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samedi 16 novembre 2013

Droit d'asile : une exception au guichet unique

La décision Cimade rendue par le Conseil d'Etat, réuni en Assemblée du contentieux le 13 novembre 2013, accepte un léger assouplissement à la règle du "guichet unique" en matière de droit d'asile. 

M. B., ressortissant russe d'origine tchétchère, a obtenu le droit d'asile des autorités polonaises en juillet 2008, en application de la Convention de Genève de 1951. Celle-ci énonce, dans son article 1er al. 2 que le terme "réfugié s'applique à toute personne qui (...) craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays". M. B. invoquait alors des persécutions à son encontre, liées à sa participation à la première guerre d'indépendance de la Tchétchénie. Une fois installé en Pologne, il affirme avoir subi de nouvelles menaces émanant de ressortissants tchétchènes résidant dans ce pays, et avoir même, parmi eux,  reconnu l'un de ces anciens tortionnaires. 

Il a finalement choisi de quitter la Pologne, et a choisi de se rendre en France. Entré sur le territoire de manière irrégulière, il a fait une nouvelle demande d'asile et s'est vu refuser le statut de réfugié par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) en 2009, refus ensuite confirmé par la Cour nationale du droit d'asile en mars 2011. C'est précisément cette décision de la CNDA qui est contestée par la voie du recours en cassation devant le Conseil d'Etat. 

Les rigueurs du "guichet unique"

La CNDA applique le principe du "guichet unique", qui trouve son origine dans la Convention de Dublin de 1990, suivie du règlement "Dublin II" du 18 février 2003, et de la directive du 1er décembre 2005. Il repose sur une idée simple : une personne qui s'est vu reconnaître, ou d'ailleurs refuser, le statut de réfugié dans un Etat de l'Union européenne, ne peut plus le solliciter dans un autre. Cette règle repose sur la volonté de considérer le territoire de l'Union comme un espace unique en matière d'asile. Le premier Etat saisi par le demandeur d'asile instruit sa demande et rend une décision définitive. Les procédures sont raccourcies, puisqu'un demandeur ne peut pas formuler des demandes successives dans plusieurs Etats, dans le seul but de demeurer aussi longtemps que possible sur le territoire européen. Pour garantir l'efficacité du système, un fichier informatisé Eurodac établit un fichier biométrique. La conservation des empreintes digitales des demandeurs d'asile permet en effet de détecter ceux qui ont déjà formulé une demande dans un autre Etat membre. Dans ce cas, leur requête est automatiquement rejetée.

Toute règle a cependant des exceptions, et celle du guichet unique aussi. Le titulaire de la qualité de réfugié, accordée dans un autre pays de l'Union, peut en effet formuler une autre demande, si la protection de l'Etat qui lui a accordé cette qualité n'est plus assurée. C'est évidemment le moyen essentiel développé par M. B. à l'appui de sa demande formulée en France, et il invoque ainsi le danger qu'il court en Pologne, du fait notamment de la présence sur le territoire polonais d'un de ses anciens tortionnaires. Dans cette hypothèse, les autorités françaises doivent examiner sa demande. Il convient de noter cependant que le danger couru par M. B. en Pologne sert de fondement à la seule recevabilité de sa demande d'asile en France. Sur le fond, l'examen de sa demande repose sur les persécutions dont il risque d'être victime dans son pays d'origine, en Russie. 

Jean Cocteau. L'Europe, notre patrie. 1961


La présomption de protection par le pays d'accueil 

Encore faut-il, pour que la demande de M. B. soit recevable en France, qu'il apporte des éléments de preuve, montrant que les autorités polonaises lui ont refusé leur protection. Le Conseil d'Etat précise alors, et c'est le point essentiel de la décision, que les Etats membres de l'UE sont présumés assurer une protection effective des personnes auxquelles ils ont accordé l'asile. Il appartient donc au demandeur de renverser cette présomption, en démontrant que les autorités du pays d'accueil lui ont refusé cette protection.

La CNDA se borne, en l'espèce, à affirmer qu'il n'était pas établi que M. B. ait effectivement sollicité la protection des autorités polonaises. Le Conseil d'Etat considère cependant que cette motivation est insuffisante. A ses yeux, le réfugié peut apporter la preuve par tous moyen de ce défaut de protection, sans qu'il soit obligatoire d'exiger de lui qu'il ait formulé une demande de protection en bonne et due forme aux autorités de l'Etat. Cette précision, anodine en apparence, offre tout de même au réfugié une marge de manoeuvre beaucoup plus large, notamment dans l'hypothèse où l'Etat qui a accordé l'asile ne se conformerait plus à ses obligations conventionnelles.

Dès lors que  M. B. n'a pas été mis en mesure de développer tous les moyens de preuve permettant de démontrer l'absence de protection des autorités polonaises, la procédure est annulée, et l'affaire renvoyée devant la CNDA. Certes, il est probable que M. B. sera finalement débouté, car il n'est certainement pas facile de prouver une absence fautive de protection, voire une inertie dangereuse pour le réfugié. Mais le Conseil d'Etat a tout de même donné, dans cette décision, quelques précisions utiles. Sur l'articulation entre la Convention de Genève de 1951 et le droit de l'Union européenne, il précise que les principes de la première doivent se concilier avec les procédures mises en oeuvre par le second. Cela le conduit à introduire un léger assouplissement, un tout petit bémol, au caractère automatique du guichet unique. Sur ce point, la décision peut être analysée comme un rappel d'un autre principe, celui de l'examen particulier du dossier, qui doit s'appliquer à l'ensemble des décisions prises en considération de la personne.

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