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jeudi 14 novembre 2024

GPA : La filiation du parent d'intention enfin simplifiée


La première chambre civile de la Cour de cassation reconnaît, dans un arrêt du 14 novembre 2024, que l'absence de lien biologique entre un enfant né par gestation pour autrui (GPA) à l'étranger et son parent d'intention ne heurte aucun principe essentiel du droit français. La filiation, dès lors qu'elle a été légalement établie dans le pays où s'est déroulée la GPA, peut donc être reconnue par la France.

Une femme seule s'est rendue au Canada pour bénéficier d'une GPA. L'enfant a été conçu par fécondation in vitro, à partir des gamètes de deux donneurs, porté ensuite et mis au monde par une mère porteuse. En d'autres termes, la femme qui a eu recours à la GPA n'a aucun lien biologique avec l'enfant. Conformément au droit canadien, une décision des juges de ce pays l'a déclarée mère légale de l'enfant.

Mais cette filiation n'était valide qu'au Canada. Pour l'établir en France, la mère d'intention a utilisé la procédure judiciaire d'exequatur. Concrètement, il s'agit, pour le juge français, de reconnaître et d'exécuter une décision de justice étrangère. En l'espèce, la requérante a obtenu des décisions favorables des juges du fond, mais le procureur près la Cour d'appel a déposé un pourvoi devant la Cour de cassation. Celle-ci précise deux points essentiels, et oppose ainsi une fin de non-recevoir aux arguments traditionnellement développés par ceux qui veulent sanctionner celles et ceux qui recourent à la GPA en les privant du lien de filiation avec l'enfant né de cette pratique.


L'ordre public international


Le premier moyen développé, d'ailleurs très souvent invoqué, repose sur l'idée que la GPA n'étant pas conforme à l'ordre public français, tous les actes ultérieurs définissant le statut juridique de l'enfant sont, en quelque sorte, entachés d'une illégalité à la fois originelle et définitive.

Il est parfaitement exact que la GPA n'est pas conforme à l'ordre public français. L’article 16 al. 7 du code civil énonce que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». Certes, mais cela ne signifie pas que les juges français de l'exequatur soient tenus de rejeter le jugement d'une juridiction étrangère statuant sur une procédure qui, dans l'État considéré, est parfaitement licite. 

Sur ce point, la Cour de cassation fait une distinction claire entre l'ordre public interne et l'ordre public international. Et précisément, celui-ci impose le respect du principe selon lequel l'intérêt supérieur de l'enfant doit guider toutes les décisions le concernant. 



Représentation archaïque d'une fécondation in vitraux

Le Chat. Gelück


L'intérêt supérieur de l'enfant


La Cour de cassation a mis du temps à accepter de prendre en considération l'intérêt supérieur de l'enfant né par GPA. Chaque évolution dans ce domaine a été initiée par la jurisprudence européenne.

La première étape a été la reconnaissance de la filiation du parent biologique avec la célèbre affaire Mennesson. Dans deux décisions du 26 juin 2014 Mennesson c. France et Labassee c. France, la CEDH sanctionne ainsi le droit français qui refusait la transcription de l’état civil de jumelles nées par GPA aux Etats-Unis. Or la GPA avait eu lieu à la demande d'un couple hétérosexuel, le père ayant donné ses gamètes. La filiation avec le père, en l'espèce le père biologique, a finalement été reconnue par la Cour de cassation le 3 juillet 2015.

La seconde étape, plus complexe, est celle de la reconnaissance de la filiation du parent d'intention, celui qui, par hypothèse, n'a aucun lien biologique avec l'enfant. Dans quatre arrêts du 5 juillet 2017, la Cour de cassation ne lui permettait qu'une adoption simple, dont on sait qu'elle ne supprime donc pas tous les liens avec la mère porteuse. 

La CEDH, sollicitée pour avis le 10 avril 2019, consacre un droit de ces enfants à la filiation maternelle, mais laisse les États choisir entre la transcription directe dans l’état civil ou l’adoption. S’appuyant sur cet avis, elle précise ensuite, dans un arrêt D. B. c. Suisse du 22 novembre 2022,  que ce droit à la filiation doit bénéficier au second parent d’intention, y compris le membre d’un couple homosexuel.

