En novembre 2008, neuf militants se réclamant de la mouvance anarchiste sont arrêtés dans une ferme de Tarnac. On leur reproche d'avoir saboté cinq lignes TGV avec des crochets métalliques. On ne déplora aucune victime, mais des dégâts matériels sur le trains et surtout une complète désorganisation du trafic. Pour ces faits, les intéressés sont mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Après plus de six années d'instruction, le juge d'instruction a pris, le 8 août 2015, une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de l'ensemble des accusés, quatre pour des délits mineurs, et quatre pour association de malfaiteurs, cette fois sans lien avec une entreprise terroriste. Le parquet a décidé de faire appel, estimant, quant à lui, que la qualification de terrorisme doit être maintenue.
Il n'est pas question de se prononcer sur un dossier complexe dont les éléments demeurent couverts par le secret de l'instruction. Seuls quelques éléments affleurent dans une presse généralement militante. Pour les journaux de droite, les membres du groupe de Tarnac sont des terroristes dangereux, mais pas trop (n'oublions pas qu'un brin d'anarchisme dans les familles bourgeoises est souvent bien porté). Pour les journaux de gauche, ce sont des jeunes gens innocents qui ne font que s'amuser la nuit le long des voies ferrées.
Parmi les éléments portés à la connaissance du public, on se souvient que les avocats des prévenus avaient habilement contesté les éléments de preuve apportés par des balises de géolocalisation placées sous leur véhicule. Elles avaient révélé un premier arrêt à côté de la voie du TGV, puis un second près d'une rivière dans le lit de laquelle on
retrouva ensuite plusieurs objets susceptibles d'être utilisés pour
saboter une caténaire. A l'époque, la police utilisait ces balises sans aucun fondement juridique, cette technique n'ayant été autorisée en matière judiciaire qu'avec la loi du 28 mars 2014. La preuve était évidemment fragilisée par l'illégalité de la manière dont elle a été recueillie.
Aujourd'hui, après six années de procédure, l'affaire du "groupe de Tarnac" permet surtout de mettre en évidence la difficulté que rencontre le droit pour définir la notion même de terrorisme.
L'absence de définition universelle
Observons d'emblée qu'il n'existe aucune définition universelle du terrorisme, pour deux raisons essentielles.
La première est qu'il n'existe aucun consensus sur ce point. Certains le définissent par son mobile politique, d'autres le rattachent
à la criminalité organisée. Certains envisagent un terrorisme d'Etat. D'autres considèrent que cette notion ne peut s'appliquer qu'à des
groupes non étatiques, dès lors que le terrorisme d'Etat s'analyse en droit comme une violation du droit humanitaire. C'est ainsi qu'une convention générale de lutte contre le terrorisme, dans le cadre de l'ONU, achoppe sur une définition consensuelle des actes en cause.
La seconde raison de cette absence de définition universelle réside sans doute dans le fait qu'elle n'est pas apparue indispensable. En droit international comme en droit interne, le terrorisme est envisagé à travers deux approches. La plus ancienne est l'approche pénale: le terrorisme, c'est d'abord la lutte contre le terrorisme et sa répression. On souhaite avant tout punir les auteurs d'attentats et une liste d'infractions est plus utile qu'une définition abstraite. La plus récente est l'approche par la prévention du terrorisme. Il s'agit alors de connaître les groupes, les modes d'action et de recrutement, les sources de financement. Dans ce cas, le renseignement est l'instrument considéré comme le plus utile. En témoigne la Résolution 1373 du Conseil de sécurité (28 septembre 2001) qui comporte un programme général, préventif et répressif, de lutte contre le terrorisme, toujours sans le définir précisément. En témoignent également le développement des lois donnant aux services des pouvoirs d'investigation accrus et les efforts pour mettre en place une coopération internationale dans ce domaine. Là encore, une définition élaborée du terrorisme n'est pas nécessaire. Il suffit de s'entendre sur le type de données auxquelles on veut accéder et que l'on est prêt à partager.
Hergé. Tintin au pays des soviets. 1930 |
La définition du droit interne
Sur le plan interne, l'effort de définition est un peu plus visible. Il ne s'agit pas d'une définition abstraite mais, là encore, d'une approche pénale. Elle figure dans l'article 421-1 du code pénal, selon lequel : " Constituent des actes de terrorisme, lorsqu'elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, les infractions suivantes (...)". Suit une liste comportant, d'une manière générale, les atteintes à la vie et aux biens, les infractions informatiques, les infractions en matière de groupes de combats et de mouvements dissous, celles en matière d'armes, le blanchiment, les délits d'initiés. Les auteurs de ces infractions, lorsqu'elles sont liées à une activité terroriste, encourent des peines plus lourdes. Cette définition remonte à la loi du 9 septembre 1986 et les textes ultérieurs se sont bornés à modifier la liste des infractions visées, en particulier pour lutter contre les réseaux de financement du terrorisme.
