La Chambre criminelle ne se lasse pas de répéter qu'un avocat ne peut accéder, durant la garde à vue, au dossier de l'enquête préliminaire. L'arrêt du 6 novembre 2013 rappelle "qu'aucune nullité ne saurait être encourue de ce chef", principe déjà acquis avec des décisions précédentes du 11 juillet puis du 19 septembre 2012. Il est vrai que ces répétitions sont d'abord le résultat mathématique de la multitude des recours déposés par des avocats qui militent en faveur de la communication de l'intégralité du dossier durant l'enquête préliminaire. Sur ce point, la décision du 6 novembre 2013 est le fruit d'un recours purement militant, l'avocat de la personne gardée à vue n'ayant même pas demandé de pièces dans ses observations écrites jointes au procès-verbal. L'intérêt de la communication ne lui est apparu que plus tard, au moment de rechercher des éléments susceptibles d'entraîner la nullité de la procédure.
Droits de la défense et nécessité de l'enquête
Reste que l'on doit s'interroger sur les motifs d'un tel refus. Ne serait-il pas logique que le conseil de la personne gardée à vue puisse accéder à l'ensemble des pièces réunies lors de l'enquête préalable ? Cette thèse est séduisante, car elle met évidemment les droits de la défense au dessus de toute autre considération. Le droit positif considère cependant que ces droits doivent être respectés, mais doivent également être conciliés avec les nécessités de l'enquête, c'est à dire la recherche des auteurs d'infractions.
Il convient de rappeler que la garde à vue de droit commun se déroule dans le délai extrêmement bref de
vingt-quatre heures, renouvelable une fois. Son objet est d'entendre les intéressés et de réunir les éléments de preuve, qu'ils soient à charge ou à décharge. A l'issue de la procédure, nombreux sont d'ailleurs les gardés à vue qui quittent les locaux de police ou de gendarmerie parfaitement libres, ayant été disculpés durant leur garde à vue.
Pour la Cour de cassation, le débat contradictoire sur
les éléments de preuve recueillis durant l'enquête ne se développe pas
durant la garde à vue, mais intervient plus tard, devant le juge
d'instruction, puis devant les juridictions de jugement. L'article 63-4-1 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi du 14 avril 2011,
autorise donc l'avocat à consulter le procès verbal de
notification du placement en garde à vue, le certificat médical ainsi
que les procès verbaux d'audition, une fois qu'elle a eu lieu. Ces éléments ne sont pas négligeables et permettent au conseil de connaître l'essentiel du dossier. Pour la Cour, ils sont suffisants pour garantir le respect des droits de la défense durant la garde à vue, et le droit à un procès équitable garanti par l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme est donc parfaitement respecté.
Sur ce point, la jurisprudence de la Chambre criminelle s'appuie sur celle du Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 18 novembre 2011
rendue sur QPC, ce dernier a en effet considéré que la conciliation
entre la recherche des auteurs d'infraction et les droits de la défense
constitutionnellement garantis était convenablement assurée dans la loi
du 14 avril 2011.
Under Suspicion. Stephen Hopkins. 2000
Monica Bellucci, Morgan Freeman, Gene Hackman
Dissociation entre droits de la défense et droit à l'assistance d'un avocat
Cette jurisprudence conduit à définir très précisément le droit à l'assistance d'un avocat qui n'est pas un droit absolu, mais s'apprécie, de manière très concrète, à chaque étape de la procédure. L'accès au dossier n'est donc pas considéré comme utile à la défense au stade de la garde à vue, mais il devient une obligation absolue à celui de l'instruction. Les prérogatives de l'avocat se développent alors considérablement, dès lors que les charges retenues contre son client sont désormais clairement définies, depuis sa mise en examen.
Le droit positif refuse ainsi de considérer que les droits de la défense se confondent avec le droit à l'assistance d'un avocat. Cette conception est aussi celle de la Cour européenne qui a, tout récemment dans un arrêt du 24 octobre 2013 opéré une dissociation entre le droit à l'assistance d'un avocat et le droit au silence, estimant que le second s'exerçait indépendamment du premier. Au surplus, cette relation entre la personne gardée à vue et un
avocat n'est pas obligatoire. Si l'assistance d'un conseil doit nécessairement être proposée à la personne gardée à vue, celle-ci peut la refuser. La garde à vue demeure donc une mesure de police judiciaire, clairement détachée de la phase d'instruction.
