Le juge des référés du TGI de Paris a rendu, le 9 décembre 2014, une décision enjoignant à Google de respecter le droit à l'oubli. Lorsque le nom de Mme M. était inscrit dans le moteur de recherche, apparaissait immédiatement un lien avec un article du Parisien mentionnant qu'elle avait été condamnée pour escroquerie en 2006.
Elle demandait à Google de supprimer ce lien, s'appuyant sur le fait que sa condamnation remontait à huit ans et ne figurait plus à son casier judiciaire à la date de la demande. La présence de l'article sur Google lui causait un grave préjudice d'autant plus grave qu'elle était en recherche d'emploi. De son côté, le journal invoquait "l'intérêt du public", notion dépourvue de tout contenu juridique, pour refuser à Mme M. le bénéfice du droit à l'oubli.
Droit à l'oubli ou droit au déréférencement
En réalité, ce nous appelons le droit à l'oubli se traduit, dans le cas présent, par un droit au référencement. En tout état de cause, il n'est pas question que l'article disparaisse des archives du Parisien ni même de la mémoire de Google. Il s'agit seulement de le rendre invisible aux internautes qui utilisent le moteur de recherche.
Le juge donne satisfaction à Mme M. et enjoint à Google de "supprimer ou déréférencer le lien" menant à l'article du Parisien à partir du nom de la requérante. La décision n'a rien de surprenant car elle s'appuie sur la récente de la Cour de justice de l'union européenne (CJUE) du 13 mai 2014 Google Spain SL, Google Inc. c. Agencia espanola de proteccion de datos (AEPD), Mario Costeja Gonzalez. Les faits étaient très proches, et le requérant espagnol se plaignait que le journal La Vanguardia conserve les traces de la vente sur saisie de ses biens immobiliers, vente intervenue en 1998 à une époque où il était lourdement endetté. Il avait depuis assaini sa situation financière, mais les utilisateurs de Google avaient toujours accès à une information qui, aujourd'hui, portait préjudice à sa e-réputation.
Exactitude et pertinence
L'article 6 c) de la directive européenne du 24 octobre 1995. énonce que les données personnelles doivent être " adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités du fichier (...)". L'article 6 d) précise ensuite qu'elles doivent aussi être "exactes
et, si nécessaire, mises à jour (...)." L'article 6 al. 4 de la loi française du 6 janvier 1978
est d'ailleurs à l'origine de ce principe, et mentionne que les données
inexactes doivent être effacées ou rectifiées, à la seule demande de
l'intéressé.
L'exactitude matérielle des données n'est pas contestée : la requérante a effectivement été condamnée pour escroquerie en 2006. En revanche, le litige porte sur l'interprétation de la notion de pertinence. Pour Google, une information est pertinente lorsqu'elle est exacte, interprétation quelque peu simpliste, car on ne voit pas pourquoi la directive utiliserait deux termes différents pour désigner la même chose. Pour la directive, et pour le droit français, une information est pertinente lorsque sa conservation n'est pas "excessive". Autrement dit, le juge exerce un contrôle de proportionnalité entre les nécessités du droit à l'information et celles de la vie privée, dont fait partie le droit à l'oubli.
Retrouver la mémoire. Sylvie Peyneau. |
Les critères du droit à l'oubli
Tout devient alors une question d'espèce et le juge utilise trois critères cumulatifs pour se livrer à cette appréciation du caractère "pertinent" ou non des informations référencées par le moteur de recherche. Le premier est la nature des données conservées. Dans le cas de Mme M. il s'agit de données personnelles qui figurent encore sur le moteur de recherche alors qu'elles ont été effacées du casier judiciaire de l'intéressée. Le juge mentionne que le droit français fixe les conditions dans lesquelles les tiers peuvent avoir connaissance du passé judiciaire d'une personne. C'est précisément l'objet des articles 768 et suivant du Code de procédure pénale (cpp). L'oubli de la condamnation est donc imposé par la loi, et Google ne peut pas prétendre s'en exonérer. Le second critère réside dans les motifs de la demande, et le juge note que la diffusion du passé judiciaire de Mme M. sur internet "nuit à sa recherche d'emploi". Enfin, le dernière critère tient dans le temps écoulé entre les faits et la demande de la demande de déréférencement, en l'espèce huit années durant lesquelles Mme M. s'est efforcée de reconstruire sa vie et sa réputation Ces trois critères permettent donc de considérer comme non pertinentes les informations diffusées par Google.
Les recours contre Google, mais quel Google ?
La décision rendue le 9 décembre 2014 par le TGI définit clairement les critères permettant la mise en oeuvre du droit à l'oubli. Sur ce point, elle précise le jugement antérieur de ce même TGI, jugement rendu le 16 septembre 2014 dans une affaire comparable, le lien proposé par la Google renvoyant à des documents diffamatoires à l'égard des requérants. L'entreprise américaine devra certainement, dans l'avenir, se référer à ces critères lorsqu'elle acceptera ou refusera les demandes de déréférencement. Depuis l'arrêt de la CJUE de mai 2014, Google reçoit environ mille demandes quotidiennes de déréférencement provenant de Français, chiffre important qui dépasse très largement les prévisions initiales. Environ 50 % d'entre elles sont satisfaites par Google, et les refus ne s'accompagnent pas toujours d'une motivation très claire. Le résultat est un afflux de plaintes devant la CNIL, afflux qu'il serait peut-être possible d'éviter si les critères permettant l'exercice de ce nouveau droit étaient appliqués par Google. La décision du 9 décembre 2014 contribue certainement à clarifier ce point, clarification nécessaire si l'on considère que le projet de règlement de l'Union européenne sur la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel n'est pas encore en vigueur.
Elle rend, en revanche, plus difficiles les recours contentieux. La décision de septembre 2014 admettait en effet les requêtes dirigées contre Google France, filiale de Google Inc., nonobstant le fait que cette filiale française a pour seules fonctions d'acheter et de vendre de l'espace publicitaire, et non de gérer les activités du moteur de recherche. Le requérant était donc opposé à une entreprise française, considérée comme agissant au nom de la société américaine à l'origine de l'irrégularité ou du dommage. La décision de décembre 2014 remet en cause ce libéralisme et exige que le recours soit dirigé contre Google Inc. Pour le juge, Google Inc. est la personne responsable du traitement au sens du droit
français, et peut seul être poursuivi pour d'éventuels manquements à ses
obligations.
La décision de septembre voulait faciliter les recours en les dirigeant contre une entreprise française, dès lors qu'elle agit au nom de la société américaine responsable du dommage ou de l'irrégularité. Le TGI, dans sa décision du 9 décembre 2014, estime au contraire que Google Inc., l'entreprise américaine, est la personne responsable du traitement au sens du droit français, et peut seul être poursuivi pour d'éventuels manquements à ses obligations. Sans doute, mais le résultat est que l'exécution des décisions des juges français devient plus compliquée. On ne peut qu'espérer que les contentieux qui ne manqueront pas d'intervenir permettront aux juges d'appel et peut-être de cassation de donner une solution définitive à ce problème de compétence.
Heureusement, pour le moment, Google semble désireux d'améliorer ses relations avec les agences européennes de protection des données. Il s'aperçoit sans doute qu'il est plus judicieux, au moins en matière de droit à l'oubli, de respecter le droit des Etats sur le territoire desquels il exerce son activité. Espérons que cette bonne volonté perdurera, car il est peu probable que les juges californiens fassent preuve de la même bonne volonté à l'égard de la demande d'exécution d'un jugement rendu par un juge de première instance français à l'encontre de Google.
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