Le 18 mars 2015, le Conseil constitutionnel a rendu une décision John L. et autres déclarant non conforme à la Constitution le cumul de poursuites disciplinaires et pénales en matière boursière.
L'affaire a suscité beaucoup d'intérêt car une QPC avait été déposée en octobre 2014, le premier jour du procès pénal portant sur les délits d'initiés intervenus au sein du groupe EADS (devenu Airbus Group). Sept anciens dirigeants du groupe étaient poursuivis, ainsi que des représentants de deux actionnaires, Daimler et Lagardère. En termes simples, le délit d'initié se définit comme une infraction boursière que commet une personne qui vend ou achète des valeurs mobilières en tirant bénéfice du fait qu'elle dispose d'informations dont ne disposent pas les autres investisseurs.
L'affaire a suscité beaucoup d'intérêt car une QPC avait été déposée en octobre 2014, le premier jour du procès pénal portant sur les délits d'initiés intervenus au sein du groupe EADS (devenu Airbus Group). Sept anciens dirigeants du groupe étaient poursuivis, ainsi que des représentants de deux actionnaires, Daimler et Lagardère. En termes simples, le délit d'initié se définit comme une infraction boursière que commet une personne qui vend ou achète des valeurs mobilières en tirant bénéfice du fait qu'elle dispose d'informations dont ne disposent pas les autres investisseurs.
Les intéressés invoquent le fait qu'ils ont déjà été poursuivis devant l'Autorité des marchés financiers (AMF) pout les mêmes faits et que les nouvelles poursuites devant le juge pénal violent la règle Non bis in idem. En première analyse, cette règle interdit de poursuivre et de condamner deux fois une personne pour les mêmes faits. La question posée au Conseil se ramène donc à celle de l'application éventuelle du principe Non bis in idem au cumul de poursuites disciplinaires et pénales.
La décision du Conseil constitutionnel prononce en fait la jonction de trois QPC portant sur le cumul des poursuites disciplinaires engagées par l'Autorité des marchés financiers (AMF) et des poursuites pénales. Différentes dispositions du code monétaire et financier (cmf) sont déclarées inconstitutionnelles, notamment les articles L 465-1, et L 621-15 qui organisent la procédure disciplinaire devant cette autorité.
En revanche, le moyen tiré de l'inconstitutionnalité de certaines dispositions de l'article 6 du code de procédure pénale (cpp) est écarté. Celui-ci prévoit que "l'action publique pour l'application de la peine s'éteint par (...) la chose jugée". Aux yeux des requérants, la décision de clôture de la procédure disciplinaire devant l'AMF est dotée de l'autorité de chose jugée, affirmation réfutée par le Conseil. Une décision prise par une autorité administrative indépendance n'a en effet jamais de caractère judiciaire.
En revanche, le moyen tiré de l'inconstitutionnalité de certaines dispositions de l'article 6 du code de procédure pénale (cpp) est écarté. Celui-ci prévoit que "l'action publique pour l'application de la peine s'éteint par (...) la chose jugée". Aux yeux des requérants, la décision de clôture de la procédure disciplinaire devant l'AMF est dotée de l'autorité de chose jugée, affirmation réfutée par le Conseil. Une décision prise par une autorité administrative indépendance n'a en effet jamais de caractère judiciaire.
Non bis in idem
Déjà connu du droit romain, le principe "Non bis in idem" énonce que nul ne peut
être poursuivi ni condamné deux fois pour les mêmes faits. Cette règle
figure dans l'article 368 du code de procédure pénale, le Protocole n° 7 de la Convention européenne des droits de l'homme (art. 4), l'article 15 § 7 du Pacte international sur les droits civils et politiques et enfin l'article 50 de la Charte européenne des droits fondamentaux.
