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mercredi 27 avril 2016

Le TAFTA ou le déficit démocratique

Le débat sur le TAFTA se développe dans l'opinion publique, au moment précis où les observateurs se montrent de plus en plus sceptiques sur son avenir. A dire vrai, on ne sait pas grand-chose du TAFTA, si ce n'est qu'il a pour objet de créer une zone de libre-échange entre les Etats-Unis et l'Union européenne. Les négociations, commencées en 2013 concernent donc à la fois la suppression des barrières douanières, mais aussi des réglementations qui entravent la libre circulation.

Alors que s'ouvre le treizième round de négociation, les critiques s'amplifient. Du côté américain, on sait que les deux principaux candidats à la Maison Blanche, Hilary Clinton et Donald Trump n'y sont pas favorables. Les Etats membres de l'Union européenne sont également divisés. Angela Merkel soutient les efforts d'Obama en faveur d'une signature rapide mais François Hollande prend nettement ses distances, affirmant qu'il n'est pas prêt à s'engager dans un dispositif qui porterait notamment atteinte aux intérêts de l'agriculture française. Si le moteur franco-allemand semble en panne, la Commission européenne continue, quant à elle, à négocier le TAFTA, comme si la volonté de l'Union n'était plus la somme de celles de ses Etats membres. 

La bataille de la terminologie


Le TAFTA a déjà perdu la bataille de la terminologie. Son nom officiel est Transatlantic Trade and Investment Partnership  (TTIP) ou, en français, Partenariat Transatlantique de Commerce et d'Investissement (PTCI). En fait, le TAFTA est le nom donné au traité par ses opposants, le Transatlantic Free Trade Agreement désignant tout simplement un accord de libre échange. L'évolution est loin d'être neutre : alors qu'un partenariat repose sur l'égalité entre les parties, une zone de libre échange n'est pas nécessairement égalitaire.  On perçoit déjà, en filigrane, l'idée que le TAFTA trouve son origine dans la volonté américaine de promouvoir ses intérêts et ceux de ses entreprises.

Considéré à travers le prisme des libertés publiques, le TAFTA apparaît comme un véritable cas d'école illustrant le déficit démocratique dont souffre l'Union européenne. 

Opacité de la procédure


En 2013, les 28 Etats membres ont délégué à l'Union européenne la mission de négocier le TAFTA. Le mandat, qui comporte 46 articles, a été rendu public quelques mois après le début des négociations. Il formule des principes généraux et annonce que l'accord comportera trois volets  : "l'accès aux marchés, la convergence réglementaire et les règles commerciales permettant de relever les défis mondiaux".

Sur cette base, est créé un "groupe de travail de haut niveau" UE/Etats-Unis. Ses premières  recommandations sont toutes formulées dans des termes extrêmement vagues. C'est ainsi qu'il déclare, sans davantage de précision, qu'il "faudra renforcer les programmes conçus pour faciliter la reconversion des secteurs les plus affectés par le partenariat". Il doit donc y avoir des "secteurs affectés"... 

Les rounds de négociation se déroulent à huis-clos. Du côté américain, le secret des négociations est absolu et aucun document n'est publié. Du côté européen, en revanche, la Commission publie des masses de documents, en insistant sur sa volonté de transparence. Ces documents sont tous diffusés en anglais, et le nouveau partenariat est donc déjà parvenu à créer une vaste de zone... même pas de libres échanges, mais de diffusion unilatérale en anglais. La lecture de ces pièces laisse cependant les commentateurs dans l'incertitude. Elles portent sur les grandes lignes, les principes, qui guident les négociateurs, mais les propositions détaillées demeurent confidentielles. Le rôle des lobbies n'apparaît jamais dans les documents, alors même que sur 130 réunions préparatoires où étaient invitées les "parties prenantes", 119 se sont déroulées en présence d'entreprises et de lobbies industriels.

Dollar. Gilles et Julien. 1932

Opacité du contenu des négociations


D'une manière générale, beaucoup de documents diffusés relèvent davantage de la communication que de la transparence. C'est ainsi qu'un rapport commandé par la Commission au Center for Economic Policy Research (CEPR) annonce que le TAFTA apportera une croissance économique de 119 milliards d'euros par an à l'UE, chiffre que l'on doit plus ou moins croire sur parole. Il est vrai qu'il est toujours préférable de s'adresser à un Think Tank britannique pour connaître les immenses avantages de la coopération avec les Etats-Unis.

