Le conflit entre les taxis et les voitures de tourisme avec chauffeur (VTC) s'est longtemps déroulé sur la voie publique avec différentes manifestations et "opérations escargot". Aujourd'hui il s'est déplacé vers les salons feutrés de la Place du Palais-Royal, devant le Conseil d'Etat et le Conseil constitutionnel qui a rendu sur cette question une décision le 17 octobre 2014.
La Chambre syndicale des cochers chauffeurs CGT taxis est à l'origine d'un recours devant le Conseil d'Etat dirigé contre le décret du 27 décembre 2013 relatif
à la réservation préalable des voitures de tourisme avec chauffeur.
C'est à l'occasion de ce recours que le Conseil constitutionnel est
saisi d'une question prioritaire de constitutionnalités (QPC), renvoyée par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 23 juillet 2014. Dans sa décision le 17 octobre 2014 le Conseil constitutionnel affirme la conformité à la Constitution de la loi du 22 juillet 2009, qui organise le régime juridique de l'exploitation des VTC. Par voie de conséquence, cette décision entérine l'existence d'une dualité des professions chargées du transport particulier des personnes à titre onéreux, d'un côté les taxis, de l'autre les VTC.
Dualité des marchés
Le droit positif repose non pas sur la distinction des véhicules mais sur celle des marchés. D'un côté, le marché qu'il est convenu d'appeler "de la maraude", qui autorise à stationner dans les stations et à circuler sur la voie publique à la recherche de clients. Les taxis bénéficient d'un monopole sur cette activité. La loi du 20 janvier 1995 organise la profession en imposant l'obtention d'un certificat de capacité professionnelle et d'une licence qui vaut autorisation de stationnement. On sait qu'il existe un nombre limité de licences et qu'elles sont cédées à titre onéreux, à des prix très élevés.
De l'autre côté, et c'est en partie une conséquence de ce système de "Closed-shop" pratiqué par les taxis, on assiste au développement considérable du marché de la prise en charge sur la voie publique après réservation préalable. Dans ce cas, les taxis n'ont pas de monopole, mais partagent le marché avec plusieurs types d'intervenants comme les ambulances ou les voitures de "petite remise" (art. L 3122-1 c.transp.) qui assurent généralement les liaisons avec les aéroports ou les gares. Quant aux "voitures de grande remise", véhicules de luxe à l'origine destinés à une cliente très étroite, elles ont été supprimées par la loi du 22 juillet 2009. Le droit positif ne connaît plus que la notion de VTC qui s'applique aussi bien aux véhicules de grand confort qu'à des voitures ordinaires.
La complainte de l'heure de pointe. Joe Dassin. 1972
Des contraintes juridiques d'une intensité variable
Les VTC sont soumises à un régime juridique moins contraignant que celui des taxis. L'exercice de la profession n'est pas soumis à l'obtention d'une autorisation mais à une simple déclaration (art. L 231-2 c. transp.). L'activité de chauffeur ne nécessité la délivrance d'aucune carte professionnelle. Enfin, et c'est sans doute un élément essentiel, les VTC n'ont pas à respecter des tarifs réglementés et ne sont pas équipés de de compteurs.
La seule contrainte réelle pesant sur les VTC est dans leur fonctionnement, puisqu'elles ne peuvent "ni stationner sur la voie publique si elles n'ont pas fait l'objet d'une location préalable, ni être louées à la place" (art. L 231-3 c. transp.). Le décret du 27 décembre 2013 imposait même un délai de quinze minutes entre la réservation et la prise en charge effective du client. Dans un ordonnance du 5 février 2014, saisi par des entreprises de VTC, le juge des référés du Conseil d'Etat a cependant suspendu l'application de ce texte, estimant que cette disposition portait une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce et de l'industrie.
Ce précédent contentieux conduit ainsi à considérer la présente QPC comme une contre-attaque des taxis, le décret de 2013 parvenant, ce qui n'est pas fréquent, à susciter le double recours des deux professions concernées. Cette situation explique que la Fédération française de transports de personnes, représentant les entreprises de VTC, ait demandé, et obtenu, le droit de présenter des observation en intervention devant le Conseil constitutionnel.
Le principe d'égalité
Si l'on considère maintenant les moyens d'inconstitutionnalité invoqués, force est de constater que le principe d'égalité doit nécessairement être écarté. Le Conseil constitutionnel, reprenant une formule désormais bien connue, affirme ainsi que le principe d'égalité "impose de traiter de la même
façon des personnes qui se trouvent dans la même situation", ce qui n'interdit pas de traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes.
Dans sa décision rendue sur QPC du 7 juin 2013, à propos cette fois des motos taxis, il déclarait déjà que "aucune exigence constitutionnelle n'impose que l'activité de transport de particuliers au moyen de véhicules motorisés à deux ou trois roues soit soumise à la même réglementation que celle qui s'applique aux transport par véhicule automobile". Il en est de même dans la présente QPC : la distinction entre les deux marchés, maraude et réservation d'une voiture, fonde la création de deux régimes juridiques distincts.
