A un moment où on constate un accroissement considérable du rôle des avocats dans la procédure pénale, et plus spécialement lors de la garde à vue, une décision rendue sur QPC le 9 septembre 2011, M. Hovanes A. vient opportunément rappeler que toute partie à un procès pénal a le droit de se défendre seule.
En l'espèce, la QPC portait sur l'article 175 du code de procédure pénale qui définit les règles applicables lorsque le juge d'instruction considère que ses investigations sont terminées. Il transmet alors le dossier au procureur qui dispose d'un mois si la personne poursuivie est en détention, ou de trois mois dans les autres cas, pour lui transmettre ses réquisitions motivées. Le juge d'instruction doit ensuite donner copie de ces réquisitions aux "avocats des parties", accusé et partie civile, par lettre recommandée. Les destinataires sont donc les avocats des parties, et exclusivement eux.
Qu'en est il de la personne qui n'est pas représentée par un avocat lors d'un procès pénal ? L'hypothèse est loin d'être impossible, dès lors que le recours à un avocat n'est obligatoire que devant la Cour d'assises et la Cour de cassation. Rien n'interdit donc aux parties de se défendre elles-mêmes devant le tribunal correctionnel. Hélas, aux termes de l'article 175 du cpp, celui qui a choisi cette formule ne peut avoir communication des réquisitions du procureur.
La Cour de cassation choisit de sanctionner cette discrimination en fonction du mode de défense choisi, et déclare non conforme à la Constitution cette référence aux "avocat" des parties. Il exige purement et simplement la suppression du mot "avocats", l'article 175 devant se lire désormais comme imposant au juge d'instruction l'obligation d'envoyer aux "parties" ces réquisitions.
L'intérêt de la décision réside dans le fondement choisi par le Conseil pour déclarer cette inconstitutionnalité. Il évoque en effet les droits de la défense et la règle du procès équitable mais s'appuie directement sur l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et sur le principe d'égalité devant la loi. Il rappelle que "si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au principe du contradictoire et au respect des droits de la défense". En l'espèce, rien ne justifie un traitement différencié selon que la personne se défend seule ou est défendue par un avocat. Aux termes de l'article 6, la loi doit donc "être la même pour tous".
Comme tous les bons raisonnements, celui-ci a l'avantage de la limpidité. En cela, la solution du Conseil constitutionnel s'oppose à une jurisprudence pour le moins alambiquée de la Cour européenne des droits de l'homme.
La Cour a été amenée à statuer, non pas sur la communication des réquisitions prévue par l'article 175 cpp, mais sur le principe même de la communication aux parties du dossier de l'instruction. Elle opère en sur ce sujet une distinction entre la phase d'instruction et la phase de jugement.
Au stade du jugement, les parties, accusé ou partie civile, représentées ou non par un avocat, ont le droit d'accéder à l'ensemble du dossier, solution acquise depuis un arrêt du 18 mars 1997, Foucher c. France. En l'espèce, l'accusé faisait cependant l'objet d'une citation directe, et il n'y avait pas de phase d'instruction proprement dite. Cette solution avait été confirmée par un arrêt Menet c. France du 14 juin 2005, qui concernait cette fois l'accès de la partie civile au dossier d'instruction. La Cour fait donc, dans ce cas, prévaloir le principe de l'égalité des armes figurant à l'article 6 de la Convention.
Au stade de l'instruction, la jurisprudence est plus restrictive. La cour estime en effet que les Etats peuvent décider de limiter l'accès au dossier d'instruction aux seuls avocats. Dans l'affaire Frangy c. France du 1er février 2005, elle fait en effet prévaloir le secret de l'instruction sur l'égalité des armes. Elle observe en effet que l'accusé ou les parties civiles ne sont pas soumises au secret professionnel, alors que leurs avocats le sont. Afin de préserver cette confidentialité, la Cour estime donc possible de limiter aux avocats ce droit d'accès, quand bien même la loi du 30 décembre 1996 autorise, sous certaines conditions et avec l'accord du juge d'instruction, la communication de certaines pièces par l'avocat à son client. La Cour européenne choisit donc de faire prévaloir le secret de l'instruction sur l'égalité des armes, choix hautement discutable et qu'elle ne justifie pas réellement dans sa décision.
Sur ce plan, le Conseil constitutionnel a le mérite de rendre une solution de bon sens, en rappelant que le principe d'égalité devant la loi doit l'emporter sur toute autre considération.
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