Sa valeur constitutionnelle est moins claire. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 25 février 2010, se réfère ainsi à "la règle Non bis in idem", sans davantage de précision, et notamment sans la dissocier clairement du principe de nécessité de la peine, lui-même rattaché à l'article 8 de la Déclaration de 1789. Dans sa décision du 18 mars 2015, le Conseil se réfère non plus à la "règle" mais au "principe Non bis in idem", sans toutefois lui accorder formellement une valeur constitutionnelle. Il est cependant plus clairement rapproché des "principes de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines et du droit au maintien des situations légalement acquises".
Surtout, le Conseil opère une distinction très nette entre le cumul de poursuites et le cumul de sanctions.
Le cumul de poursuites, disciplinaires et pénales, est admis par le droit positif depuis l'arrêt du Tribunal des conflits Thépaz du 14 janvier 1935. Le comportement d'un fonctionnaire peut constituer à la fois une faute pénale et une faute de service, et susciter des poursuites pénales et disciplinaires. Dans une décision du 8 juillet 2012, la Cour de cassation refusait sur ce fondement la transmission au Conseil constitutionnel d'une QPC portant précisément sur les dispositions qui autorisent l'Autorité des marchés financiers (AMF) à engager des poursuites administratives susceptibles de se cumuler avec des poursuites pénales. La Cour considérait alors que le principe "Non bis in idem" ne s'applique pas, dès lors qu'il s'agit de deux procédures de nature différente. Cette interprétation a été confirmée par le Conseil constitutionnel, dans sa décision rendue sur QPC du 17 janvier 2013. Il estime qu'un médecin peut être sanctionné à la fois par l'Ordre et par la juridiction de la sécurité sociale. Ce cumul de procédures disciplinaires n'emporte aucune violation du principe "Non bis in idem".
La question du cumul de sanctions est plus complexe. En effet, le cumul de poursuites peut exister, à la condition toutefois qu'à l'issue des deux procédures seule la sanction la plus forte soit mise à exécution. Cette condition est affirmée par le Conseil dans cette même décision du 17 janvier 2013. En l'espèce, elle était dictée par le bon sens. S'agissant de poursuites engagées à l'encontre d'un médecin, l'intéressé aurait pu être condamné pour les mêmes faits à la fois à une interdiction temporaire d'exercice et à une interdiction permanente par chacune des deux institutions chargées d'apprécier son comportement. La règle posée par le Conseil a donc d'abord pour objet d'empêcher la condamnation de l'intéressé à des peines contradictoires.
Sa valeur constitutionnelle est moins claire. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 25 février 2010, se réfère ainsi à "la règle Non bis in idem", sans davantage de précision, et notamment sans la dissocier clairement du principe de nécessité de la peine, lui-même rattaché à l'article 8 de la Déclaration de 1789. Dans sa décision du 18 mars 2015, le Conseil se réfère non plus à la "règle" mais au "principe Non bis in idem", sans toutefois lui accorder formellement une valeur constitutionnelle. Il est cependant plus clairement rapproché des "principes de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines et du droit au maintien des situations légalement acquises".
Surtout, le Conseil opère une distinction très nette entre le cumul de poursuites et le cumul de sanctions.
Erreur de la banque en votre faveur. Michel Munz et Gérard Bitton. 2009
Cumul de poursuites
Le cumul de poursuites, disciplinaires et pénales, est admis par le droit positif depuis l'arrêt du Tribunal des conflits Thépaz du 14 janvier 1935. Le comportement d'un fonctionnaire peut constituer à la fois une faute pénale et une faute de service, et susciter des poursuites pénales et disciplinaires. Dans une décision du 8 juillet 2012, la Cour de cassation refusait sur ce fondement la transmission au Conseil constitutionnel d'une QPC portant précisément sur les dispositions qui autorisent l'Autorité des marchés financiers (AMF) à engager des poursuites administratives susceptibles de se cumuler avec des poursuites pénales. La Cour considérait alors que le principe "Non bis in idem" ne s'applique pas, dès lors qu'il s'agit de deux procédures de nature différente. Cette interprétation a été confirmée par le Conseil constitutionnel, dans sa décision rendue sur QPC du 17 janvier 2013. Il estime qu'un médecin peut être sanctionné à la fois par l'Ordre et par la juridiction de la sécurité sociale. Ce cumul de procédures disciplinaires n'emporte aucune violation du principe "Non bis in idem".
