L'expression politique est licite dans l'enseignement supérieur. Le juge des référés, statuant en formation collégiale, du tribunal administratif de Paris le rappelle dans une ordonnance du 21 novembre 2024. Il suspend ainsi la décision prise par le nouveau directeur de l'Institut politique de Paris, Luis Vassy, le 18 novembre 2024, refusant à l'association Students for justice in Palestine Sciences Po refusant l'autorisation de tenir une conférence intitulée Conference on International Humanitarian Law and geostrategics perspectives of the arms embargo. Cette conférence devait être assurée par l'eurodéputée de La France Insoumise, Rima Hassan.
On sait que Rima Hassan, franco-palestinienne, tient souvent des propos polémiques sur la politique israélienne et le conflit à Gaza. Elle fait actuellement l'objet d'une enquête pour apologie du terrorisme, après avoir déclaré dans une interview qu'il était "vrai" que le Hamas mène une action légitime. Elle assure que ses propos ont été tronqués et sortis de leur contexte et l'instruction pénale est bien loin d'être achevée. A ce stade, elle n'a donc fait l'objet d'aucune condamnation et il est évident qu'une éventuelle interdiction ne saurait reposer sur ce fondement, Rima Hassan étant présumée innocente.
Quoi qu'il en soit, plusieurs présidents d'Universités et d'établissements d'enseignement supérieur ont refusé d'autoriser ses interventions. A Strasbourg, à Lille, à Dauphine, des conférences de Rima Hassan ont été interdites. A Sciences Po Paris, le président invoque un "risque fort de troubles à l'ordre public". Il précise à l'audience qu'il redoute une occupation illégale des locaux que pourrait susciter cette conférence, ainsi que les heurts qui pourraient en résulter, provenant notamment de contre-manifestants.
Le pouvoir de police du président de l'établissement
La loi Pécresse du 10 août 2007 affirme que le président "est responsable du maintien de l'ordre et peut faire appel à la force publique dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État" (art. L 712-é c. éduc.). Ce texte confère ainsi un fondement législatif au décret du 31 juillet 1985 relatif à l'ordre dans les enceintes et locaux des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, qui précise que "le président d'Université (...) est responsable de l'ordre et de la sécurité dans les enceintes et locaux affectés à titre principal à l'établissement dont il a la charge".
Ce pouvoir de police ne peut donc reposer que sur une éventuelle menace pour l'ordre public. Les décisions prises sur son fondement font donc l'objet d'un contrôle maximum du juge administratif.
Peut-on encore rire de tout ? Cabu. 2012
La libre expression des étudiants
Cette menace est appréciée à l'aune des libertés dont disposent les étudiants. Ce sont eux, et eux seuls, qui peuvent être considérés comme des usagers du service public.
La loi du 26 janvier 1984 énonce que "le service public de l'enseignement supérieur (...) respecte la diversité des opinions" (art. L 141-6 c. éduc.). L'article L 811-1 de ce même code de l'éducation précise que les usagers de l'enseignement supérieur "disposent de la liberté d'information et d'expression à l'égard des problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels. Ils exercent cette liberté à titre individuel et collectif dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux activités d'enseignement et de recherche et qui ne troublent pas l'ordre public". Ces dispositions ne sauraient s'appliquer à Rima Hassan qui, en l'espèce, n'a pas la qualité d'usager du service public. Le juge des référés déclare donc son recours irrecevable, ajoutant d'ailleurs que sa liberté d'expression n'est pas atteinte puisqu'elle peut s'exprimer dans d'autres enceintes.
En revanche, la décision du président de Sciences Po entraine une ingérence dans la liberté d'information et d'expression des étudiants qui, eux, sont usagers du service public. Leur requête est donc recevable, et le juge sanctionne l'absence de proportionnalité entre la décision de refus d'autorisation et la menace que représentait la conférence pour l'ordre public.
Des éléments circonstanciés
Sur ce point, la décision n'est guère surprenante. Le juge des référés observe que Sciences Po Paris a en effet été confronté à des actions illégales, occupations, blocages ou sit-in, au printemps et à l'automne 2024 par des "étudiants pro-palestiniens". Mais il note que ces actions se sont déroulées à des dates particulières considérées comme symboliques, Journée de la Palestine, match France-Israël, voire Forum des carrières... Une conférence n'a jamais donné lieu à des violences, du moins si l'on en croit les éléments communiqués au juge. De même, l'IEP fait état d'altercations qui se seraient produites aux alentours des bâtiments, en utilisant un conditionnel qui montre que ces faits ne sont pas établis. In fine, aucun élément versé à l'instance ne révèle l'existence d'une menace directe pesant sur la conférence de Rima Hassan.
La jurisprudence exige en effet des "éléments circonstanciés" de nature à justifier un refus d'autorisation, et c'est précisément ce qui fait défaut.
