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dimanche 1 septembre 2024

Quand #MeToo se heurte à la diffamation


Le mouvement #MeToo, aussi légitime soit-il, n'autorise pas toutes les dénonciations. La Cour d'appel de Bourges, dans une décision du 24 août 2024, fixe les limites de cette pratique, en rappelant que l'auteur de la dénonciation peut parfois être poursuivi pour diffamation.

Dans le cas présent, M. V., vigneron dans le Beaujolais, a été informé, au printemps 2022, que son nom était cité comme auteur de harcèlements et d'agressions sexuels. Un compte Instagram tenu par Mme B.P., elle-même vigneronne dans le Beaujolais et militante contre les violences sexuelles faites aux femmes dans le monde viticole, s'est montré particulièrement virulent à son égard, désignant M. V. comme l'auteur de ces faits et dénonçant "la culture du viol" dans son entreprise. En juin 2022, M. V. a donc porté plainte pour diffamation.

Le tribunal judiciaire de Bourges, le 2 juin 2023, lui a donné satisfaction et a condamné Mme B. P. pour diffamation. Les allégations publiques sur son compte Instagram, mentionnant une infraction pénale dont M. V. aurait été l'auteur, ont été jugées comme portant atteinte à son honneur et à sa considération, au sens de l'article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881. La Cour d'appel de Bourges confirme cette décision le 24 août, dans une décision relativement nuancée.

 

Le droit commun de la diffamation

 

La Cour commence par affirmer que les critères de la diffamation sont présents dans les propos tenus par Mme B. P. sur Instagram. Le premier d'entre eux, leur caractère public, n'est guère contestable : les dénonciations ont eu lieu sur un réseau social doté d'une large diffusion. Le second critère réside dans le caractère identifiable de M. V., ce qui n'est pas contesté. Son nom est mentionné comme celui de son entreprise. Le troisième critère, l'atteinte à l'honneur et à la considération, ne pose pas davantage de difficulté, car il est dénoncé comme auteur de faits qui sont des infractions pénales. 

Le seul critère susceptible d'être discuté par Mme B. P. reste celui reposant sur l'invocation de faits précis dans les propos diffamatoire. En appel, la défenderesse soutient qu'elle a voulu faire oeuvre militante et dénoncer les violences sexistes dans le monde viticole et le "backlash" dont sont victimes les dénonciatrices. Ce terme anglo-saxon est utilisé par les mouvements féministes pour désigner ce que l'on appelle en français un retour de bâton. En l'espèce, il aurait été constitué par une tribune signée par d'autres vignerons en défense de leur collègue.

Certes, mais Mme B.P. a d'abord été visée par une demande en référé lui demandant de retirer les messages visant directement M. V. et elle s'y est refusée. Cette mise en cause constitue un fait précis entrant dans la définition de la diffamation. 

Même si tous les éléments constitutifs de la diffamation sont présents, il n'en demeure pas moins que l'auteur des propos peut être exonéré de sa responsabilité.

 


 Les Indégivrables. Xavier Gorce. Septembre 2015


Le débat d'intérêt général


La Cour d'appel de Bourges reconnaît que les publications litigieuses "s'inscrivent dans un mouvement de libération de la parole des femmes victimes d'infractions sexuelles", Madame B. P. menant un combat féministe bien antérieur au présent contentieux. Au regard de l'enjeu sociétal de la lutte contre les agressions sexuelles et les comportements sexistes, le public a donc un intérêt particulier à être informé de faits illicites à caractère sexuel commis par une personne jouissant d'une réputation dans un milieu professionnel donné. La Cour admet ainsi que les propos tenus par la défenderesse sur Instagram "relèvent d'un débat d'intérêt général".

Certes, mais doit-on en déduire que toute dénonciation #MeToo relève, en tant que tel d'un débat d'intérêt général, qui interdirait toute action en diffamation ? Cette thèse avait été soutenue devant la Cour de cassation par deux requérantes poursuivies pour diffamation, l'une accusant un ancien ministre de s'être livré à divers attouchements lors d'une soirée à l'Opéra, l'autre ayant lancé en France le hashtag #Balancetonporc. Dans deux décisions du 11 mai 2022, la Cour de cassation a écarté cette analyse, précisant que chaque décision dans ce domaine ne saurait être autre chose qu'une décision d'espèce.


La bonne foi


Madame B. P. peut toutefois s'exonérer en démontrant sa bonne foi. Les juges doivent examiner si elle s'est exprimée "dans un but légitime, était dénuée d'animosité personnelle, s'est appuyée sur une enquête sérieuse et a conservé prudence et mesure dans l'expression". Il est vrai que lorsque sont reconnus le débat d'intérêt général et la base factuelle, la Cour de cassation, dans un arrêt du 11 mai 2022, considère que les conditions d'animosité et de prudence dans l'expression peuvent être interprétées avec davantage d'indulgence.