Cumul de sanctions
La question du cumul de sanctions est plus complexe. En effet, le cumul de poursuites peut exister, à la condition toutefois qu'à l'issue des deux procédures seule la sanction la plus forte soit mise à exécution. Cette condition est affirmée par le Conseil dans cette même décision du 17 janvier 2013. En l'espèce, elle était dictée par le bon sens. S'agissant de poursuites engagées à l'encontre d'un médecin, l'intéressé aurait pu être condamné pour les mêmes faits à la fois à une interdiction temporaire d'exercice et à une interdiction permanente par chacune des deux institutions chargées d'apprécier son comportement. La règle posée par le Conseil a donc d'abord pour objet d'empêcher la condamnation de l'intéressé à des peines contradictoires.
La confrontation de ces jurisprudences conduit à affirmer que l'absence de sanction pénale n'a pas pour effet d'interdire le prononcé d'une sanction disciplinaire. Dans son arrêt du 30 décembre 2014, le Conseil d'Etat confirme ainsi la légalité de la sanction disciplinaire
infligée au Docteur Bonnemaison. Accusé d'avoir administré à sept
patients en fin de vie hospitalisés à l'hôpital de Bayonne des
médicaments ayant provoqué leur décès, il a été condamné par la chambre
disciplinaire régionale à être radié du tableau de l'Ordre des médecins
le 24 juin 2013. Cette condamnation a été confirmée en appel par la
chambre disciplinaire nationale de l'Ordre, le 15 avril 2014. Or, le docteur Bonnemaison avait été acquitté par la cour d'assises de Pau le 25 juin 2014, poursuivi cette fois pour meurtres.
Dans sa décision du 18 mars 2015 rendue sur l'affaire du délit d'initié des dirigeants d'EADS, le Conseil ne remet pas vraiment en cause cette jurisprudence, mais en précise le champ d'application, ce qui le conduit à déclarer inconstitutionnel le cumul des sanctions prononcées par l'Autorité des marchés financiers et par la justice pénale. Il énonce donc dans quelle mesure les "mêmes faits" peuvent faire l'objet de "poursuites différentes", et distingue quatre critères permettant d'écarter Non bis in idem.
Dans le première critère, les dispositions qui servent de fondements aux poursuites pénales et disciplinaires ne tendent pas à réprimer les mêmes faits qualifiés de manière identique. En l'espèce, le Conseil constitutionnel affirme, après une analyse très fine des textes concernés, que le délit d'initié est défini de la même manière par le code pénal et le code monétaire et financier.
Le second critère, moins évident dans son analyse, réside dans le fait que les deux répressions ne doivent pas protéger les mêmes intérêts sociaux. Dans la QPC du 17 janvier 2013 à propos du médecin poursuivi à la fois devant l'Ordre et les juridictions de la sécurité sociale, le Conseil avait déjà affirmé cette dualité. A ses yeux, les poursuites diligentées par l'Ordre visent à réprimer des manquements déontologiques, alors que celles devant les juridictions de la sécurité sociale ont pour objet sanctionner des abus professionnels commis au préjudice de cette institution. Dans la décision du 18 mars 2015, la situation est bien différente. Les deux types de poursuites, devant l'AMF et devant le juge pénal, ont pour objet identique de protéger le bon fonctionnement des marchés financiers.
