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mardi 18 octobre 2011

L'"immunité" du Président de la République... et de ses collaborateurs ?

La question de l'immunité du Président de la République est au coeur d'une affaire judiciaire, actuellement en délibéré devant la Cour d'Appel de Paris. Le cas d'espèce n'intéresse guère les libertés publiques mais bien davantage le droit des marchés publics. En 2007, l'Elysée a en effet passé contrat avec une société de conseil dirigée par M. Patrick Buisson pour la réalisation de sondages d'opinion. Cette convention a été signée par madame Emmanuelle Mignon, alors directrice du cabinet du Président, sans appel d'offres, sans mise en concurrence ni transparence, en écartant donc complètement les règles gouvernant les marchés publics. En juillet 2009, la Cour des comptes avait révélé que l'Elysée avait ainsi acheté pour 400 000 € d'enquêtes d'opinion, publiées par le Figaro et LCI. 

Le juge d'instruction, saisi d'une plainte pour favoritisme dans l'attribution du marché, demande évidemment communication des documents contractuels en cause, ce que l'Elysée refuse en invoquant l'immunité du Président de la République. Autrement dit, l'immunité présidentielle s'étendrait à l'ensemble des collaborateurs du Président. 

On notera d'emblée que c'est le parquet qui fait appel de la décision du juge d'instruction, le procureur ayant d'ailleurs déjà classé sans suite en 2010 une première plainte relative à ce marché au motif que l'immunité dont bénéficie le Chef de l'Etat durant son mandat "devait s'étendre aux actes effectués au nom de la Présidence de la République par ses collaborateurs". 

On voit d'abord dans cette affaire une nouvelle, et éclatante, illustration de la subordination du parquet à l'Exécutif. Mais son enjeu réside aussi dans cette volonté d'élargir le nombre des bénéficiaires de l'immunité. Les collaborateurs du Président pourraient ainsi prendre toutes sortes de décisions, y compris attentatoires aux libertés, sans avoir à en rendre compte devant les juges. Ils seraient, en quelque sorte, affranchis des contraintes de l'Etat de droit.

Les articles 67 et 68 de la Constitution

Dans l'état actuel du droit, la responsabilité du Chef de l'Etat est organisée par les articles 67 et 68 de la Constitution, dans une rédaction issue de la révision constitutionnelle du 23 février 2007, elle-même initiée par les travaux de la commission Avril. On doit observer qu'aucun des deux articles n'emploie le terme "immunité", et que les dispositions constitutionnelles organisent plutôt un système de privilège de juridiction. 


Le Président Nixon le 21 avril 1969, avec ses conseillers H.R. Haldeman et John D. Ehrlichman.
Le 3è est Donald Rumsfeld

L'article 68 organise une responsabilité politique qui prévoit la destitution du Président par le Parlement constitué en  Haute Cour. Elle ne peut intervenir qu'en cas de "manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat". Cette périphrase, préférée à l'ancienne notion de "haute trahison" permet de ne porter aucune appréciation sur l'acte éventuellement commis par le Président, pour se pencher sur la manière dont cet acte nuit à l'exercice de ses fonctions. On est alors assez proche de l'Impeachment à l'américaine. En tout cas, une loi organique doit être votée, précisant notamment les conditions de réunion de la Haute Cour. Un projet en ce sens a été présenté en Conseil des ministres le 22 décembre 2010. Il a été transmis à l'Assemblée nationale et un rapporteur a été nommé le 26 janvier 2011. Depuis cette date, on en a perdu la trace... 

L'article 67, quant à lui, rappelle l'irresponsabilité politique de principe du Président de la République. Il en tire la conséquence, sur le plan judiciaire, que le Chef de l'Etat "ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite". Il ne s'agit donc pas réellement d'immunité mais d'une suspension d'éventuelles poursuites. Le texte précise d'ailleurs que "tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu", et que les poursuites pourront être engagées ou reprises un mois après la fin du mandat présidentiel. 

C'est évidemment le privilège de juridiction de l'article 67 qui est invoqué par l'Elysée dans l'affaire en cours devant la Cour d'appel. 

Un privilège personnel du Chef de l'Etat

On serait tenté de s'étonner que les services de l'Elysée osent invoquer un élargissement de ce privilège aux collaborateurs du Président. En effet, l'article 67 commence par rappeler l'irresponsabilité politique du Président, qui ne cède que devant les dispositions de l'article 68 sur l'éventuelle saisine de la Haute Cour. Ce privilège trouve donc son origine dans la nécessité de préserver le principe de séparation des autorités, en interdisant toute  pression de l'autorité judiciaire sur le Chef de l'Exécutif. 

Ses collaborateurs en revanche ne sont mentionnés nulle part dans la Constitution, et ne sont donc pas des autorités constitutionnelles. Ce sont des agents administratifs, quel que soit leur statut, fonctionnaires ou non, qui sont soumis au pouvoir hiérarchique. Ils ne bénéficient d'aucun privilège au titre de la séparation des pouvoirs. Les considérer comme bénéficiant d'une quelconque immunité serait aussi ridicule qu'estimer que les agents administratifs travaillant dans les assemblées parlementaires participent directement au pouvoir législatif...

On doit d'ailleurs s'interroger sur les collaborateurs concernés. S'agit-il seulement des membres du Cabinet ou de tous ceux, quelle que soit leur place dans la hiérarchie, dont l'activité s'exerce au profit du Chef de l'Etat ? Verra-t-on bientôt le cuisinier de l'Elysée bénéficier d'une immunité juridictionnelle ? 

L'existence même de ce contentieux témoigne ainsi d'une volonté affirmée de se placer en dehors des règles de la responsabilité pénale,  d'un sentiment d'impunité vécu comme une sorte de privilège attribué à une classe dirigeante... On a du mal à imaginer que la Cour d'appel puisse donner crédit à une telle dérive. 

Décision le 7 novembre. 

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