Dans sa décision rendue sur QPC du 7 juin 2013, à propos cette fois des motos taxis, il déclarait déjà que "aucune exigence constitutionnelle n'impose que l'activité de transport de particuliers au moyen de véhicules motorisés à deux ou trois roues soit soumise à la même réglementation que celle qui s'applique aux transport par véhicule automobile". Il en est de même dans la présente QPC : la distinction entre les deux marchés, maraude et réservation d'une voiture, fonde la création de deux régimes juridiques distincts.
La liberté d'entreprendre
Pour le syndicat requérant, le fait que les entreprises de VTC aient obtenu la suspension du délai de quinze minutes entre la réservation et la prise en charge du client constitue une atteinte à la liberté d'entreprendre. Ayant désormais la possibilité de charger des clients immédiatement, les VTC accèderaient ainsi au marché de la maraude, en principe réservé aux taxis. L'argument peut sembler convaincant, si ce n'est que la liberté d'entreprendre a, en droit positif, un contenu relativement incertain et un régime juridique qui reflète surtout l'extrême prudence du juge.
Le syndicat requérant invoque une atteinte au monopole des taxis, du moins pour la maraude, activité qui consiste à charger directement des clients sur la voie publique. La jurisprudence du Conseil constitutionnel se montre cependant très réticente à pénétrer dans des analyses des marchés concernés, analyses qui sont généralement pratiquées par les juges de la concurrence. D'une manière générale, le Conseil envisage cette liberté sous deux angles différents. D'une part, la liberté d'entreprendre est d'abord la liberté d'établissement, l'accès à l'activité professionnelle de son choix. Sur ce point, elle ne se distingue guère de la liberté du commerce et de l'industrie. D'autre part, la liberté d'entreprendre, c'est aussi la liberté d'exercice, le droit d'exploiter librement son bien, de gérer son entreprise à sa guise.
C'est évidemment cette seconde facette qui est invoquée par le syndicat requérant, si ce n'est qu'il s'agit de contester l'absence de règles imposant aux VTC un délai entre la réservation et le chargement du client. Autrement dit, les taxis contestent non pas les règles qui leurs sont applicables mais l'absence de règles organisant l'activité de leurs concurrents. Le Conseil constitutionnel affirme donc simplement que "le droit reconnu aux VTC d'exercer l'activité de transport public des personnes sur réservation préalable ne porte aucune atteinte à la liberté d'entreprendre des taxis". La solution est parfaitement fondée, d'autant qu'il aurait pu sembler surprenant que le Conseil s'appuie sur la liberté d'entreprendre pour conforter un monopole.
Observons tout de même que le Conseil n'a pas estimé que le moyen manquait en droit. Il a préféré effectuer un contrôle de proportionnalité, choix lié au fait qu'il a accepté l'intervention de la Fédération française de transports de personnes représentant les VTC qui, de son côté, conteste le monopole attribué aux taxis sur l'activité de maraude. Le Conseil s'appuie sur la décision du 7 juin 2013 rendue à propos des motos-taxis, dans laquelle il avait estimé que l'interdiction de stationner sur la chaussée en quête de clients imposée à ces véhicules n'était pas "manifestement disproportionnée", "eu égard aux objectifs (...) de police de la circulation (...)". A propos des VTC, le Conseil se borne à affirmer qu'en réservant aux taxis l'activité de maraude, "le législateur n'a pas porté à la liberté d'entreprendre (...) une atthttps://www.blogger.com/blogger.g?blogID=4179588125368658397#editor/target=post;postID=1585697722136416613;onPublishedMenu=posts;onClosedMenu=posts;postNum=0;src=linkeinte disproportionnée eu égard des objectifs d'ordre public poursuivis".
Taxis et VTC sont donc renvoyés dos à dos par le Conseil constitutionnel. Sans doute le juge a t il aussi voulu écarter une démarche bien peu réaliste consistant à imposer aux VTC un délai entre la réservation et la prise en charge des clients, alors que son respect est pratiquement impossible à contrôler à l'ère des téléphones mobiles. A l'inverse, la Loi du 1er octobre 2014 s'efforce de rendre plus transparentes les conditions d'octroi et de cession de la licence de taxi et de faciliter le recours à la géolocalisation, afin de permettre aux entreprises de taxi de lutter plus efficacement contre la concurrence des VTC.
Reste que l'on peut se demander si ces dernières ne se sont pas trompées de combat. Ne serait-il pas préférable de saisir le juge de la concurrence, voire tout simplement le fisc ? Certaines informations parues dans la presse laissent entendre que la plus grosse entreprise de VTC ne paierait pratiquement pas d'impôts en France, ayant préféré pratiquer une "optimisation" domiciliant ses revenus dans des paradis fiscaux. Une telle pratique n'entraine-t-elle une distorsion de concurrence ?
