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dimanche 16 juin 2024

Investitures : la nuit des seconds couteaux.


Certains candidats de La France Insoumise (LFI) ont eu la douloureuse surprise de s'apercevoir que la nuit du 14 au 15 juin ne leur avait pas été favorable. Ils ont appris, parfois par la presse, que les instances dirigeantes du parti, ou plutôt Jean-Luc Mélenchon seul maître à bord, avaient décidé de ne pas leur accorder l'investiture en vue des élections législatives des 30 juin et 7 juillet. La décision ne visait pas des backbenchers de LFI inconnus du grand public, mais au contraire des personnalités qui ont figuré parmi ses cadres dirigeants, dont Alexis Corbière, Raquel Garrido et Danièle Simonnet. Quel est leur crime ? Avoir osé critiquer le Lider Maximo

L'évènement suscite beaucoup de commentaires politiques, mais on doit aussi s'interroger sur le cadre juridique de l'investiture. On peut la définir simplement comme l'acte par lequel un parti politique désigne officiellement un candidat à une fonction élective. Ses effets juridiques sont loin d'être négligeables puisque, une fois investi, le candidat bénéficie du financement de son parti, de son aide pour l'organisation de sa campagne, et participe au partage du temps de parole accordé à sa formation dans les médias.

 

L'investiture, une affaire de parti

 

La jurisprudence se montre cependant extrêmement prudente et ne se penche pas volontiers sur les querelles d'investiture. Le juge de l'élection s'interdit, de manière générale, de vérifier la sincérité ou la régularité de l'investiture des candidats au regard des règles de fonctionnement et des statuts des partis politiques. Dans une décision du 20 octobre 2004, le Conseil d'État, statuant dans un contentieux lié aux élections régionales, considère ainsi "qu'il n'appartient pas au juge administratif de vérifier la régularité de l'investiture des candidats au regard des statuts et des règles de fonctionnement des partis politiques". 

Le Conseil constitutionnel, juge de l'élection législative, dans sa décision du 28 juin 2007 sur une élection législative dans une circonscription du Bas-Rhin, affirme, de son côté, qu'il ne lui appartient pas "de contrôler, au regard de leurs statuts, la régularité de l'investiture des candidats par les partis politiques, ni de s'immiscer dans leur fonctionnement interne". Il estime globalement que la procédure d'investiture relève de l'autonomie des partis politiques, de la liberté d'action qui leur est garantie par l'article 4 de la Constitution. Il affirme en effet qu'"ils se forment et exercent leur activité librement".

Cela ne signifie pas que le juge de l'élection se désintéresse totalement de l'investiture. Il vérifie en effet si une manoeuvre est susceptible de tromper les électeurs sur la réalité de l'investiture dont le candidat se prévaut ou qui a été attribuée à son adversaire . Autrement dit, c'est seulement si l'investiture, ou le défaut d'investiture, est de nature à tromper l'électeur que le Conseil prononce une sanction. Et ce n'est pas la procédure d'investiture qui est sanctionnée, mais la manoeuvre à laquelle elle a donné lieu. De fait, la question de l'investiture ne pourra être soulevée qu'a posteriori, lors d'un recours dirigé contre le résultat de l'élection. Dans une décision du 30 janvier 2003, le Conseil constitutionnel annule ainsi une élection législative au motif qu'un candidat se prétendait « candidat de la droite républicaine investi par l'UDF » alors même que ce parti lui avait retiré son investiture. Mais, comme toujours dans le contentieux électoral, cette sanction n'intervient qu'au regard du faible écart de voix existant entre les candidats. En l'espèce, il manquait deux voix au requérant pour atteindre le seul de 12, 5 % lui permettant de participer au second tour.

 


 On dirait la Nupes

Les Goguettes, en trio mais à quatre. juillet 2023


Les voies offertes aux victimes de la purge


Les victimes de la purge mélenchonienne ne peuvent guère envisager de contester, dès aujourd'hui, le refus d'investiture qui leur été opposé par leur parti. Dans un arrêt du 13 septembre 2012, la Cour de cassation affirme ainsi qu'un candidat ne peut engager la responsabilité délictuelle d'un parti, au motif qu'il lui aurait brutalement retiré son investiture. En tout état de cause, les victimes de la purge n'ont pas fait l'objet d'un retrait d'investiture, mais plutôt d'un refus d'investiture matérialisé par l'octroi de l'investiture à des "seconds couteaux" de LFI.