Cette pratique du secret est justifiée par deux arguments. Le premier d'entre eux réside dans l'idée que l'on ne peut dévoiler toutes ses armes au début d'une négociation. Certes, mais le temps du début de la négociation est bien passé, alors que le Président Obama fait pression pour  que le TAFTA soit signé avant la fin de l'année. Le second argument réside dans le secret des affaires, et l'opacité de cette négociation est le reflet de la nouvelle conception absolutiste de ce secret, développée par la récente directive adoptée par le parlement européen il y a à peine plus d'une semaine. Les mauvais esprits pourraient penser que cette directive constitue un acte préparatoire à la mise en oeuvre du TAFTA.

La justice mise à l'écart


Les entreprises n'ont pas seulement obtenu la reconnaissance d'un secret des affaires quasi-absolu. Le cadeau essentiel que leur fait le TAFTA réside dans le mode de règlement des différends commerciaux. L'"Investor-State Dispute Settlement" (ISDS), système d'arbitrage, aura pour fonction de régler les litiges, y compris ceux opposant un Etat à une entreprise. 

La justice des Etats est exclue, et elle n'a d'ailleurs pas eu de porte-parole pour défendre la primauté de l'état de droit lors des négociations. Les entreprises, surtout les firmes d'outre-atlantique, préfèrent l'arbitrage, plus discret qu'une procédure judiciaire et le plus souvent mis en oeuvre selon une procédure anglo-saxonne. Le rêve des firmes américaines de se soustraire complètement au droit européen, droit de la concurrence ou droit de la protection des données personnelles par exemple, est donc en passe de se réaliser. Et l'arbitrage permet de rester entre soi, en faisant appel à des arbitres sensibles aux intérêts des entreprises. En témoigne le célèbre arbitrage Tapie.

Les citoyens mis à l'écart


Derrière ces mises à l'écart des citoyens et des juges apparaît, bien plus gravement, une mise à l'écart de la démocratie. Car si le citoyen est exclu de l'information, il est aussi exclu de la participation. La Commission, chacun le sait, n'est pas une institution démocratique. Rappelons que ses membres ne sont pas élus mais désignés par le Conseil européen, le parlement européen n'intervenant que par un vote d'approbation. Quant au Président de la Commission, il est "proposé" au parlement par ce même Conseil, statuant à la majorité qualifiée. Il est vrai que le traité de Lisbonne énonce que cette proposition doit être effectuée « en tenant compte des élections au Parlement européen, et après avoir procédé aux consultations appropriées ». Une telle disposition n'a pourtant pas pour effet de conférer une légitimité démocratique au Président.

Force est donc de constater que l'instance qui négocie le traité a sans doute une légitimité institutionnelle, mais certainement pas une légitimité démocratique. Les citoyens des Etats membres sont en dehors du processus, comme la plupart de leurs dirigeants élus démocratiquement.

L'effet boomerang de la démocratie


Mais la démocratie, exclue de la procédure de négociation, va sans doute reparaître au moment de l'adoption du traité. Et l'effet boomerang risque d'être dévastateur.
Aux Etats-Unis, la ratification du traité sera directement de la compétence du Congrès, et il est très probable que la procédure ne pourra être menée à bien avant la fin du présent mandat. Qu'en sera-t-lors du prochain, si l'on considère qu'Hilary Clinton et Donald Trump sont réservés à l'égard du TAFTA ? Y aura-t-il une majorité au Congrès pour le voter ? Pour le moment, on l'ignore.

Au sein de l'UE, la procédure est plus complexe. Le TAFTA doit d'abord recevoir l'accord des 28 Chefs d'Etat du Conseil qui statue à la majorité qualifiée (55 % des Etats représentant au moins 65 % de la population de l'Union). S'il passe cette étape, il sera soumis au parlement européen puis aux parlements de chaque Etat membre qui devront le ratifier en bloc, sans pouvoir l'amender. D'ores et déjà, la Grèce d'Alexis Tzipras menace d'opposer son veto. Quant aux Pays-Bas, ils prévoient la ratification par référendum, consultation qui a peu de chances d'obtenir une réponse positive. Le retour du processus démocratique dans le TAFTA conduirait ainsi à son abandon. Comme si la démocratie rejetait un corps étranger.

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