Ces questions demeurent sans réponse et on perçoit les limites d'une jurisprudence constitutionnelle qui, comme d'ailleurs celle du Conseil d'Etat, a bien des difficultés pour appréhender les phénomènes économiques. Sur ces questions, la jurisprudence est complexe et souvent inaboutie. En l'espèce, il est évident que la profession de taxis est dans une situation légale et réglementaire beaucoup moins avantageuse que celle des entreprises de VTC. Le droit public est pourtant incapable d'en tirer les conséquences. De quoi donner des arguments à ceux qui pensent, comme Jean Peyrelevade, que les relations entre la France et son économie relèvent de la "névrose".
Le syndicat requérant invoque une atteinte au monopole des taxis, du moins pour la maraude, activité qui consiste à charger directement des clients sur la voie publique. La jurisprudence du Conseil constitutionnel se montre cependant très réticente à pénétrer dans des analyses des marchés concernés, analyses qui sont généralement pratiquées par les juges de la concurrence. D'une manière générale, le Conseil envisage cette liberté sous deux angles différents. D'une part, la liberté d'entreprendre est d'abord la liberté d'établissement, l'accès à l'activité professionnelle de son choix. Sur ce point, elle ne se distingue guère de la liberté du commerce et de l'industrie. D'autre part, la liberté d'entreprendre, c'est aussi la liberté d'exercice, le droit d'exploiter librement son bien, de gérer son entreprise à sa guise.
C'est évidemment cette seconde facette qui est invoquée par le syndicat requérant, si ce n'est qu'il s'agit de contester l'absence de règles imposant aux VTC un délai entre la réservation et le chargement du client. Autrement dit, les taxis contestent non pas les règles qui leurs sont applicables mais l'absence de règles organisant l'activité de leurs concurrents. Le Conseil constitutionnel affirme donc simplement que "le droit reconnu aux VTC d'exercer l'activité de transport public des personnes sur réservation préalable ne porte aucune atteinte à la liberté d'entreprendre des taxis". La solution est parfaitement fondée, d'autant qu'il aurait pu sembler surprenant que le Conseil s'appuie sur la liberté d'entreprendre pour conforter un monopole.
Observons tout de même que le Conseil n'a pas estimé que le moyen manquait en droit. Il a préféré effectuer un contrôle de proportionnalité, choix lié au fait qu'il a accepté l'intervention de la Fédération française de transports de personnes représentant les VTC qui, de son côté, conteste le monopole attribué aux taxis sur l'activité de maraude. Le Conseil s'appuie sur la décision du 7 juin 2013 rendue à propos des motos-taxis, dans laquelle il avait estimé que l'interdiction de stationner sur la chaussée en quête de clients imposée à ces véhicules n'était pas "manifestement disproportionnée", "eu égard aux objectifs (...) de police de la circulation (...)". A propos des VTC, le Conseil se borne à affirmer qu'en réservant aux taxis l'activité de maraude, "le législateur n'a pas porté à la liberté d'entreprendre (...) une atthttps://www.blogger.com/blogger.g?blogID=4179588125368658397#editor/target=post;postID=1585697722136416613;onPublishedMenu=posts;onClosedMenu=posts;postNum=0;src=linkeinte disproportionnée eu égard des objectifs d'ordre public poursuivis".
Paradis fiscal et concurrence
Taxis et VTC sont donc renvoyés dos à dos par le Conseil constitutionnel. Sans doute le juge a t il aussi voulu écarter une démarche bien peu réaliste consistant à imposer aux VTC un délai entre la réservation et la prise en charge des clients, alors que son respect est pratiquement impossible à contrôler à l'ère des téléphones mobiles. A l'inverse, la Loi du 1er octobre 2014 s'efforce de rendre plus transparentes les conditions d'octroi et de cession de la licence de taxi et de faciliter le recours à la géolocalisation, afin de permettre aux entreprises de taxi de lutter plus efficacement contre la concurrence des VTC.
Reste que l'on peut se demander si ces dernières ne se sont pas trompées de combat. Ne serait-il pas préférable de saisir le juge de la concurrence, voire tout simplement le fisc ? Certaines informations parues dans la presse laissent entendre que la plus grosse entreprise de VTC ne paierait pratiquement pas d'impôts en France, ayant préféré pratiquer une "optimisation" domiciliant ses revenus dans des paradis fiscaux. Une telle pratique n'entraine-t-elle une distorsion de concurrence ?
Ces questions demeurent sans réponse et on perçoit les limites d'une jurisprudence constitutionnelle qui, comme d'ailleurs celle du Conseil d'Etat, a bien des difficultés pour appréhender les phénomènes économiques. Sur ces questions, la jurisprudence est complexe et souvent inaboutie. En l'espèce, il est évident que la profession de taxis est dans une situation légale et réglementaire beaucoup moins avantageuse que celle des entreprises de VTC. Le droit public est pourtant incapable d'en tirer les conséquences. De quoi donner des arguments à ceux qui pensent, comme Jean Peyrelevade, que les relations entre la France et son économie relèvent de la "névrose".
Bonjour,
RépondreSupprimerQu'est-ce que vous entendez pas "distorsion de concurrence" ?