En l'espèce cependant, la Cour d'appel estime que la base factuelle fait cruellement défaut. En effet, les dénonciations de Mme B. P. se fondent essentiellement sur d'autres dénonciations, provenant notamment d'une internaute danoise mentionnant des propos et attitudes sexistes de M. V., lors d'un voyage au Danemark. Mme B. P. reprend donc des éléments provenant d'internautes, de personnes se disant lanceurs d'alerte, mais elle n'est pas elle-même, une victime directe de M. V

La défenderesse ne s'est donc pas appuyée sur une enquête réellement sérieuse, et, dans ces conditions, la mise en cause nominale de M. V. atteste d'une manque de prudence et de mesure dans l'expression. La situation est donc très différente de celle de l'arrêt du 11 mai 2022, dans lequel les faits étaient établis. En dénonçant #Balancetonporc, la défenderesse reproduisait en effet un message qui lui avait été personnellement envoyé et qui était rédigé sans élégance excessive : " Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit". Cette fois, les faits étaient donc établis on ne peut plus clairement.

La décision du 24 août 2024 constitue ainsi une intéressante mise en oeuvre de la jurisprudence de la Cour de cassation établie en 2022. Elle relève finalement d'un solide bon sens. La dénonciation de type #MeToo relève aujourd'hui, à l'évidence, d'un débat d'intérêt général, et le "Naming and Shaming" dans ce domaine permet de faire apparaître au grand jour des pratiques qui, auparavant, n'étaient jamais dénoncées, pas même devant le juge. Mais #MeToo n'est pas un pilori. Le mouvement ne saurait conduire à nier l'existence même de la présomption d'innocence et à remplacer les juges par un tribunal médiatique dépourvu de toute garantie procédurale. C'est le sens d'une jurisprudence qui incite à la prudence. Porter plainte devant un juge est finalement bien préférable à une dénonciation hâtive sur un réseau social.

La diffamation : Chapitre 9 section 2 § A du manuel de Libertés sur internet

1 commentaire:

  1. Une fois encore, nous pouvons que vous féliciter du commentaire de cette décision intéressante et utile de la Cour d'Appel de Bourges qui rappelle les limites de la dénonciation calomnieuse et le périmètre de la diffamation. Nous n'émettrons qu'une seule réserve relative à la notion de débat d'intérêt général qui nous paraît aussi floue que subjective. Ceci étant posé, cette décision appelle de notre part quelques remarques portant tant sur le contexte général que sur le cas d'espèce.

    === Le contexte général ===

    Le mouvement Metoo n'est qu'un des avatars de toutes les "facéties" que nous importons avec reconnaissance des Etats-Unis. Elles ont pour nom : tyrannie des minorités au sens large du terme comme les LGBTQ+ ; politiquement correct ; "woke" ; "cancel culture" ; amour de la mal bouffe ; substitution de termes anglo-saxons aux expressions françaises ("coach" au lieu d'entraîneur, "challenge" au lieu de défi) .... Et la liste n'est pas exhaustive. Or, le plus souvent, ces pratiques sont contraires à la culture et à la tradition française d'une grande liberté de parole et d'action. In fine, elle conduit à une certaine forme de soumission aux Diktats insupportables du monde anglo-saxon.

    === Le cas d'espèce ===

    Bien évidemment, les médias de la bien-pensance (comme le site de délation en ligne qui a pour nom mediapart) n'ont fait aucune publicité à cette décision qui remet l'Eglise au centre du village. Comme vous le soulignez en introduction, si légitime soit le combat des femmes contre certains excès de la gente masculine, il ne permet pas tout. En particulier, la substitution du tribunal médiatique au tribunal judiciaire. La délation institutionnalisée devrait rappeler à nos concitoyens les heures sombres de notre Histoire du XXe siècle. Elle devrait les conduire à réfléchir avant de se lancer dans une chasse à l'homme telle que nous en sommes les témoins au jour le jour.

    En un mot comme en cent, rien ne vaut de laisser à l'autorité judiciaire le soin d'apprécier les faits reprochés, de leur donner la qualification juridique idoine ( des gestes déplacés si condamnables soient-ils moralement ne constituent pas juridiquement des viols comme le prétendent souvent certains médias incultes ou idéologues) et, enfin, de décider ou non de l'application de la sanction proportionnée à la gravité des faits. Si tel était le cas, tout irait pour le mieux dans le meilleur des monde.

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