Le troisième critère est rempli si les deux répressions aboutissent au prononcé de sanctions de nature différente. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision de 2015, précise ce qu'il entend par cette différence de "nature". Il ne s'agit pas évidemment d'affirmer qu'une sanction disciplinaire a, par hypothèse, une "nature" différente d'une sanction pénale. Un tel raisonnement conduirait à interdire toute application du principe Non bis in idem. Aux yeux du Conseil, l'existence de deux arsenaux répressifs n'est pas en cause, et la "nature" différente s'apprécie à l'aune de la sévérité de la sanction. En l'espèce, il considère que cette sévérité est équivalente. Le juge pénal peut prononcer une peine de prison pour délit d'initié, mais l'amende demeure très faible. A l'inverse, l'AMF ne peut condamner à une peine privative de liberté, mais l'amende encourue pour les mêmes faits peut être très élevée. Pour le Conseil, l'ensemble conduit à un certain équilibre.
Le quatrième et dernier critère est la répression devant des ordres de juridiction distincts. Tel n'est pas le cas en l'espèce puisque les recours contre les sanctions prononcées par l'AMF relèvent des juridictions de l'ordre judiciaire, comme les sanctions pénales.
De cette analyse, le Conseil constitutionnel déduit qu'aucun des quatre critères n'est rempli, situation juridique qui emporte violation du principe Non bis in idem.
En permettant ainsi, même de manière modeste, la reconnaissance de la violation du principe Non bis in idem en matière de cumul de poursuites pénales et administratives, le Conseil constitutionnel se rapproche de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Dans son arrêt Sergeï Zolotoukhine c. Russie du 10 février 2009, la Cour considère que la règle Non bis in idem contenue dans l'article 4 du Protocole n° 7 doit s'entendre comme s'appliquant aux poursuites de faits identiques ou qui sont en substance les mêmes, quelle que soit leur qualification, et quel que soit l'organe chargé de les réprimer.
Le problème est que la France, comme d'ailleurs d'autres Etats-parties, a posé une réserve sur cet article, réserve mentionnant que seules les infractions relevant des tribunaux compétents en matière pénales doivent être regardées comme des "infractions" au sens de l'article 4 du Protocole. Autrement dit un manquement à une obligation déontologique ne saurait être assimilé à une infraction.
Sans doute, mais l'Italie avait posé une réserve de même type, formulée dans les mêmes termes. Cela n'a pas empêché la Cour européenne des droits de l'homme, dans un arrêt Grande Stevens c. Italie du 4 mars 2014, de considérer que le droit italien viole l'article 4 du Protocole n° 7 de la Convention européenne en prévoyant qu'un délit d'initié peut être poursuivi à la fois par l'autorité indépendante chargée du contrôle des marchés boursiers et par le juge pénal. La société requérante ayant déjà été condamnée par l'autorité indépendante, la Cour demande que les poursuites pénale engagées à son encontre "soient clôturées dans les plus brefs délais". Pour la Cour, la réserve italienne n'est pas applicable, puisque le délit d'initié constitue une infraction pénale, même si elle fait également l'objet de poursuites devant une autorité administrative.
La décision du Conseil constitutionnel sur l'affaire des délits d'initiés d'EADS a d'abord pour conséquence d'écarter la menace d'une condamnation du droit français par la Cour européenne. Reste évidemment à s'interroger sur un éventuel élargissement de cette jurisprudence aux poursuites et sanctions dirigées contre les fonctionnaires. Les critères dégagés par le Conseil conduisent à l'exigence d'une appréciation au cas par cas des situations.
Sur les quatre critères énoncés par le Conseil, les trois premiers peuvent être remplis. Rien n'interdit de penser qu'un fonctionnaire peut être poursuivi pour des faits identiques à la fois devant le juge pénal et devant un conseil de discipline. Tel est le cas, par exemple, de celui poursuivi pour vol ou pour harcèlement. Dans ce cas, il n'est pas difficile de considérer que les sanctions protègent les mêmes intérêts sociaux. Quant à la "nature" des sanctions, c'est-à-dire, si l'on comprend bien le Conseil constitutionnel, l'équivalence de leur sévérité, elle peut aussi, certes pas dans tous les cas mais tout de même assez souvent, être identique. La mise à la retraite d'office ou la révocation d'un fonctionnaire peut en effet avoir des conséquences financières aussi lourdes qu'une amende pénale.