Il est donc désormais acquis, largement grâce à la jurisprudence européenne que la naissance d'un enfant par GPA ne peut, à elle seule, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée, faire obstacle à la reconnaissance en France des liens de filiation établis à l'étranger tant à l'égard du parent biologique qu'à l'égard du parent d'intention. L'arrêt du 14 novembre 2024 s'analyse ainsi comme un ralliement plein et entier de la Cour de cassation au libéralisme de la jurisprudence européenne. 

En témoigne évidemment l'abandon total de la jurisprudence ancienne qui considérait que le parent d'intention devait se contenter d'une adoption simple. La Cour de cassation affirme désormais très clairement que la filiation établie par le jugement d'exequatur ne saurait être assimilé à une adoption. Elle rappelle d'ailleurs qu'aucun principe de droit français ne se trouve heurté par l'absence de lien biologique entre l'enfant et le parent. Les filiations non conformes à la réalité biologiques ont toujours existé, qu'il s'agisse de l'assistance médicale à la procréation avec donneur ou tout simplement de la reconnaissance d'un enfant sans avoir avec lui de lien biologique.

La décision du 14 novembre 2024 est le résultat d'une lente évolution, et l'on connaît les réticences de la Cour de cassation qui a longtemps refusé de considérer l'intérêt supérieur de l'enfant, préférant considérer que la gestation pour autrui avait pour conséquence l'illicéité de tous les actes postérieurs concernant son statut juridique. Cette application absolutiste de l'adage Fraus omnia corrumpit est aujourd'hui un souvenir déjà lointain. Le dialogue des juges a été fructueux et la Cour de cassation s'est ralliée à la position européenne, d'autant qu'elle reflétait l'évolution des moeurs. La GPA demeure interdite, mais les enfants qui sont nés de cette pratique n'ont pas à en subir les conséquences, leur vie durant. Ce sont eux qui ont gagné le droit de vivre leur vie d'enfant, avec leurs parents, c'est à dire avec ceux qui les élèvent et veillent sur eux.


5 commentaires:

  1. Votre commentaire est comme toujours très limpide mettant en exergue les deux points importants qui faisaient encore débat, à savoir l'ordre public international et l'intérêt supérieur de l'enfant. Par ailleurs, le dessin de Gelück est coquin à souhait.

    Ceci étant dit, et sans remettre en question la fécondation in vitro, qui relève selon nous plus d'un choix personnel que d'un choix de société (a-t-elle été consultée par referendum pour savoir ce que la volonté majoritaire pense du sujet ?), plusieurs questions méritent d'être posées.

    - La première est récurrente sur tous ces grands arrêts de principe (structurels). Les deux concepts mis en avant peuvent objectivement être interprétés, en toute bonne foi, à l'opposé de ce que retient la Cour de Cassation.

    - La deuxième a trait à cette manie de vouloir - au titre de la culture de la norme - tout enfermer dans un droit rigide, y compris des questions qui relèvent selon nous de la vie privée, intime. A quand l'édiction de règles - un peu ce qui se passe aux Etats-Unis - portant sur le comportement des couples ou autres dans la chambre à coucher ? Qui détient la vérité révélée sur ce sujet hautement inflammable ?

    - La troisième porte sur le pouvoir des juges dans des domaines si intimes et personnels. Ce qui rejoint notre remarque précédente. Où doit et peut s'arrêter le gouvernement des juges sur certaines questions qui ne concernent pas au premier chef la Société ? Quid des réquisitoires du parquet sur ce sujet présentés au nom de la Société ? Qu'en sait-il ?

    Le droit est une politique qui a réussi. Est-ce bien le cas sur ce sujet ? La tornade Trump pourrait avoir des conséquences en la matière sur le vieux continent ... Une de plus !

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  2. Il y a une erreur dans votre commentaire. Vous dites :
    "La filiation avec le père, en l'espèce le père biologique, a finalement été reconnue par la Cour de cassation le 3 juillet 2015."
    Absolument pas. La famille Mennesson a toujours refusé une filiation tronquée. C'est elle qui a sollicité l'avis de la CEDH (obtenu le 10/01/2019). Et c'est avis qui a fait basculer la jurisprudence de la cour de cassation le 04/10/2019 en reconnaissant la filiation envers les DEUX parents. Les arrêts du 2 octobre et du 14 octobre 2024 n'en sont que le prolongement.

