La Chambre sociale de la Cour de cassation, dans une décision du 3 novembre 2011, se penche sur l'utilisation de la géolocalisation dans l'entreprise. Monsieur X est employé au service des ventes d'une société spécialisée dans la protection contre l'incendie, et doit démarcher deux départements, l'Yonne et l'Aube. Il n'a pas le statut VRP, et conformément au droit commun, doit effectuer 35 heures de travail hebdomadaire. Pour tenir compte de la spécificité de ses fonctions, son contrat de travail l'autorise à organiser ses déplacements comme il l'entend, selon les horaires qui lui conviennent, à la condition toutefois de respecter le programme fixé et de rendre compte chaque jour à son employeur du détail de ses activités.
Alors qu'il était employé depuis 13 ans par l'entreprise, son employeur a notifié à Monsieur X. la mise en place d'un système de géolocalisation sur son véhicule de service, dans le but d'étudier ses déplacements afin d'améliorer le processus de production et d'optimiser les visites effectuées. En réalité, l'entreprise a profité de cette technologie pour contrôler le temps de travail du salarié. S'appuyant sur les données de géolocalisation, elle estime qu'il n'effectue pas les 35 heures légales, et elle réduit le montant de sa rémunération. Monsieur X estime qu'il y a alors rupture du contrat de travail, ce que confirme la Cour d'appel qui l'analyse comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En rejetant le pourvoi, la Chambre sociale ne sanctionne pas, en soi, l'utilisation de la géolocalisation par l'entreprise, mais la soumet aux règles du droit commun.
La licéité de la géolocalisation des véhicules
La géolocalisation des véhicules des employés présente un caractère intrusif et conduit à la collecte et la conservation de données à caractère personnel. Cette forme nouvelle d'espionnage, réalisée au nom des intérêts de l'entreprise, entre donc dans le champ d'application de la loi du 6 janvier 1978, sur l'informatique, les fichiers et les libertés. Dès le 16 mars 2006, la CNIL a adopté une recommandation encadrant cette pratique, afin de garantir sa conformité à la loi. Tout système de géolocalisation des véhicules mis en oeuvre par une entreprise fait donc désormais l'objet d'une déclaration à la Commission, affirmant sa conformité à la Norme simplifiée n° 51, qui a valeur réglementaire.
L'article 6 al. 2 de la loi du 6 janvier 1978 énonce que les données à caractères personnel ne peuvent être collectées que "pour des finalités déterminées, explicites et légitimes". La recommandation donne ainsi une liste exhaustive de finalités pour lesquelles l'usage de la géolocalisation des véhicules est licite :
- "la contribution à la sécurité des personnes
- une meilleure gestion des moyens en personnel et en véhicules (prestations à accomplir dans des lieux dispersés)
- le suivi et la facturation d'une prestation
- le suivi de marchandises (pour les produits dangereux ou les denrées alimentaires)
- suivi du temps de travail lorsque ce suivi ne peut être réalisé par d'autres moyens"
Il n'est donc pas interdit à l'employeur d'utiliser la géolocalisation pour contrôler le respect de la durée du temps de travail. La CNIL prend soin de préciser cependant que lorsque l'employé est autorisé à utiliser son véhicule à des fins privées, il doit avoir la possibilité de désactiver le système de géolocalisation à l'issue de son temps de travail.
La soumission aux règles du droit commun
Si la géolocalisation des véhicules est licite, y compris pour contrôler la durée du temps de travail, la CNIL énonce cependant que l'utilisation d'un tel système "ne saurait être justifiée" lorsque l'employé organise librement ses déplacements. La Cour, contrairement au juge d'appel, estime que ce n'est pas le cas en l'espèce. M. X., ne disposant pas du statut de VRP, était soumis au droit commun de la durée du travail. Il n'était donc pas interdit à l'entreprise de contrôler la durée effective de son temps de travail.
En revanche, la Cour de cassation va estimer le contrôle par géolocalisation illicite pour deux motifs, reposant tous deux sur le droit commun.
D'une part, elle s'appuie sur l'article L 1121-1 du code du travail qui énonce que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas "proportionnées au but recherché". La Cour de cassation, dans une décision du 26 novembre 2002, a ainsi estimé que l'usage d'une filature pour surveiller l'activité d'un salarié entraînait une atteinte manifestement disproportionnée à la vie privée, et que les résultats d'une telle pratique ne sauraient être accueillis comme éléments de preuve dans un contentieux.
D'autre part, la Cour de cassation, dans l'affaire du 8 novembre 2011, se réfère également au droit commun de la loi informatique et libertés. Car Monsieur X. est, avant tout, victime d'un détournement de finalité. Son employeur lui avait en effet affirmé que la géolocalisation du véhicule avait pour finalités l'amélioration du processus de production, et non pas le contrôle du temps de travail. Or, la recommandation de la CNIL, à laquelle l'entreprise a déclaré se conformer, précise très clairement qu'"un employeur qui utiliserait le dispositif de géolocalisation pour contrôler l'activité de ses employés alors que la finalité déclarée à la CNIL est la lutte contre le vol, commettrait un détournement de finalité". L'entreprise était donc parfaitement informée de l'illégalité de sa pratique, et le responsable risquait une peine de cinq années d'emprisonnement et de 300 000 € d'amende (art. 226-21 c. pén.).
Bien entendu, les deux éléments sont étroitement liés, car c'est au regard de la finalité du traitement que le juge va apprécier le caractère pertinent, adéquate et non excessif des données enregistrées.
La Cour de cassation remet ainsi les "pendules à l'heure", ou plutôt les horloges pointeuses. Elle rappelle à chacun que le géolocalisation n'est seulement un instrument qui peut sauver des vies lorsqu'elle permet de retrouver une personne égarée en mer ou en montagne, voire un malade atteint de la maladie d'Alzheimer. C'est aussi un redoutable outil de repérage de l'individu, susceptible de porter atteinte à la vie privée. Les intérêts de l'entreprise ne justifient pas des mesures qui s'analysent finalement comme une forme d'espionnage du salarié.
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