Reste le quatrième et dernier critère, celui des ordres de juridiction distincts. Il constitue un obstacle absolu à l'application de la règle Non bis in idem, puisque la sanction pénale relève de l'ordre judiciaire et que la sanction disciplinaire est susceptible de recours devant la juridiction administrative, et même le Conseil d'Etat pour certains fonctionnaires. Les mauvais esprits pourraient même penser que ce dernier critère a été formulé pour éviter d'appliquer la règle Non bis in idem au cas des fonctionnaires..
Quoi qu'il en soit, ce critère n'a pas été énoncé par la Cour européenne des droits de l'homme, et il serait sans doute intéressant de connaître sa position sur ce point. Il faudra sans doute beaucoup d'imagination juridique pour développer l'argument selon lequel l'existence même de la juridiction administrative suffit à interdire aux fonctionnaires de bénéficier de la règle Non bis in idem.
Les critères
Dans sa décision du 18 mars 2015 rendue sur l'affaire du délit d'initié des dirigeants d'EADS, le Conseil ne remet pas vraiment en cause cette jurisprudence, mais en précise le champ d'application, ce qui le conduit à déclarer inconstitutionnel le cumul des sanctions prononcées par l'Autorité des marchés financiers et par la justice pénale. Il énonce donc dans quelle mesure les "mêmes faits" peuvent faire l'objet de "poursuites différentes", et distingue quatre critères permettant d'écarter Non bis in idem.
Dans le première critère, les dispositions qui servent de fondements aux poursuites pénales et disciplinaires ne tendent pas à réprimer les mêmes faits qualifiés de manière identique. En l'espèce, le Conseil constitutionnel affirme, après une analyse très fine des textes concernés, que le délit d'initié est défini de la même manière par le code pénal et le code monétaire et financier.
Le second critère, moins évident dans son analyse, réside dans le fait que les deux répressions ne doivent pas protéger les mêmes intérêts sociaux. Dans la QPC du 17 janvier 2013 à propos du médecin poursuivi à la fois devant l'Ordre et les juridictions de la sécurité sociale, le Conseil avait déjà affirmé cette dualité. A ses yeux, les poursuites diligentées par l'Ordre visent à réprimer des manquements déontologiques, alors que celles devant les juridictions de la sécurité sociale ont pour objet sanctionner des abus professionnels commis au préjudice de cette institution. Dans la décision du 18 mars 2015, la situation est bien différente. Les deux types de poursuites, devant l'AMF et devant le juge pénal, ont pour objet identique de protéger le bon fonctionnement des marchés financiers.
Le troisième critère est rempli si les deux répressions aboutissent au prononcé de sanctions de nature différente. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision de 2015, précise ce qu'il entend par cette différence de "nature". Il ne s'agit pas évidemment d'affirmer qu'une sanction disciplinaire a, par hypothèse, une "nature" différente d'une sanction pénale. Un tel raisonnement conduirait à interdire toute application du principe Non bis in idem. Aux yeux du Conseil, l'existence de deux arsenaux répressifs n'est pas en cause, et la "nature" différente s'apprécie à l'aune de la sévérité de la sanction. En l'espèce, il considère que cette sévérité est équivalente. Le juge pénal peut prononcer une peine de prison pour délit d'initié, mais l'amende demeure très faible. A l'inverse, l'AMF ne peut condamner à une peine privative de liberté, mais l'amende encourue pour les mêmes faits peut être très élevée. Pour le Conseil, l'ensemble conduit à un certain équilibre.
Le quatrième et dernier critère est la répression devant des ordres de juridiction distincts. Tel n'est pas le cas en l'espèce puisque les recours contre les sanctions prononcées par l'AMF relèvent des juridictions de l'ordre judiciaire, comme les sanctions pénales.
De cette analyse, le Conseil constitutionnel déduit qu'aucun des quatre critères n'est rempli, situation juridique qui emporte violation du principe Non bis in idem.
