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mercredi 13 août 2025

La "loi Philippine" victime du Conseil constitutionnel


Personne n'a oublié la jeune Philippine, étudiante de dix-neuf ans, tuée à l'automne 2024 par un Marocain déjà condamné pour viol et faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire (OQTF). L'émotion suscitée par cet évènement est à l'origine de la "loi Philippine", visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d'une particulière gravité et présentant de forts risques de récidives. Dans sa décision du 7 août 2025, le Conseil constitutionnel censure partiellement ce texte, jugeant disproportionnée l'allongement possible à 210 jours de la rétention administrative avant éloignement des étrangers condamnés pour une infraction grave ou dont la présence sur le territoire constitue "une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public".

La décision n'a pas provoqué beaucoup de réactions, en quelque sorte cachée par celle sur la loi Duplomb, rendue le même jour.  Elle mérite pourtant que l'on s'y attarde.

 

Les dispositions validées

 

Observons d'abord qu'une bonne partie de la loi est validée. Le Conseil admet ainsi le relevé d'empreintes digitales et la prise de photographies lorsque l'étranger est placé en rétention. Ces pratiques ont pour objet d'identifier les étrangers concernés et elles sont conformes à la finalité de lutte contre l'immigration irrégulière. 

De même admet-il le placement en rétention des demandeurs d'asile. Cette fois, il s'agit de corriger une première censure du Conseil intervenue par une QPC du 23 mai 2025. Il sanctionnait alors le placement en rétention d'un demandeur d'asile en raison d’une menace à l’ordre public ou d’un risque de fuite, décision prise en dehors de toute procédure d'éloignement, et donc en dehors en dehors de la procédure contradictoire qui l'accompagne. Dans la loi Philippine, le législateur ne change pas la norme, mais impose une motivation plus substantielle de la décision de rétention. La menace pour l'ordre public doit être caractérisée et suffisamment grave pour justifier une privation de liberté. Le Conseil valide ainsi la rétention des demandeurs d'asile, à la condition qu'elle soit motivée au cas par cas. On comprend que cette motivation a aussi pour objet de permettre au juge d'exercer son contrôle des motifs.

 


Astérix chez les Goths. René Goscinny et Albert Uderzo. 1963 

 

La rétention des étrangers

 

En ce qui concerne la rétention, la loi Philippine étendait largement la durée de rétention de 210  jours auparavant limitée aux personnes condamnées pour des faits liés au terrorisme. La loi se proposait d'appliquer cette durée aux étrangers ayant déjà purgé leur peine ou non pénalement condamnés pour des infractions graves, ainsi que ceux remis en liberté par le juge, le temps de l'appel du ministère public ou de l'administration.  

La rétention des étrangers n'est pas une procédure nouvelle. Elle est mise en oeuvre lorsque l'administration  veut faciliter l'éloignement d'un étranger qui est sur le territoire. A cet égard, elle ne doit pas être confondue avec le maintien en zone d'attente, qui est utilisé lorsqu'il s'agit d'empêcher l'entrée sur le territoire. Les zones d'attente sont donc placées dans les aéroports, les gares, les ports, voire sur les lieux mêmes de la découverte d’un groupe de ressortissants étrangers.

Les centres de rétention administrative (CRA) sont, quant à eux, répartis sur l'ensemble du territoire. Ils disposent d'une capacité d’accueil de 2188 places. Plus de 40 000 personnes y ont été placées en 2024, soit 16 000 en France métropolitaine et 24 000 outre-mer. Les étranges sont placés dans les CRA dans plusieurs hypothèses. Soit ils sont en situation irrégulière et, visés par une obligation de quitter le territoire (OQTF), ils doivent faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière. Soit leur présence en France constitue une menace pour l'ordre public et ils doivent faire l'objet d'une expulsion. Dans tous les cas, ils sont retenus le temps d'organiser leur départ. La longueur des séjours dans les CRA est donc généralement liée à la mauvaise volonté des autorités consulaires des États où ils doivent être renvoyés.

De la loi du 6 juillet 1992 à celle du 26 janvier 2024, les législations se sont succédé à un rythme soutenu et vont dans le sens d’un renforcement constant des possibilités de rétention. La loi présentée comme une sorte de riposte au meurtre de Philippine s'inscrit donc dans un mouvement plus général qui n'a rien de conjoncturel. 