La décision, sur ce point, est absolument identique à celle rendue par le juge des référés du Conseil d'État le 6 mai 2024. à propos du refus d'autorisation d'une conférence organisée par le Comité Palestine de Paris-Dauphine, faisant également intervenir Rima Hassan. A l'époque, le président de l'Université avait allégué de menaces à l'ordre public, sans davantage de précisions, ajoutant qu'il était difficile d'y faire face... car il y avait des travaux dans la cour d'honneur. Le juge affirme que ces arguments ne sont pas suffisamment circonstanciés pour fonder l'interdiction de la réunion.
Le juge des référés du tribunal administratif de Paris s'est donc borné à appliquer à la réunion de Sciences Po la jurisprudence mis en oeuvre par le juge des référés du Conseil d'État à propos de la situation à Dauphine.
La situation était donc parfaitement identique, et la décision du 21 novembre 2024 était parfaitement prévisible. Et comme à Dauphine où le juge avait enjoint au président d'autoriser la réunion dans un délai de trois semaines, il est enjoint au président de Sciences Po de prévoir une nouvelle réunion, et de "déterminer, dans les meilleurs délais, la nouvelle date envisagée".
La circulaire Hetzel
Sans doute Luis Vassy s'est il senti conforté par la circulaire du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Patrick Hetzel, publiée le 4 octobre 2024. Elle met en garde les présidents d'Université contre les "manifestations de nature politique en lien avec le conflit au Proche-Orient" et les incite à user de leur pouvoir de police. Elle ne leur demande pas, en revanche, d'aller à l'encontre des textes en vigueur.
On ne doute pas que Luis Vassy a voulu montrer à ceux qui l'avaient nommé, et peut être à ses camarades de promotion de l'ENA, qu'il reprenait en main l'établissement et se chargeait d'y rétablir l'ordre. L'intention est sans doute louable.
Mais il n'aura tout de même pas échappé à un établissement qui prétend disposer d'une Ecole de droit où l'élite des professeurs dispense un enseignement destiné à l'élite des étudiants, que la circulaire est assez nettement inférieure à la loi et qu'elle ne saurait aller à son encontre. N'importe quel étudiant ou professeur famélique et besogneux d'un établissement public sait cela, comme il sait qu'avant de refuser une autorisation, il n'est souvent pas inutile de consulter la jurisprudence récente du Conseil d'État.
La liberté d'expression : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 9
Votre exégèse de cette ordonnance du juge des référés ne prête à aucune contestation sur le plan de la continuité de la jurisprudence administrative. Sur tous les points soulevés (pouvoir de police du président de l'établissement, libre expression des étudiants, éléments circonstanciés et circulaire Hetzel), le raisonnement est implacable. Mais, toute médaille a son revers.
RépondreSupprimer- Toutefois, nous vous trouvons un peu sévère à l'égard de Luis Vassy. Ce diplomate de formation (normalien, énarque, parfait exemple de la méritocratie républicaine) entend faire en sorte que Sciences Po redevienne une école des savoirs et perde sa réputation sulfureuse de zone de non-droit et de chahut organisé par une minorité agissante dont l'objectif n'est pas de faire triompher le droit. Peut-on le lui reprocher ? Qui plus est, s'il veut retrouver un certain nombre de financements privés, il doit remettre de l'ordre dans sa boutique.
- Il est des moments douloureux dans l'Histoire où le droit appliqué dans toute sa rigueur, sa raideur, parfois son idéologie peut devenir un carcan insupportable pour le commun des mortels. Le niveau de défiance croissant des citoyens à l'égard de l'autorité judiciaire en est la marque la plus significative. Pour avoir déserté la France et avoir rejoint Londres en juin 1940, le général de Gaulle est condamné à mort par contumace sur la base de solides arguments juridiques. Il n'est nullement besoin de rappeler la suite.
- Si la démarche des plaignants était celle d'authentiques démocrates attachés à la défense de l'état de droit, nous ne trouverions rien à redire à cette décision administrative. Or, ce n'est pas le cas. Rima Hassan est la passionaria de LFI. Ce parti au sein duquel ne règne pas la plus grande vie démocratique (Cf. les confessions de François Ruffin), vient une fois de plus de se faire remarquer par le dépôt d'une proposition de loi visant à abolir le délit d'apologie du terrorisme au nom de la liberté d'expression. Telle est la face cachée - mais bien visible - d'un parti qui utilise les lacunes du droit pour le mettre à mal. Nos comiques du Conseil d'Etat devraient peut-être s'en souvenir, eux dont la conduite sous le régime de Vichy n'a pas été irréprochable. C'est le moins que l'on puisse dire !
En conclusion, à tort ou à raison, sur un plan général dépassant le strict cadre du droit positif, nous estimons que la démarche du nouveau directeur de Sciences Po est à tout le moins explicable. Elle pourrait se résumer par la formule : une quête de justice contre la Justice.