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mercredi 9 juillet 2025

Quelques précisions sur le contrôle du pluralisme dans les médias audiovisuels



L'arrêt rendu par le Conseil d'État le 4 juillet 2025 a clairement pour objectif de donner des précisions sur la manière dont l'Autorité de régulation des communications (Arcom) doit contrôler l'exigence de pluralisme des courants d'opinion dans les médias audiovisuels, telle qu'elle est imposée par la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.. Pour le juge, l'Arcom doit seulement vérifier qu'il n'existe pas de déséquilibre manifeste et durable dans l'expression des courants de pensée et d'opinion. Il ne lui appartient pas de qualifier les participants aux programmes ou de les classer au regard de leurs convictions ou appartenances politiques.

En l'espèce, l'association Cercle Droit et Liberté, regroupant des avocats et juristes plutôt engagés à droite, a demandé à l'Arcom de mettre en demeure 9 chaînes de télévision et 5 radios de modifier la liste de leurs intervenants dans leurs programmes pour donner à chaque courant d'opinion un temps de parole proportionnel à son poids dans la société française. L'Arcom a écarté cette requête et l'association a donc saisi le juge administratif de cette décision de refus. Dans son arrêt du 4 juillet 2025, le Conseil d'État confirme sa légalité.

 

L'arrêt du 13 février 2024

 

On comprend que la requête adressée à l'Arcom visait surtout à manifester un fort mécontentement après l'arrêt Reporters Sans Frontières rendu le 13 février 2024. Le Conseil d'État avait alors jugé que l'Arcom devait prendre en considération la diversité des courants de pensée et d'opinions représentés par l'ensemble des participants aux programmes diffusés pour apprécier le respect par une chaîne de télévision des principes d'indépendance et de pluralisme de l'information. Concrètement, il enjoignait  à l'Arcom de revoir ses modalités de contrôle de CNews pour intégrer les temps de parole non seulement des personnalités politiques, mais aussi les interventions des chroniqueurs, animateurs et invités.

Après cette décision, l'Arcom a adopté, le 17 juillet 2024 une délibération relative au respect du principe de pluralisme des courants de pensée et d'opinion par les éditeurs de services. Elle précise que l'autorité indépendante « s'assure que l'expression des courants de pensée et d'opinion ne soit pas, au regard de l'exigence de diversité, affectée par un déséquilibre manifeste et durable, en particulier dans les programmes d'information et les programmes concourant à l'information. Elle prend en compte dans cette appréciation les interventions de l’ensemble des participants aux programmes diffusés ». Le contrôle consiste donc dans une évaluation globale, qui s'apparente, mutatis mutandis, à un contrôle de l'erreur manifeste. 

 

 

Les Indégivrables. Xavier Gorce. 26 octobre 2012 

 

Le mode d'emploi du contrôle 

 

L'arrêt du 4 juillet 2025 pourrait être présenté comme n'ayant qu'un intérêt limité, les chances de succès du recours étant fort réduites. Il n'en demeure pas moins que c'est la première fois que le Conseil applique et précise sa jurisprudence Reporters sans Frontières. Sans surprise, il reprend la formulation figurant dans la délibération de juillet 2024, en affirmant que l'Arcom doit vérifier l'absence de "déséquilibre manifeste et durable" au regard de l'exigence de pluralisme, notamment dans les émissions d'information. De manière un peu plus précise, il donne ensuite à l'Arcom une sorte de mode d'emploi de ce contrôle. L'autorité doit ainsi procéder à un examen de l'ensemble de la programmation

Elle précise également la méthode à employer par l’Arcom, à qui il appartient de procéder à un examen de l’ensemble de la programmation. Le Conseil d'État impose ainsi que la "période soit suffisamment longue" pour que l'Arcom puisse porter une appréciation globale sur la diversité des points de vue exprimés. Sera, par exemple, considéré comme un tel déséquilibre le fait d'ouvrir systématiquement l'antenne aux heures de grande écoute aux politiques d'une tendance, pour renvoyer ceux d'une autre tendance à la trancher horaire de 2 heures à 3 heures du matin. Un tel contrôle impose un examen sur une certain durée, mais n'exige pas d'étiqueter chaque intervenant de manière systématique. Il s'agit concrètement de procéder à un sondage avec un échantillon représentatif de la ligne éditoriale de la chaîne.

En conséquence, le Conseil d'État écarte le recours du Cercle Droit et Liberté au motif qu'il n'appartient pas à l'Arcom d'enjoindre à des chaînes de télévision ou à des radios de modifier la liste de leurs intervenants pour garantir le respect du pluralisme. Pour qu'une telle injonction puisse intervenir, il faudrait, en effet, au préalable, que l'Arcom dresse elle-même la liste des intervenants et les qualifie par appartenance politique. Or précisément le Conseil d'État déclare que l'Arcom n'est pas compétente pour se livrer à une telle opération. De fait, il ne se prononce pas sur la programmation de ces chaînes.

 

La question de la preuve

 

Le Conseil d'État aurait-il pu en juger autrement ? Oui, et il le dit lui-même, en affirmant que les requérants ne produisent aucun élément de preuve visant à montrer que ces télévisions et ces radios souffrent d'"un déséquilibre manifeste et durable" en matière de pluralisme. Aucun relevé de temps de parole, aucune analyse de la programmation, rien ne vient appuyer leur revendication. A leurs yeux, certaines chaînes et radios sont d'épouvantables gauchistes, sans qu'il soit besoin de le démontrer. Chiche ? leur dit le Conseil d'État. Démontrez-le et l'injonction pourrait évidemment intervenir.

Bien entendu, on pourra objecter que le contrôle de l'Arcom n'est pas satisfaisant car il est bien délicat de s'assurer du respect du pluralisme. Une chaîne de droite s'affirme comme centriste et une chaîne de gauche comme apolitique, ou l'inverse. Mais, en l'état actuel du droit, le décompte précis des temps de parole ne s'applique qu'en période électorale. Une stricte égalité est imposée durant la campagne officielle. Dans la période qui précède, et qui est globalement celle prise en compte pour les contraintes de financement, les critères sont plus flous, et l'appréciation des temps de parole repose sur l'audience de chaque tendance politique, favorisant les grands partis au détriment des petits. L'arrêt du 4 juillet 2025 porte sur les périodes non-électorales, celles qui précisément sont moins encadrées par le droit. La question se pose alors de savoir s'il faut légiférer, ce qui entraine une autre question, celle de la reconnaissance des chaines d'opinion à côté des chaines d'information.

 

Le principe de pluralisme : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 9,  section 2 § 2 B

 

 

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