Le Conseil constitutionnel a rendu le 10 novembre une décision QPC sur le secret défense. Elle était évidemment très attendue par les parents des victimes des attentats de Karachi qui espéraient obtenir la déclassification de certaines pièces utiles à la manifestation de la vérité. Beaucoup de commentateurs espéraient également que le Conseil profiterait de cette QPC pour définir un certain nombre de principes encadrant une pratique surtout caractérisée par son opacité.
La lecture de la décision laisse une impression d'inachevé. Il est vrai que le Conseil sanctionne les dispositions les plus choquantes, celles qui permettaient de protéger certains lieux couverts globalement par le secret de la défense nationale. En revanche, le Conseil évoque à peine la question de l'opposabilité au juge d'un secret entièrement maîtrisé par l'autorité administrative, et de l'éventuelle violation du principe de séparation des pouvoirs.
Les lieux classifiés
L'article 413-9-1 du code pénal autorise la classification des lieux auxquels on ne peut accéder sans que cet accès donne par lui-même connaissance d'un ou plusieurs secrets de la défense nationale. La liste de ces lieux est définie par décret, lui même classifié.
Cette disposition avait été introduite dans la loi de programmation militaire dans le but officiel de mettre à l'abri les juges d'instruction de toute poursuite pour violation du secret défense. En pénétrant dans un tel lieu, le juge risquait en effet de se saisir de pièces classifiées dépourvues de lien avec l'affaire sur laquelle il enquêtait. Il pouvait alors être, malgré lui, l'auteur d'une compromission du secret de la défense nationale.
Derrière cet argumentaire non dépourvu d'hypocrisie se cachaient évidemment d'autres préoccupations. On se souvient que les hautes autorités de l'Etat avaient été fort irritées de voir perquisitionner le SGDN et le ministère de la défense en 2006 lors de l'affaire Clearstream. La tentation était donc grande de se mettre à l'abri de ces visites intempestives. La procédure choisie imposait donc une déclassification temporaire des lieux, précédée d'un avis de la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN), lui même communiqué au service visé par la perquisition. Autant dire que l'effet de surprise était pour le moins réduit, et que la broyeuse pouvait librement fonctionner avant la visite du magistrat instructeur.
Le Conseil constitutionnel observe fort justement qu'il s'agit de soustraire une "zone géographique" aux pouvoirs d'investigation de l'autorité judiciaire. Les perquisitions ne peuvent alors se dérouler que de manière exceptionnelle. Elles sont subordonnées à une décision administrative qui peut donc, à elle seule, bloquer l'exercice du pouvoir judiciaire. Le Conseil en déduit donc que le législateur a opéré une "conciliation qui est déséquilibrée" entre les exigences du procès équitable et le respect de la séparation des pouvoirs.
Les informations classifiées
De manière surprenante, le Conseil constitutionnel ne va pas au bout de son raisonnement. La séparation des pouvoirs interdit de subordonner à une décision administrative l'accès du juge à des espaces classifiés, mais à pas à des informations tout aussi classifiées.
Sur ce point, la motivation est sommaire. Elle réside tout entière dans la nature d'"autorité administrative indépendante" de la CCSDN. Et cette fois le Conseil affirme "qu'en raison des garanties d'indépendance conférées à la commission ainsi que des conditions et de la procédure de déclassification et de communication des informations classifiées, le législateur a opéré, entre les exigences constitutionnelles précitées, une conciliation qui n'est pas déséquilibrée".
La CCSDN est saisie par le juge d'instruction qui demande la déclassification de certains documents dont il a besoin pour poursuivre ses investigations. La loi prévoit que la Commission rend son avis, en prenant en considération "les missions du service public de la justice, le respect des droits de la défense (...) ainsi que la nécessité de préserver les capacités de défense et la sécurité des personnels". Quant à sa composition, la CCSDN est une autorité administrative indépendante ordinaire composée de membres du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes, auxquels le législateur a joint deux parlementaires désignés par le Président de chaque assemblée. On ne voit pas bien en quoi cette composition lui confère une indépendance particulière. Sur le fond, il suffit de consulter ses rapports pour comprendre que son rôle est davantage de protéger le secret défense plutôt que faciliter les investigations des juges.
Quoi qu'il en soit, même si on admet l'indépendance de la CCSDN, il n'en demeure pas moins qu'une autorité indépendante reste administrative. Celle ci n'est d'ailleurs qu'une autorité consultative. Elle rend un avis, favorable ou défavorable à la déclassification, et cet avis ne lie en aucun cas l'autorité administrative détentrice du document demandé. La conséquence en est que les investigations du juge d'instruction se heurtent, non pas à l'avis rendu par la CCSDN, mais à cette décision administrative prise par l'autorité détentrice. L'atteinte à la séparation des pouvoirs est absolument identique à celle sanctionnée par le Conseil dans le domaine des lieux classifiés.
La conciliation est "équilibrée" dans un cas, "déséquilibrée" dans l'autre... Les familles des victimes des attentats de Karachi vont sans doute éprouver quelques difficultés pour comprendre une telle subtilité. Quant à l'administration, le Conseil lui a généreusement laissé jusqu'au 1er décembre pour régulariser la situation, et peut être mettre à l'abri certains documents des investigations des juges ?
Il ne reste plus qu'à espérer une nouvelle intervention du législateur dans ce domaine, peut être au second semestre 2012 ?
Il ne reste plus qu'à espérer une nouvelle intervention du législateur dans ce domaine, peut être au second semestre 2012 ?
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