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jeudi 24 novembre 2011

Justice des mineurs et secret partagé

L'assassinat de la jeune Agnès à Chambon sur Lignon suscite des réactions diverses allant d'une émotion légitime à des interrogations sur d'éventuels dysfonctionnements des systèmes judiciaires et éducatifs. L'enquête ne fait que commencer sur ces points, mais le gouvernement, sans en attendre l'issue, propose déjà des modifications législatives. Il est vrai que le droit pénal évolue, depuis quelques années, au rythme des faits divers tragiques. L'ordonnance du 2 février 1945 sur la justice des mineurs n'a t elle pas été réformée douze fois depuis 2007 et trois fois durant l'année 2011 ?

Le fait divers fait la loi 

La loi du 25 février 2008 qui impose une surveillance à l'issue de la peine pour les délinquants sexuels a été votée à la suite du viol et de la séquestration du jeune Enis par un récidiviste. La loi du  10 mars 2010 a été votée en urgence (une seule lecture), pour rendre possible la rétention de sûreté et le traitement chimique des délinquants sexuels. Il s'agissait alors de réagir à l'assassinat de Marie-Christine Hodeau, agressée pendant son jogging, et victime elle aussi d'un délinquant sexuel récidiviste. Enfin, le meurtre de Laetitia Parrais par un troisième récidiviste en janvier 2011 est à l'origine du rapport Ciotti qui propose de durcir l'application des peines et d'accroître le nombre de places en prison. 

Aujourd'hui, on nous annonce une loi de programmation présentée au prochain des ministres, prévoyant le placement dans un centre d'éducation fermé (CEF) de tout mineur poursuivi pour "un crime sexuel particulièrement grave" ainsi que "l'évaluation pluridisciplinaire" de sa dangerosité. Cette loi devrait précéder une réforme globale de la justice des mineurs, qui, étrangement n'a pas été annoncée par le garde des sceaux, Monsieur Mercier, mais par le ministre de l'intérieur, Monsieur Guéant. Sans doute doit-on en déduire que la lutte contre la délinquance des mineurs sera un des thèmes  de la campagne électorale. 

Le garde des Sceaux a néanmoins pris la parole pour affirmer la nécessité d'améliorer l'évaluation de la dangerosité du mineur, et de mettre en place un "secret partagé" en matière de délinquance des mineurs "entre la justice, l'école et la santé". Cette réflexion, dont il nous dit qu'elle est déjà presque achevée, devrait se concrétiser prochainement par un décret.

Le secret professionnel

La notion de "secret partagé" s'analyse comme une une dérogation au secret professionnel. Ce dernier se définit comme l'obligation faite à tout agent de ne pas révéler à autrui les renseignements confidentiels sur des personnes ou des intérêts privés recueillis dans l'exercice de ses fonctions. C'est une obligation statutaire pour tous les fonctionnaires (art. 26 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires), y compris évidemment ceux de la fonction publique hospitalière ou intervenant dans le secteur social. Pour les médecins et personnels de santé du secteur libéral, c'est une obligation déontologique, mais il convient de rappeler que le code de déontologie médicale a valeur réglementaire. Dans tous les cas, le manquement au secret professionnel est réprimé de manière rigoureuse, puisque le Code pénal le punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende (art. 226-13 c. pen).

Le ruban blanc. Michael Haneke. 2009.

Le secret partagé

La notion de "secret partagé" repose sur l'idée qu'il est quelquefois indispensable de partager des informations confidentielles, soit dans l'intérêt de la justice lorsqu'il s'agit par exemple de dénoncer un crime grave, soit dans celui de la personne même sur laquelle porte la divulgation, aide à l'enfance ou exercice d'une médecine de plus en plus collective. 