 

Le contrôle de la durée de rétention

 

Dans l'état actuel du droit, la durée de rétention, en dehors des cas de terrorisme, peut aller jusqu'à 90 jours, avec des périodes segmentées au-delà des quatre premiers jours, d'abord 26 jours, puis 30, et enfin deux fois 15 jours. A chaque renouvellement, les conditions deviennent plus rigoureuses, imposant notamment une motivation de plus en plus substantielle. 

 

Dans sa décision du 9 juin 2011, le Conseil constitutionnel avait appliqué à l'étranger qui ne peut immédiatement quitter le territoire le principe issu de l'article 66 de la Constitution, selon lequel la liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit pas nécessaire. La loi doit ainsi opérer une conciliation entre ce principe et les nécessités de l'ordre public, ce qui signifie que la mesure de rétention doit être proportionnée à cette finalité. A l'époque, il s'agissait d'une rétention de 180 jours pour les auteurs d'infractions terroristes. Le Conseil avait alors admis la proportionnalité de cette mesure, car elle concernait des personnes condamnées par le juge pénal à une peine d'interdiction du territoire ou qui faisaient l'objet d'un arrêté d'expulsion motivé par ces activités terroristes pénalement constatées. La proportionnalité de la mesure était donc appréciée à la lumière de l'intervention du juge pénal.

 

Dans sa décision du 7 août 2025, le Conseil constitutionnel précise les motifs de sa déclaration d'inconstitutionnalité. D'une part, l'allongement de la durée de rétention s'applique certes aux étrangers condamnés à une peine d'interdiction du territoire, mais elle s'applique à des infractions qui ne sont pas d'une particulière gravité et à des condamnations qui n'ont pas nécessairement un caractère définitif. D'autre part, elle s'applique à des étrangers définitivement condamnés pour des infraction précises, mais l'administration n'est pas tenue d'expliquer dans quelle mesure l'étranger qui a purgé sa peine constitue encore une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public. Sur ce double fondement, le Conseil déclare l'allongement de la rétention à 210 jours disproportionné. Au-delà de cette analyse, on peut se demander si la réticence du Conseil ne s'explique par une tendance à exclure le juge judiciaire de la procédure au profit d'une approche purement administrative. Or, selon l'article 66 de la Constitution, le juge judiciaire est le gardien de la liberté individuelle.

 

Ces motifs peuvent évidemment être discutés, et la décision du Conseil va, comme toujours, être dénoncée comme emportant une atteinte insupportable aux droits du parlement. En réalité, si on lit la décision, on s'aperçoit que le parlement peut parfaitement voter un allongement de la durée de rétention à 210 jours. Il lui est surtout demandé, exactement comme dans la décision du 23 mai 2025 pourtant relativement fraiche dans la mémoire des rédacteurs du texte, de motiver soigneusement une telle mesure. Or, la proportionnalité s'apprécie par rapport à la finalité du texte, et la loi Philippine a été présentée comme ayant pour objet de lutter contre l'immigration irrégulière, pas de lutter contre la criminalité. 

 

Certes, de nombreux discours ont affirmé que si ce texte avait existé au moment des faits, la malheureuse Philippine serait encore vivante. Peut-être son assassin aurait-il été encore en rétention à la date où le meurtre a été commis, mais le problème, une nouvelle fois, était celui de l'obtention des documents consulaires indispensables à son éloignement. Qui peut dire que ces documents auraient été obtenu à l'issue d'un délai de 210 jours ? Si tel n'était pas le cas, il aurait simplement été libéré à l'issue.

 

Reste alors à se poser une vraie question. La lutte contre l'immigration irrégulière passe-t-elle par l'allongement de la durée de rétention, ou par le raccourcissement du délai d'éloignement ? Pour permettre un éloignement rapide, il faudrait pouvoir imposer à certains États le retour de leurs ressortissants. Les hésitations des autorités françaises à l'égard du problème algérien montrent que il n'est pas près d'être résolu, et il est loin de concerner uniquement l'Algérie. C'est ainsi que le Maroc, pays dont l'assassin de Philippine est ressortissant, a accepté en 2024 le retour d'environ 8 % des personnes faisant l'objet d'une reconduite ou d'une expulsion.


La rétention des étrangers : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 4,  section 2 § 2 A 

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