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vendredi 5 octobre 2012

La Kafala, pluralisme culturel ou intégration ?

La Kafala est institution propre aux pays musulmans, qui s'analyse comme une sorte de tutelle légale exercée sur un mineur, dans des sociétés dans lesquelles l'adoption n'existe pas. La décision Harroudji c. France rendue par la Cour européenne des droits de l'homme le 4 octobre 2012 concerne précisément la question de l'articulation entre la Kafala et l'adoption. La requérante, de nationalité française a obtenu une Kafala des tribunaux algériens, c'est à dire le droit de "recueil légal" d'une enfant née sous X et de père inconnu en 2003. Elle souhaite obtenir des tribunaux français un jugement d'adoption plénière de la fillette.  

Un tutorat renforcé

Cette procédure de  "Kafala", figure dans l'article 46 du code de la famille algérien, qui  précise que l'adoption "est interdite par la Charia et la loi"(art. 46). L'adulte qui en est le titulaire dispose de l'autorité parentale et de la possibilité de transmettre son nom de famille à l'enfant. En revanche, aucun lien de filiation n'est établi par la Kafala, et c'est précisément ce que voudrait obtenir Mme Harroudji, qui a déposé une requête en adoption plénière devant les tribunaux français. Ces derniers ont rejeté sa demande, en s'appuyant sur l'article 370-3 du code civil, qui énonce que "l'adoption d'un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France". Ce texte est issu de la loi du 6 février 2001 sur l'adoption internationale, et met fin à une jurisprudence libérale de la Cour de cassation, qui acceptait depuis une décision du 10 mai 1995 de transformer la Kafala en adoption, dès lors que la demande émanait du représentant du mineur.

Le "respect du pluralisme culturel"

La décision de la Cour européenne se borne donc à considérer que le droit français ne comporte aucune violation de la Convention. Pour la Cour, le droit au respect de la vie privée et familiale n'est pas en cause, dès lors que l'enfant a une vie normale, et que l'autorité parentale est exercée à son égard. La Cour fait d'ailleurs remarquer que la position des Etats membres du Conseil de l'Europe à l'égard de la Kafala est très diversifiée. Dans certains pays, la Kafala n'est pas un obstacle à l'adoption (Belgique, Danemark, Finlande, Grèce, Irlande, Pays Bas, Royaume-Uni, Suède et Suisse). En France,  comme en Albanie, en Allemagne, en Arménie, en Géorgie et dans une dizaine d'autres, le droit positif considère la Kafala comme une sorte de tutelle ou de curatelle qui empêche l'adoption. Faute de pouvoir reconnaître un consensus en ce domaine, la Cour européenne laisse donc chaque Etat libre d'apprécier la place qu'il entend donner à cette pratique. Elle observe d'ailleurs que la loi française présente l'avantage de "favoriser l'intégration d'enfants d'origine étrangère sans les couper immédiatement des règles de leur pays d'origine" et "respecte le pluralisme culturel".

Jeune Orientale. Ecole française. XXè siècle. Collection particulière

On comprend évidemment, et les autorités françaises ne s'en cachent pas que cette rigueur repose d'abord sur la volonté d'éviter les conflits de loi en matière d'adoption, dès lors que le statut d'adopté de l'enfant risque de ne pas être reconnu dans son pays d'origine. Il n'en demeure pas moins que ce "pluralisme culturel" suscite d'autres difficultés juridiques. 

La Cour estime en effet que l'intérêt supérieur de l'enfant n'est pas réellement violé par la loi française, dans la mesure où l'enfant n'est pas privé d'une vie familiale. C'est vrai, mais la loi du 6 février 2001, met néanmoins les familles dans des situations parfois très difficiles. Dans plusieurs avis, le Défenseur des enfants a lui-même insisté sur les difficultés administratives qu'elles rencontrent, par exemple en matière de droits sociaux ou d'obtention d'un visa. Plus grave encore, l'enfant ne bénéficie d'aucun droit sur la succession et sa situation, en cas de décès de ses parents titulaires de la Kafala, risque de se révéler extrêmement précaire.

La nationalité, ou comment contourner la Kafala 

Pour pallier ces inconvénients, et contourner l'obstacle de la Kafala, on peut se demander si l'intégration n'est pas préférable au "pluralisme culturel". L'article 21-12 du code civil prévoit qu'un enfant qui, depuis au moins cinq années, est recueilli en France et élevé par une personne de nationalité française, peut réclamer la nationalité française jusqu'à sa majorité. Certes, ce délai est très long, alors que l'acquisition de la nationalité est immédiate pour l'enfant qui fait l'objet d'une adoption plénière. Mais cette acquisition de la nationalité aura au moins pour effet de rendre l'enfant adoptable. Une réponse ministérielle du Garde des Sceaux, en date du 21 août 2008, confirme cette interprétation. Madame Harroudji a donc tout intérêt à inverser les procédures. Au lieu d'obtenir l'adoption avant la nationalité, il est préférable d'obtenir la nationalité avant l'adoption. Reste que ce délai de cinq années avant l'obtention de la nationalité place l'enfant dans une situation juridiquement précaire. Le "respect du pluralisme culturel" revendiqué par la Cour européenne conduit ainsi à une situation discriminatoire.


1 commentaire:

  1. bonjour,

    même avec un dossier béton plus les 5 années de présence en France .
    dans 2 départements on refuse de donner la nationalité française car pour les greffières en chefs c'est ouvrir la porte a l'adoption.









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