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  3. RENOUX Thierry Serge18 novembre 2024 à 19:36

    L’observation ci-dessus relative à l’établissement de la filiation pour les deux parents est nécessaire et pertinente : non seulement le père mais également la mère d’intention (Sylvie Mennesson) a toujours refusé d’établir la filiation à l’égard de sa fille en utilisant l’adoption.
    1)La situation de la filiation établie pour la mère d’intention était déjà réelle dans cette affaire. Elle a été unique compte tenu de l’évolution de la législation avec la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique. La portée de cette loi en matière de GPA a été précisée par la Cour de cassation (Cass. Civ.1ère Ch., 2 octobre 2024, n° 23-50.002). Désormais, pour que le lien de filiation d’un enfant né d’une gestation pour autrui à l’étranger soit reconnu en France, il faut que l’acte ou le jugement qui établit la filiation présente un certain nombre de garanties comme l’identification de la mère porteuse et la vérification de son consentement à la renonciation de ses droits parentaux à l’égard de l’enfant. En cela, la Cour de cassation préserve l’esprit de la réforme voulue par le législateur en 2021 : il n’est pas question de reconnaître en droit français tous les liens de filiation mais seulement ceux qui procèdent d’une GPA donnant des indications précises sur l’identité de la mère porteuse et de chacun des parents d’intention. C’est aux parents d’intention qu’il appartient de rapporter la preuve de ces garanties, au besoin à l’aide d’éléments extérieurs à l’acte ou au jugement. Ceci exclut les GPA sans aucune garantie, dans lesquelles les droits de la mère porteuse n’auraient pas été respectés.
    2) En outre, seconde observation la jurisprudence Menesson ne concernait que la seule question de la retranscription en France de l’état civil établi à l’étranger. Or il est important de souligner que ce point de droit n’est pas affecté par l’arrêt de la Cour de cassation ici annoté : la mère d’intention dispose de 3 voies de droit pour établir la filiation avec l’enfant né de GPA à l’étranger: soit la voie de l’adoption, soit la voie de la retranscription de l’état civil établi à l’étranger (ce qui reste impossible ici car il ne correspond pas à la réalité de la naissance et au principe « mater semper certain est », la mère est celle qui accouche) soit enfin, comme dans l’arrêt commenté, la voie de l’exequatur d’un jugement prononcé à l’étranger et établissant conformément aux règles du pays étranger, la filiation.
    Ici l’affaire commentée ne concerne que les SEULS pays où à la suite d’une GPA la filiation est établie par jugement.
    Cet arrêt ne concerne donc en rien la transcription d’actes d’état civil étrangers dans lesquels un tel jugement n’est pas obligatoire.

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  4. Mr Renoux,
    Je pense que vous n'avez pas bien compris mon commentaire. L'arrêt du 14 novembre 2024 est bien le prolongement de celui du 4 octobre 2019 car il en reprend la quasi totalité. A l'époque les juges ont considéré qu’au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant, la présence d’une convention de gestation pour autrui ne peut faire obstacle à la transcription de l’acte de naissance établi par les autorités de l’Etat étranger, en ce qui concerne le père de l’enfant, ni à la reconnaissance du lien de filiation à l’égard de la mère d’intention mentionnée dans l’acte étranger. Auparavant, dans une prétendue recherche d’équilibre entre l’interdit d’ordre public de la gestation pour autrui et l’intérêt supérieur de l’enfant, les juges surjouaient toujours le premier au point de l'internationaliser, et se moquaient du second. C'est bien ce changement majeur qui a permis la bascule. Que la filiation soit visée par l'acte de naissance ou le jugement étranger n'a rien changé au raisonnement.

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  5. Mr Renoux,
    Je pense que vous n'avez pas bien compris mon commentaire. L'arrêt du 14 novembre 2024 est bien le prolongement de celui du 4 octobre 2019 car il en reprend la quasi totalité. A l'époque les juges ont considéré qu’au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant, la présence d’une convention de gestation pour autrui ne peut faire obstacle à la transcription de l’acte de naissance établi par les autorités de l’Etat étranger, en ce qui concerne le père de l’enfant, ni à la reconnaissance du lien de filiation à l’égard de la mère d’intention mentionnée dans l’acte étranger. Auparavant, dans une prétendue recherche d’équilibre entre l’interdit d’ordre public de la gestation pour autrui et l’intérêt supérieur de l’enfant, les juges surjouaient toujours le premier au point de l'internationaliser, et se moquaient du second. C'est bien ce changement majeur qui a permis la bascule. Que la filiation soit visée par l'acte de naissance ou le jugement étranger n'a rien changé au raisonnement.

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