l'état d'urgence ne manqueront pas de s'en réjouir et revendiqueront peut-être même une grande victoire de l'opposition "citoyenne". D'ici là, la loi Police et sécurité sera tranquillement entrée en vigueur. Le débat sur l'état d'urgence aura alors admirablement joué un rôle de leurre.
La réalité de la menace terroriste est largement invoquée. Les attentats de Bruxelles et les liens de leurs auteurs avec ceux de Paris témoignent de sa permanence. De manière plus conjoncturelle, l'Exécutif fait état de deux grandes manifestations sportives qui vont se dérouler sur le territoire français durant cette période, d'une part le championnat d'Europe de football du 10 juin au 10 juillet, d'autre par le Tour de France cycliste, du 3 au 24 juillet. Ces deux évènements présentent la particularité de constituer des cibles éventuelles pour des attentats terroristes, avec notamment la création de "Fan Zones" pour les supporteurs de football. Le maintien de l'ordre sera d'autant plus délicat que qu'ils se dérouleront sur l'ensemble du territoire, dix villes différentes pour l'Euro 2016, et dix-sept étapes pour le Tour de France. Les risques pour la sécurité suscités par ces évènements permettent donc de qualifier un "péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public" au sens de l'article premier de la loi de 1955.
Dave Brubeck Quartet. Blue Rondo à la Turk. Live 1959
Exclusion des perquisitions
L'adaptation des mesures envisagées à la menace est également envisagée, et l'Exécutif prend soin de réduire le champ de l'état d'urgence. Le projet de loi exclut en effet l'application de l'article 11 de la loi de 1955 qui confère à l'autorité administrative le pouvoir "d'ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit (...) lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics".
Pour justifier cette exclusion, l'Exécutif invoque les succès rencontrés par la mise en oeuvre de l'état d'urgence. Le "coup de pied dans la fourmilière" destiné à désorganiser les milieux islamistes radicaux serait donc une réussite, et il ne serait plus nécessaire de sortir du droit commun en matière de perquisitions.
Vers la fin de l'état d'urgence ?
Certes, mais l'Exécutif oublie de mentionner que l'article 11 est désormais largement inutile. Le projet de loi Police et sécurité : lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement prévoit en effet une nouvelle rédaction de l'article 706-90 du code de procédure pénale, rédaction qui offre la possibilité de recourir aux perquisitions de nuit. Les termes mêmes de cette disposition sont encore discutés, l'Assemblée nationale préférant les limiter aux enquêtes préliminaires, alors que le Sénat envisage d'autoriser les perquisitions de nuit "en cas d'urgence" et durant les enquêtes préliminaires. Mais cette discussion n'en modifie guère le principe.
Cette disposition entrera rapidement en vigueur. On sait que le gouvernement a décidé la procédure accélérée pour le vote de la loi Police et sécurité. Cette procédure devrait rapidement venir à son terme puisque la commission mixte paritaire doit se réunir très prochainement. La disposition devrait donc être adoptée avant l'entrée en vigueur de la future loi de prorogation de l'état d'urgence.
Comme il avait été annoncé, la loi Police et sécurité a pour conséquence de rendre largement inutile l'état d'urgence, par la substitution de dispositions pérennes à un droit provisoire. On peut donc raisonnablement penser que le présent projet de prorogation est le dernier. Ceux qui s'étaient opposés à l'état d'urgence ne manqueront pas de s'en réjouir et revendiqueront peut-être même une grande victoire de l'opposition "citoyenne". D'ici là, la loi Police et sécurité sera tranquillement entrée en vigueur. Le débat sur l'état d'urgence aura alors admirablement joué un rôle de leurre.
Votre excellente présentation soulève au moins trois questions importantes :
RépondreSupprimer- Une question sécuritaire : les mesures prises en application de l'état d'urgence ont-elles contribué ou non à diminuer le risque d'attentats terroristes sur notre territoire ? Les experts sont partagés sur la réponse à apporter à cette question ?
- Une question juridique : ces mêmes mesures ont-elles ou non contribué à affaiblir le socle minimal des libertés publiques et des droits fondamentaux de la personne tel que reconnu par la convention européenne des droits de l'homme ? Le commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe est au mieux dubitatif, au pire critique sur le sujet.
- Une question diplomatique : dans ce contexte, la France peut-elle continuer à s'autoproclamer "patrie des droits de l'homme" ? Ne serait-il pas plus pertinent, comme le propose Robert Badinter, de parler de "patrie de la déclaration des droits de l'homme" ? La nuance est de taille.
Que dit la sagesse des nations ? Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se casse. Prenons garde qu'en fin de compte la France ne se transforme insidieusement en "patrie de l'homme sans droits" ! (Laurent Maudit, "La liberté de la presse connait de graves reculs en France, Médiapart, 2 mai 2016).