Le Sénat va bientôt voter sur une proposition de résolution européenne "sur le droit d'accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et le droit de communiquer après l'arrestation". A dire vrai, ce texte est assez largement passé inaperçu, ne serait-ce que parce qu'il a été enregistré à la Présidence de la Haute Assemblée le 23 décembre, date plus propice aux achats de Noël qu'à la réflexion sur la procédure pénale.
Il faut ajouter que le droit français de la garde à vue a suscité, depuis l'été 2010, deux QPC, une décision de la Cour européenne, quatre de la Cour de cassation, sans oublier évidemment la loi du 14 avril 2011. La liste n'est pas close puisque l'on attend encore une QPC sur la constitutionnalité de la procédure de garde à vue mise en place dans les affaires de terrorisme qui accompagne le recours devant le Conseil d'Etat contre le décret d'application de la loi de 2011. Cet afflux de textes et de décisions provoque certainement un peu de lassitude chez les commentateurs, d'autant que la QPC du 18 novembre 2011, semble avoir définitivement écarté les dernières revendications des avocats. Elle refuse en effet de considérer comme inconstitutionnelles les dispositions relatives à l'"avocat taisant" ou lui interdisant l'accès au dossier ainsi qu'à certains actes de procédure.
Un débat déplacé au plan communautaire
La proposition sénatoriale, alors même qu'elle n'a pour objet que le vote d'une résolution (art 73- du règlement intérieur), montre que le débat s'est désormais déplacé au plan communautaire. Après un Livre Vert de février 2003, la Commission a présenté en 2004 une proposition de décision-cadre pour définir un socle commun de procédures applicables aux personnes soupçonnées d'avoir commis une ou plusieurs infractions. Les Etats membres ne sont pas parvenus à s'accorder sur ce texte, et la Commission a finalement choisi de procéder par étapes, choix concrétisé par une "feuille de route" adoptée par le Conseil européen en décembre 2010.
La première étape, la plus facile à franchir, a conduit à l'adoption d'une directive du 20 octobre 2010 qui permet à la personne soupçonnée de bénéficier des services d'un traducteur. La seconde, encore en cours de négociation, traite du droit d'être informé sur les droits et les charges retenues. La troisième, celle qui précisément donne lieu à la proposition sénatoriale, a essentiellement trait au droit à l'assistance d'un avocat.
Le projet de directive
Le projet de directive diffusé en juillet 2011 est, pour une large part, assez proche de la loi française du 14 avril 2011. C'est ainsi qu'il consacre le droit à l'assistance d'un avocat "dès que possible" après l'arrestation. Mais il va aussi bien au-delà du texte français, et reprend la plupart des revendications des avocats, celles qui s'étaient exprimées de manière particulièrement nette lors de la QPC du 18 novembre 2011. Est ainsi autorisée la participation active de l'avocat aux auditions et interrogatoires, et à tous les actes de procédure impliquant la présence du gardé à vue. De la même manière, l'avocat se voit confier une mission générale de contrôle des lieux de détention, mission que les Barreaux n'avaient d'ailleurs jamais clairement revendiquée dans notre pays.
Les dispositions rejetées par le Conseil constitutionnel pourraient donc finalement intégrer notre système juridique par le vecteur du droit communautaire. Et c'est précisément ce que veut éviter le Sénat.
Otto Dix. Portrait de l'avocat Hugo Simons. 1925 |
La recherche de l'équilibre
La proposition de résolution sénatoriale a certes été présentée par le sénateur UMP du Nord, Jean-René Lecerf, mais elle a été adoptée à l'unanimité par la Commission des affaires européennes. C'est tout l'intérêt de ce texte, qui dégage, pour la première fois, un consensus parlementaire sur le sujet. Force est de constater en effet que la nouvelle majorité sénatoriale, pourtant clairement à gauche, ne souhaite pas accroître les prérogatives de l'avocat durant la garde à vue.
La proposition de résolution repose sur trois principes fondamentaux qui constituent le socle de cette proposition de résolution.
Le premier est l'indispensable équilibre entre les droits du gardé à vue et les nécessités de l'enquête. Pour reprendre la formule d'Alain Richard pendant les débats en commission, les sénateurs estiment "qu'une garde à vue constitue une véritable course contre la montre au cours de laquelle un équilibre délicat doit être maintenu entre l'objectif de recherche des infractions et la défense des droits de la personne". Au nom de cet équilibre, ils refusent la présence de l'avocat à tous les actes de procédure, estimant qu'elle n'est pas utile sur le fond, et aurait pour seul effet de ralentir l'enquête.
D'autre part, les sénateurs veulent empêcher toute confusion entre les phases policière et judiciaire de l'enquête, confusion qui conduirait inéluctablement à un judiciarisation de la garde à vue. A leurs yeux, la garde à vue demeure une mesure de police judiciaire qui n'a pas pour objet d'imposer un débat contradictoire sur les éléments de preuve réunis pendant l'enquête. Ce débat se déroule ensuite, durant l'instruction.
Enfin, les auteurs de la proposition s'opposent totalement à ce que les avocats se voient confier une mission de contrôle des lieux de détention. Les sénateurs constatent que cette fonction est déjà assurée par le procureur de la République, le juge d'instruction, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, voire le parlement. Or, tous ces intervenants ont un statut d'indépendance que n'a pas l'avocat, qui se rend sur les lieux de détention essentiellement dans le but de défendre son client.
Cette position ferme est exactement celle développée par les gouvernements français, belge, irlandais, néerlandais et britannique dans une note conjointe du 22 septembre 2011, dans laquelle ils expriment des réserves sur ces points. On le voit, la directive communautaire risque de demeurer encore longtemps à l'état de projet. Quant au débat sur la garde à vue, il aura au moins réussi à provoquer l'union nationale..
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