Les journaux se sont fait l'écho, ces dernières semaines, du cas d'une jeune femme espagnole, Mariana G.T., vivant à Paris, où son mari italien, Nicola, est décédé d'un cancer en juillet 2016, à l'âge de trente ans. Les médecins conseillent généralement aux patients risquant de devenir stériles en raison du traitement par chimiothérapie de prendre la précaution de congeler leur sperme. Une fois guéris, ils peuvent ensuite mener à bien un projet parental, grâce à une simple insémination artificielle.
Dans le cas présent, Nicola a malheureusement succombé à la maladie. Son épouse demande de pouvoir bénéficier de cette insémination, dès lors que les gamètes de Nicola ont effectivement été conservés dans un Centre d'étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) parisien. Et elle se voit opposer un refus qui fait actuellement l'objet d'un recours devant le juge administratif.
L'obstacle du code de la santé publique
Ce refus repose sur l'article L 2141-2 du code de la santé publique, extrêmement clair sur ce point. Il réserve en effet les techniques d'assistance médicale à la procréation, et l'insémination artificielle en est une, à la "demande parentale d'un couple". Force est de constater que Mariana ne forme plus un "couple", et l'alinéa 3 du même article ajoute d'ailleurs que "l'homme et la femme formant le couple doivent être vivants".
Cette formulation trouve son origine dans la loi bioéthique du 29 juillet 1994. Ce texte avait pour objet de mettre fin à une position beaucoup plus nuancée du comité national d'éthique. Celui-ci s'était exprimé, non pas sur la question de l'insémination artificielle mais sur celle de la fécondation in vitro avant transfert d'embryon (Fivete). Dans un avis du 17 décembre 1993, il avait alors estimé que "la disparition de l'homme ne fait pas disparaître les droits que la femme peut considérer avoir sur ces embryons qui procèdent conjointement d'elle et de son partenaire défunt". Certes, le produit congelé ne procède pas de Mariana dans le cas d'une insémination, mais on pourrait considérer qu'elle détient des droits sur des gamètes qui ont été congelées dans le but de mener à bien un projet commun.
On sait que les lois de bioéthique présentent la particularité de contenir des clauses de révision qui imposent un nouvel examen par le parlement. Lors de la révision qui a abouti à la loi du 6 août 2004, la question de l'insémination post-mortem a été reposée et le rapport d'information préparatoire suggérait de l'autoriser, comme d'ailleurs la réimplantation d'embryons, à la condition que le père ait exprimer son accord de son vivant. Dans cette hypothèse, la volonté du défunt devenait l'élément essentiel à prendre en considération, l'insémination post mortem pouvant être considérée comme un élément du testament du donneur.
Quoi qu'il en soit, la loi de 2004 ne retient pas cette suggestion. Plus tard, lors des débats qui ont précédé la troisième loi bioéthique du 7 juillet 2011, la majorité parlementaire écarte un amendement adopté en commission visant à autoriser l'insémination post mortem, sous certaines conditions. Elle considère en effet que l'assistance médicale à la procréation ne pourrait avoir pour résultat de fonder une famille mono-parentale (par exemple : Civ. 1ère 9 janvier 1996). Derrière cette idée, apparaît en filigrane, le sentiment qu'il est préférable qu'une jeune veuve fasse son deuil, avant de reconstruire une vie nouvelle avec un nouveau partenaire, et une autre famille.
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Protéger la femme contre elle-même
C'est exactement ce qu'affirme l'agence de biomédecine. Dans un article consacré à cette affaire, le Monde fait état d'un mémoire envoyé au Conseil d'Etat, dans lequel elle rappelle que l'interdiction est conforme à l'intérêt de l'enfant, dès lors qu'il s'agit d'empêcher qu'il soit "délibérément privé de père" et confronté au "poids psychologique et social qui pèserait sur lui d'être (...) né d'un deuil". L'agence invoque également l'intérêt de la mère " qui déciderait d'entreprendre une grossesse seule, alors qu'elle vient de perdre son conjoint, et qu'elle se trouve dans un état de vulnérabilité psychologique".
En 2016, cet argument apparaît singulièrement désuet. La femme est-elle donc un petit oiseau fragile qu'il faut protéger contre elle-même ? Aucune disposition juridique n'interdit pourtant à une femme de fonder une famille mono-parentale. Et la nécessité de recourir à une insémination artificielle n'est plus un obstacle sérieux au désir d'enfant. C'est ainsi qu'une femme homosexuelle n'a pas beaucoup de difficulté à bénéficier de cette technique, soit à l'étranger, soit en France où il n'est pas impossible de trouver un médecin qui accepte de l'aider. La norme juridique doit-elle apprécier le bien-fondé du désir d'enfant ? Est-il plus légitime pour une célibataire qui refuse de vivre en couple, pour une couple d'homosexuelles ou pour une jeune veuve ?
La question même semble absurde, d'autant que les Etats de l'Union européenne ont, sur ce point, fait des choix très différents. Si Nicola avait confié la congélation et la conservation des paillettes à un service espagnol ou italien, Mariana aurait pu bénéficier, sans aucune restriction, d'une insémination post-mortem. L'interdiction du droit français va donc susciter la création de "paradis de banques de sperme" comme il existe déjà des paradis fiscaux. On ira donner son sperme en Italie ou en Espagne pour être certain qu'il pourra être utilisé, même post-mortem.
Tout récemment, le 20 avril 2016, Laurence Rossignol, actuelle ministre "des familles, de l'enfance et des droits des femmes", a annoncé que l'assistance médicale à la procréation serait étendue aux femmes seules et aux couples d'homosexuelles bientôt, mais pas avant les élections présidentielles. Cette intervention montre que les pouvoirs publics sont conscients que le droit français n'est plus en harmonie avec les besoins de notre société. Alors pourquoi ne pas intervenir plus rapidement ? En attendant, pourquoi ne pas accepter tout simplement le transfert des paillettes de Nicola dans une clinique espagnole ? Ce serait une solution élégante pour permettre à Mariana de bénéficier d'une insémination, sans pour autant violer le droit français.
Il faut détruire les paillettes au moment du décès du patient... Il s'agit d'une technique médicale pour pallier une stérilité secondaire à la chimio. Si le patient décède, on devrait détruire (c'est ce qui est fait en pratique) les paillettes congelées.
RépondreSupprimerLibre au couple d'utiliser les paillettes même en l'absence de guérison, j'ai des patients qui l'ont fait souvent d'ailleurs, le mari malade a tenu contre toute attente jusqu'à l'accouchement.
Si les paillettes ne sont pas utilisées du vivant du patient, elles doivent être détruites, ce n'est pas parce que l'Italie et l'Espagne le permettent qu'on doit en faire autant d'autant que ces deux pays font n'importe quoi en terme de FIV (ils ont les tristes record de grossesse avec des mères âgées de 66 ans).
Et qui vous dit, si Nicola s'en était sorti de sa maladie, il n'aurait pas fini par se séparer de Mariana et refait sa vie avec une autre femme…