Bien entendu, les candidats évincés pourront saisir le juge de l'élection a posteriori, et contester la régularité de la procédure d'investiture. Mais là encore, la jurisprudence ne leur est pas vraiment favorable. Dans une décision du 25 novembre 1993, le Conseil constitutionnel juge le cas d'un militant de l'Union pour la démocratie française (UDF) dans la circonscription de Sartrouville. Longtemps considéré comme le candidat naturel de cette formation, il n'a pas reçu de notification de l'investiture, avant que celle-ci soit finalement attribuée à un tiers. Aux yeux du Conseil, il ne s'agit pas d'une manoeuvre destinée à tromper les électeurs, mais des aléas de la vie interne d'un parti politique. Les militants de LFI victimes de la purge sont sensiblement dans la même situation.

Que faire dans de telles conditions ? On leur conseille de relire simplement le code électoral, notamment ses articles L154 et L155. Enumérant la liste des pièces à fournir pour être candidat aux élections législatives, ils ne mentionnent pas la nécessité d'une investiture, et ne se réfèrent même pas à l'existence d'un parti. Ils peuvent donc être candidats sans être présentés par LFI. Dans une décision du 8 décembre 2017, le Conseil constitutionnel déclare même qu'il est possible de se présenter comme "membre fondateur" d'un parti, alors même qu'un autre candidat est investi par cette formation. Aux yeux du Conseil, une telle mention ne crée pas de confusion susceptible de tromper les électeurs.

 Les candidats LFI victimes de la purge sont, en quelque sorte, incités par la jurisprudence à se présenter, d'abord pour pouvoir contester a postériori la mesure dont ils ont été victimes, et aussi, évidemment, pour gagner. Car le Lider d'un parti, aussi "maximo" soit-il, n'est pas propriétaire des voix des électeurs. C'est le principe même de la démocratie.



2 commentaires:

  1. L'on pourrait résumer cette farce par la parabole de l'arroseur arrosé. Depuis des années, les candidats à l'investiture évincés vantaient urbi et orbi le caractère hautement démocratique du fonctionnement de La France insoumise. Aujourd'hui, ils découvrent à leurs dépens que JLM est un autocrate qui ne supporte pas la moindre critique de son action et de sa parole. En un mot comme en cent, ils sont tombés dans le piège qu'ils ont eux-mêmes armés.

    On comprend que ni le droit positif, ni la jurisprudence existante en la matière ne leur fournissent des voies de recours prometteuses. ils ne leur reste plus qu'à démissionner de LFI, à faire connaître, par la voie des médias, les procédés de gouvernance staliniens du Leader Maximo et à fonder un nouveau parti. La scission étant à la mode depuis quelques semaines. Ainsi, ils pourraient contribuer à faire perdre des voix à leur parti et, par voie de conséquence, à déstabiliser JLM pour le punir de ses forfaits. A tout le moins tout faire pour l'empêcher de se porter candidat au poste de Premier ministre. Le reste n'est que littérature. Ils doivent prendre leurs responsabilités s'ils en sont capables. Si tel était le cas, ils (et elles) en sortiraient grandis pour le moyen et long terme. Ce qui est antinomique avec le temps médiatique qui constitue leur boussole.

    D'une manière plus générale, nous vous félicitons pour les choix particulièrement pertinents et humoristiques de vos articles !

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  2. J'aurais aussi aimé vous lire sur les importantes questions de droit que soulèvent les tribulations des Républicains, à la fois comme c'est le cas ici quant à la compétence du juge judiciaire, mais aussi relativement aux conséquences des "double investitures". Ce dernier point est d'ailleurs une question très intéressante au sujet du nouveau front populaire : qui a le droit de s'en revendiquer, d'en prendre les logos, slogans, programmes, charte graphique ? Quel impact juridique a une telle alliance électorale (donc on ne sait pas vraiment la forme) ?
    Vous semblez tout ignorer des manœuvres politiciennes des frondeurs qui ont été, certes brutalement, mais à bon droit, évincés. Votre contribution au débat public eut donc été plus pertinente si votre propos s'était limité au droit et étoffé sur davantage sur celui-ci.
    Pierre

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