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mercredi 20 août 2025

Les Invitées de LLC - Hannah Arendt - La liberté d'être libre

A l'occasion des vacances, Liberté Libertés Chéries invite ses lecteurs à retrouver les grands textes des libertés publiques. Pour comprendre le droit, il est en effet nécessaire de lire ou de relire ceux qui en ont construit le socle historique et philosophique. Les courts extraits qui seront proposés n'ont pas d'autre objet que de susciter une réflexion un peu détachée des contingences de l'actualité, et de donner envie de lire la suite. 

Les choix des textes ou citations sont purement subjectifs, détachés de toute approche chronologique. Bien entendu, les lecteurs de Liberté Libertés Chéries sont invités à participer à cette opération de diffusion de la pensée, en faisant leurs propres suggestions de publication. Qu'ils en soient, à l'avance, remerciés.
 
Aujourd'hui, nous invitons Hannah Arendt, avec un texte peu connu, "La liberté d'être libre". Petit ouvrage de 70 pages, probablement écrit en 1966 ou 1987, a été retrouvé dans le Fonds Arendt de la Bibliothèque du Congrès à Washington, en 2003.
 

 

Hannah ARENDT

La liberté d'être libre

circa 1966

 

 

 


 

Précisément parce que les révolutions posent la question de la liberté politique sur le mode le plus réel et le plus radical – liberté de participer aux affaires publiques, liberté d’action –, toutes les autres libertés politiques et civiles sont menacées quand les révolutions échouent. Les révolutions déformées, comme la Révolution d’octobre sous Lénine, ou les révolutions avortées, comme les divers soulèvements dans les pays d’Europe centrale après la Première Guerre mondiale, peuvent avoir, comme nous le savons, des conséquences d’une horreur sans précédent. 

Le problème est que les révolutions sont rarement réversibles, et qu’une fois qu’elles ont eu lieu elles ne peuvent pas être oubliées, comme le disait Kant à propos de la Révolution française à une époque où la terreur régnait en France. Cela ne signifie pas forcément que le mieux serait de prévenir les révolutions, car si celles-ci sont les conséquences de régimes en pleine désintégration, et non pas le « produit » des révolutionnaires – qu’ils soient organisés en sectes de nature conspiratrice ou en partis –, empêcher une révolution signifie changer la forme du gouvernement, ce qui signifie à son tour effectuer une révolution avec tous les dangers que cela suppose. 

L’effondrement de l’autorité et du pouvoir, qui en règle générale survient avec une soudaineté surprenante non seulement pour les lecteurs des journaux, mais pour les services secrets et leurs experts qui en sont témoins, ne devient une révolution au plein sens du terme que lorsqu’il existe des gens désireux et capables de recueillir le pouvoir et, pour ainsi dire, de pénétrer au cœur de la vacance du pouvoir. 

Ce qui se passe alors dépend de nombreux facteurs, dont la capacité des puissances étrangères à comprendre le caractère irréversible des pratiques révolutionnaires. Mais cela dépend avant tout de qualités subjectives et du succès ou de l’échec moral et politique de ceux qui sont disposés à assumer la responsabilité du pouvoir. Nous avons peu de raisons d’espérer qu’à un moment quelconque dans un avenir assez proche, ces hommes auront la même sagesse pratique et théorique que les hommes de la Révolution américaine, qui devinrent les fondateurs de ce pays. Mais je crains que ce petit espoir soit le seul qui nous reste que la liberté au sens politique ne sera pas à nouveau effacée de la surface de la terre pour Dieu sait combien de siècles. 

 




 

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