C'est précisément en matière médicale que le secret partagé trouve son origine. Un arrêt Crochette rendu par le Conseil d'Etat le 11 février 1972, et intégré ensuite dans une circulaire du 20 avril 1973 énonce ainsi que "l'obligation de secret professionnel lie nécessairement tous les auxiliaires du médecins qui sont ses confidents indispensables. Le secret est alors partagé entre ces diverses personnes et prend le caractère collectif". Plus récemment, une circulaire de la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse du 21 juin 1996 précise que "communiquer à un autre intervenant social des informations concernant un usager, nécessaires soit à la continuité d'une prise en charge, soit au fait de contribuer à la pertinence de cette prise en charge, ne constitue pas une violation du secret professionnel, mais un secret partagé".

Entré discrètement dans l'ordre juridique par voie de circulaire, le secret partagé bénéficie aujourd'hui de l'onction de la loi. A côté des cas de dénonciation de malfaiteurs prévus par le Code pénal, il existe maintenant des hypothèses légales de partage du secret :

Cette notion de "secret partagé" répond ainsi aux besoins d'actions médicales et sociales mises en oeuvre de manière collective par des équipes pluridisciplinaires qui doivent communiquer, dans l'intérêt même de l'intéressé.  

L'information partagée

En matière de justice des mineurs, il s'agit, selon la formule du Garde des sceaux, de partager l'information entre "la justice, l'école et la santé". Il s'agit certes de services publics très différents les uns des autres, mais l'organisation concrète de la justice des mineurs montre que les informations relatives aux jeunes délinquants sont déjà très largement partagées, ou qu'elles devraient l'être. 

La justice des mineurs, depuis l'ordonnance du 2 février 1945, est dotée d'une très nette spécificité par rapport à celle des majeurs. Le Conseil constitutionnel dans sa décision du 29 août 2002 sur la loi Perben I érige en "principe fondamental reconnu par les lois de la République" l'objet même de cette justice particulière qu'il définit comme  "l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs et la recherche de leur relèvement éducatif et moral". La justice des mineurs s'adresse donc davantage à l'enfant en danger qu'au jeune délinquant.

Dans son organisation, elle repose sur la puissance du juge des enfants. Chargé de l'instruction de l'affaire, il préside le tribunal pour enfants, et contrôle l'application de la peine. Pour assurer sa mission, non seulement il peut, mais il doit, échanger des informations sur la santé ou l'éducation des jeunes délinquants. Considéré sous cet angle, le "secret partagé" est la condition même de l'exercice satisfaisant de la justice des mineurs. 

Secret partagé et spécificité de la justice des mineurs

Reste que cette volonté de "secret partagé" ne semble guère compatible avec d'autres réformes en cours. Toutes ont pour point commun une tendance à aligner la justice des mineurs sur celle des majeurs. Il est vrai que le Conseil constitutionnel, suivant en cela la décision Adamkiewicz rendue la Cour européenne le 2 mars 2010, estime non conforme au principe d'impartialité le fait que l'autorité chargée de l'instruction préside également le tribunal qui juge le jeune délinquant.  Cette décision QPC du 8 juillet 2011 rend ainsi indispensable une réforme de la justice des mineurs qui réduira nécessairement son originalité. 

Les modifications récentes de l'ordonnance du 2 février 1945 vont dans le même sens C'est ainsi que l'excuse de minorité peut être écartée pour un mineur de seize ans, en cas de récidive. De la même manière, les centres éducatifs fermés (CEF) ou les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) témoignent d'une volonté de revenir à un système d'incarcération, considéré comme plus efficace  que l'approche psychologique ou éducative. 

A sa manière, l'assassinat de la jeune Agnès témoigne des hésitations relatives à la justice des mineurs. Alors que le Premier ministre annonce la généralisation de l'enfermement des jeunes délinquants dans des centres fermés, le garde des sceaux évoque un "secret partagé" qui semble relever d'une démarche socio-éducative.

Le garde des sceaux annonce ainsi un "secret partagé" qui dérogera aux règles du secret professionnel et annonce un décret dans ce sens. Dans la précipitation, il semble avoir oublié qu'une dérogation à une loi ne peut intervenir que par une autre loi. Au lieu de faire de la justice des mineurs un débat électoral, il serait peut être temps de susciter un débat parlementaire. 



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