L'influence de la Cour européenne
En permettant ainsi, même de manière modeste, la reconnaissance de la violation du principe Non bis in idem en matière de cumul de poursuites pénales et administratives, le Conseil constitutionnel se rapproche de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Dans son arrêt Sergeï Zolotoukhine c. Russie du 10 février 2009, la Cour considère que la règle Non bis in idem contenue dans l'article 4 du Protocole n° 7 doit s'entendre comme s'appliquant aux poursuites de faits identiques ou qui sont en substance les mêmes, quelle que soit leur qualification, et quel que soit l'organe chargé de les réprimer.
Le problème est que la France, comme d'ailleurs d'autres Etats-parties, a posé une réserve sur cet article, réserve mentionnant que seules les infractions relevant des tribunaux compétents en matière pénales doivent être regardées comme des "infractions" au sens de l'article 4 du Protocole. Autrement dit un manquement à une obligation déontologique ne saurait être assimilé à une infraction.
Sans doute, mais l'Italie avait posé une réserve de même type, formulée dans les mêmes termes. Cela n'a pas empêché la Cour européenne des droits de l'homme, dans un arrêt Grande Stevens c. Italie du 4 mars 2014, de considérer que le droit italien viole l'article 4 du Protocole n° 7 de la Convention européenne en prévoyant qu'un délit d'initié peut être poursuivi à la fois par l'autorité indépendante chargée du contrôle des marchés boursiers et par le juge pénal. La société requérante ayant déjà été condamnée par l'autorité indépendante, la Cour demande que les poursuites pénale engagées à son encontre "soient clôturées dans les plus brefs délais". Pour la Cour, la réserve italienne n'est pas applicable, puisque le délit d'initié constitue une infraction pénale, même si elle fait également l'objet de poursuites devant une autorité administrative.
Et les sanctions contre les fonctionnaires ?
La décision du Conseil constitutionnel sur l'affaire des délits d'initiés d'EADS a d'abord pour conséquence d'écarter la menace d'une condamnation du droit français par la Cour européenne. Reste évidemment à s'interroger sur un éventuel élargissement de cette jurisprudence aux poursuites et sanctions dirigées contre les fonctionnaires. Les critères dégagés par le Conseil conduisent à l'exigence d'une appréciation au cas par cas des situations.
Sur les quatre critères énoncés par le Conseil, les trois premiers peuvent être remplis. Rien n'interdit de penser qu'un fonctionnaire peut être poursuivi pour des faits identiques à la fois devant le juge pénal et devant un conseil de discipline. Tel est le cas, par exemple, de celui poursuivi pour vol ou pour harcèlement. Dans ce cas, il n'est pas difficile de considérer que les sanctions protègent les mêmes intérêts sociaux. Quant à la "nature" des sanctions, c'est-à-dire, si l'on comprend bien le Conseil constitutionnel, l'équivalence de leur sévérité, elle peut aussi, certes pas dans tous les cas mais tout de même assez souvent, être identique. La mise à la retraite d'office ou la révocation d'un fonctionnaire peut en effet avoir des conséquences financières aussi lourdes qu'une amende pénale.
Reste le quatrième et dernier critère, celui des ordres de juridiction distincts. Il constitue un obstacle absolu à l'application de la règle Non bis in idem, puisque la sanction pénale relève de l'ordre judiciaire et que la sanction disciplinaire est susceptible de recours devant la juridiction administrative, et même le Conseil d'Etat pour certains fonctionnaires. Les mauvais esprits pourraient même penser que ce dernier critère a été formulé pour éviter d'appliquer la règle Non bis in idem au cas des fonctionnaires..
Quoi qu'il en soit, ce critère n'a pas été énoncé par la Cour européenne des droits de l'homme, et il serait sans doute intéressant de connaître sa position sur ce point. Il faudra sans doute beaucoup d'imagination juridique pour développer l'argument selon lequel l'existence même de la juridiction administrative suffit à interdire aux fonctionnaires de bénéficier de la règle Non bis in idem.
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