On doit donc déduire que le terrorisme est défini par deux éléments cumulatifs. D'une part, l'existence d'une finalité de "trouble grave de l'ordre par l'intimidation ou la terreur". Observons que ce trouble grave est l'objectif poursuivi et qu'il n'est donc pas nécessaire que les auteurs aient atteint leur but. Un attentat raté demeure un acte de terrorisme, dès lors qu'il avait pour objet de troubler gravement l'ordre public. D'autre part, la qualification de terrorisme n'est acquise que si une infraction figurant dans la liste de l'article 421-1 c. pén. en est le support. Ces infractions ne sont pas nécessairement d'une extrême gravité et il suffit, pour qu'elles soient qualifiées de terroristes, qu'elles aient été commises en lien avec un acte terroriste. Dans un arrêt du 4 juin 2014, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi admis la qualification de terrorisme pour un recel d'armes qui avaient été utilisées ensuite par des tiers pour attaquer une gendarmerie en Corse. L'aide logistique au terrorisme relève donc de l'article 421-1 c. pén.
L'association de malfaiteurs liée à une entreprise terroriste
La loi du 22 juillet 1996 a introduit dans le code pénal un article 421-2-1 : "Constitue également un acte de terrorisme le fait de participer à
un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation,
caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de
terrorisme mentionnés aux articles précédents". Ses auteurs sont passibles de dix années de prison et 225 000 € d'amende.
On comprend que cette infraction vise à casser les réseaux terroristes au moment où ils sont constitués, mais avant qu'ils ne frappent. Le texte exige cependant que la réalité de la menace soit démontrée par l'existence d'un ou plusieurs faits matériels montrant que le passage à l'acte ne relève pas du fantasme mais d'un plan concerté dont la mise en oeuvre est en cours. L'appréciation est toujours délicate, car les juges antiterroristes doivent attendre d'avoir suffisamment de preuves matérielles, mais pas attendre trop longtemps pour être en mesure d'empêcher l'attentat.
Là encore, et l'affaire de Tarnac le démontre, la qualification de terrorisme dépend largement des faits et des preuves matérielles apportées par l'enquête.
Le terrorisme ne se définit pas par la violence de l'action ni par le
nombre de victimes. Pour ce qui est du groupe de Tarnac, il est clair
que le code pénal autorise à considérer comme terroriste une atteinte
aux biens, en l'espèce le réseau ferré et les TGV, "ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur". La
condition de finalité liée à l'intimidation ou la terreur est-elle
remplie ? Et si l'objectif n'est pas, en l'occurrence, le trouble à l'ordre public par l'intimidation, quel peut-il être ? Quel avantage personnel peut-il être tiré d'un semblable attentat ?
C'est sur ce point que les opinions divergent. Les juges
estiment qu'une telle finalité était absente. Le procureur, quant à lui,
pense le contraire. Son argument essentiel pourrait être a contrario
: si la désorganisation d'un réseau ne repose pas, par hypothèse, sur
une volonté d'intimidation ou de terreur, sera-t-il toujours possible de
poursuivre le cyberterrorisme ? Son objet n'est-il pas de désorganiser
gravement un réseau, sans qu'il y ait atteinte aux personnes ? Le débat est loin d'êre clos. En tout cas, on peut observer qu'il se déroule à propos des activités du "groupe de Tarnac", mouvement qui se réclame de l'anarchisme. Aurait-il eu la même audience, et la même couverture médiatique, si des militants de l'Islam fondamentaliste avaient fait sauter des caténaires et avaient été poursuivis sur les mêmes fondements ? La question dérange, mais elle doit néanmoins être posée.
Félicitations pour votre post qui ramène le débat sur le terrain du droit international et interne s'agissant d'une affaire que Le Monde daté du 11 août 2015 qualifie dans son éditorial ("La menace terroriste et les leçons de Tarnac") de "fiasco policier et de pantalonnade politique". Il démontre, s'il en était encore besoin, que le droit n'est pas une science exacte.
RépondreSupprimerAu-delà de question de la "culpabilité" des suspects pour une infraction terroriste, cette affaire met en évidence le fossé qui peut exister dans notre pays entre les principes du droit de la défense et leur mise en oeuvre pratique.
- La séparation des pouvoirs lorsque le ministre de l'Intérieur de l'époque commente à la tribune de l'Assemblée nationale une affaire dont la Justice est saisie.
- L'exigence d'un juge indépendant et impartial au sens de l'article 5§3 de la convention européenne des droits de l'Homme. Or, à ce jour la France n'a toujours pas mis son droit en conformité avec les arrêts Medvedyev contre France du 29 mars 2010 et Moulin contre France du 23 novembre 2010.
- Le principe de la présomption d'innocence qui fait souvent figure d'exception au profit d'une présomption de culpabilité.
- Le principe de l'instruction conduite à charge et à décharge dont les pénalistes prétendent qu'il tient de la schizophrénie. Comment trouver un magistrat acceptant d'avouer qu'il a fait fausse route pendant plusieurs années, y compris en toute bonne foi ?
- La question du contrôle efficace du magistrat. Son indépendance est une garantie mais aussi un risque pour le justiciable. Or, le système de l'appel devant la chambre de l'instruction est une farce : 90% des demandes sont rejetées au point qu'elle est surnommée par les avocats la "chambre d'enregistrement". Faire juger des magistrats par d'autres pose à nouveau la question du juge indépendant et impartial.
En dernière analyse, cette affaire constitue un cas d'école des dérives potentielles de la "déraison d'Etat".
Continuez avec LLC votre noble combat pour les libertés publiques !