Le droit de l'Union européenne ne va pas réellement à l'encontre de cette analyse. La directive du 22 mai 2012 relative au droit à l'information dans le cadre
des procédures pénales impose certes le droit d'accès aux éléments du dossier (art. 7). Elle mentionne que les documents essentiels "pour contester de manière effective conformément au droit national la légalité de l'arrestation ou de la détention" doivent être mis à la disposition de la personne "en temps utile". De telles dispositions n'imposent aucune contrainte nouvelle au droit français, qui offre l'accès au dossier dès l'ouverture de l'instruction, c'est à dire dès le moment où il est possible de contester la mise en détention.
Cette dissociation entre les droits de la défense et le droit à l'assistance d'un avocat a des conséquences très concrètes. Il s'analyse en effet comme un refus du juge d'attribuer aux avocat le monopole des droits de la défense durant la garde à vue. Pourquoi revendiquer un tel monopole ? On peut imaginer deux raisons. D'abord, une raison économique : accroître la clientèle en prenant obligatoirement en mains la défense, avant même toute mise en examen. Mais cela reviendrait à déposséder les personnes en garde à vue de leur libre arbitre, le recours systématique à un avocat devenant une obligation, et imposant notamment le recours à des avocats commis d'office rémunérés par l'Etat. Ensuite, une raison de principe : prolonger la pression en faveur d'une procédure accusatoire, qui place les avocats en position d'interlocuteur immédat des autorités chargées de l'enquête, en marginalisant le rôle du juge d'instruction.
Cour européenne v. Conseil constitutionnel
En multipliant les recours, les avocats témoignent de leur persévérance à obtenir l'accès au dossier dès la garde à vue, et il ne fait guère de de doute que la Cour européenne devra rapidement se prononcer sur ce point. Les avocats fondent leurs espoirs sur l'arrêt Sapan c. Turquie du 20 septembre 2011, dans lequel le droit turc est déclaré non conforme à l'article 6 § 3 de la Convention européenne, car l'avocat du requérant n'a pas été autorisé à
avoir accès aux pièces du dossier.
Même si la Cour déclarait le droit français non conforme à la Convention, sa décision se heurterait cependant directement à celle du Conseil constitutionnel rendue le 18 novembre 2011. Et il ne fait aucun doute qu'une validation constitutionnelle a une valeur supérieure à une invalidation conventionnelle. Ce principe n'a jamais été mis en cause. Certains commentateurs ont certes considéré que lorsque la Cour de cassation, le 15 avril 2011, a annulé des décisions de juges du fond refusant la présence de l'avocat dès le début de la garde à vue, elle s'appuyait sur le caractère immédiatement exécutoire de la jurisprudence de la Cour européenne, et semblait écarter la décision du Conseil constitutionnel rendue le 30 juillet 2010. Il n'en est rien pourtant, car le Conseil avait déclaré inconstitutionnelles les dispositions litigieuses, mais avait renvoyé leur abrogation effective à l'été 2011 pour laisser au législateur le temps de les modifier. La Cour de cassation se bornait donc à appliquer immédiatement une inconstitutionnalité déjà constatée. En l'espèce, la situation est bien différente, car c'est au contraire la constitutionnalité du refus d'accès au dossier durant la garde à vue qui a été reconnue par le Conseil constitutionnel. La bataille engagée par les avocats est loin d'être gagnée.
S'il est vrai que la situation que vous évoquez est différente de celle ayant donné lieu aux arrêts du 15 avril 2011, je me permets d'attirer votre attention sur les arrêts de la 1ère chambre civile du 5 juillet 2012 (après avis de la ch. Crim. du 5 juin 2012) relatifs à la garde à vue -mais également et en 1er lieu- à la peine d'emprisonnement en matière de séjour irrégulier des étranger. La constitutionnalité de la peine (QPC février 2012) n'a pas empêché la CCass de constater sa contrariété au droit de l'Union. La bataille n'est alors peut-être pas perdue d'avance...
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerJe ne pense pas qu'une validation par le CC implique nécessairement qu'une disposition législative soit conforme à la CEDH, ni qu'on ne puisse plus soulever le grief de la non conformité à la CEDH.
En effet, dans sa décision 2010-605 DC du 12 mai 2010, le CC a dit que :
"13. Considérant, en premier lieu, que l’autorité qui s’attache aux décisions du Conseil constitutionnel en vertu de l’article 62 de la Constitution ne limite pas la compétence des juridictions administratives et judiciaires pour faire prévaloir ces engagements sur une disposition législative incompatible avec eux, même lorsque cette dernière a été déclarée conforme à la Constitution"
Une telle jurisprudence me semble logique avec le principe de hiérarchie des normes : pour qu'une norme soit valide, il faut qu'elle soit conforme à toutes les normes de valeur supérieure, et pas seulement à la Constitution.