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jeudi 28 mars 2024

Les arrêtés anti-mendicité fleurissent au printemps.


Comme chaque année, le printemps voit refleurir les arrêtés anti-mendicité. Le premier de l'année a été annoncé par la maire d'Amiens, Brigitte Fouré (UDI) qui a déclaré à France Bleue Picardie : "Soit les personnes sans domicile «restent sur place et se comportent correctement, soit elles doivent aller voir ailleurs ». Sur ce motif qui ne manque pas de clarté, la maire annonce une "mesure expérimentale" d'interdiction de la circulation des personnes sans domicile fixe dans le centre ville, de mai à août prochain, soit pendant quatre mois. La maire reconnaît volontiers répondre à une "volonté forte exprimée par les commerçants" de la ville qui considèrent que le nombre trop important de personnes se livrant à la mendicité entrave leur activité.

Pour le moment, l'arrêté n'est pas encore signé, et on ne saurait trop conseiller à l'élue de s'entourer de sérieux conseils juridiques. La légalité d'une telle décision est en effet loin d'être acquise.

La manière d'appréhender la mendicité a profondément évolué, passant d'une approche pénale à une gestion par des mesures de police administrative reposant sur l'ordre public.

 

L'approche pénale de la mendicité

 

La mendicité a longtemps été considérée comme une forme de délinquance. Dès 1351, une ordonnance de Jean II le Bon ordonnait à « tous ceux qui ne veulent exposer leurs corps à faire aucune besogne » de "se mettre au travail ou de quitter la ville de Paris", propos étrangement très proches de ceux tenus aujourd'hui par la maire d'Amiens. Heureusement, la comparaison trouve ses limites dans les mesures prises pour sanctionner la mendicité. En 1351, ceux qui refusaient de se plier à l'injonction de Jean Le Bon étaient emprisonnés puis mis au pilori, marqués au fer rouge et bannis en cas de récidive. 

Aujourd’hui, la mendicité n’est plus une infraction, même si certains comportements qui lui sont rattachés demeurent répréhensibles. Il en est ainsi de l’exploitation de la mendicité d’autrui ou de la mendicité agressive, sanctionnée depuis la loi du 18 mars 2003. Défini comme une « demande de fonds sous contrainte », le délit est constitué lorsque la mendicité est faite « en réunion » ou « sous la menace d’un animal dangereux ». 

L’approche pénale est toutefois désormais supplantée par la police administrative générale exercée par les maires pour réglementer, voire interdire, l’activité des mendiants sur tout ou partie du territoire de leur commune. Une telle réglementation n'est pas, en soi, illicite, mais elle fait l'objet d'un contrôle maximum du juge administratif.

 


 
Reiser. 1941-1983

 

L'absence de "liberté fondamentale de mendier"

 

Observons d'abord que nul ne peut se prévaloir d'une "liberté fondamentale de mendier". Une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Besançon rendue le 28 août 2018 en a jugé ainsi, en refusant de suspendre l'arrêté du maire de Besançon interdisant la mendicité dans le centre ville durant la période de Noël. 

La décision a été remarquée, car il s'agissait alors de la première référence d'une juridiction du fond au principe de fraternité, reconnu comme ayant valeur constitutionnelle par une décision QPC du Conseil constitutionnel rendue le 6 juillet 2018. On se souvient que le Conseil s'était alors fondé sur le principe de fraternité pour déclarer inconstitutionnelles les dispositions législatives sanctionnant l'aide au séjour irrégulier des étrangers en France.

Comme bien souvent devant la juridiction administrative , la décision du 28 août 2018 se caractérise par un double mouvement. D'abord une audace affichée, ensuite, une application à l'espèce qui fait en sorte que l'innovation ne soit pas applicable. Audace, car le juge des référés admet que le principe de fraternité peut être applicable dans le cas de la mendicité, estimant que si les sans domicile fixe ne disposent pas d'un droit de mendier, les passants, quant à eux, disposent de " la liberté fondamentale d'aider autrui dans un but humanitaire". 

 

Le pouvoir de police

 

Mais l'innovation a seulement séduit la doctrine, et n'a eu aucune conséquence concrète. Le juge des référés s'est aussitôt replié sur son contrôle des mesures de police. Il observe que l'atteinte à la liberté d'aider autrui n'est pas excessive par rapport aux nécessités d'ordre public invoquées par la mairie de Besançon, en particulier les désordres engendrés par les rassemblements et la consommation d'alcool. Au demeurant, l'interdiction de Besançon était limitée à certaines rues et à certaines périodes. Et le juge d'ajouter que les personnes charitables pouvaient toujours donner de l'argent aux associations, ou se rendre dans les rues non concernées par l'arrêté.

Le juge administratif n'est donc pas hostile à cet usage particulier du pouvoir de police du maire. La Cour administrative d’appel de Douai, dans une décisiondu 13 novembre 2008, a ainsi admis les « risques d’atteinte à l’ordre public liées à la pratique de la mendicité » Les élus peuvent ainsi adopter une posture sécuritaire, notamment lorsqu’ils sont confrontés à une mendicité agressive. 

 

Le contrôle maximum

 

Mais la licéité de cet usage du pouvoir de police n'empêche pas l'exercice du contrôle maximum par le juge administratif, dans le but de garantir un équilibre satisfaisant entre la liberté de circulation et la protection de l’ordre public

La menace pour l’ordre public doit ainsi être clairement identifiée et le maire est contraint d’indiquer dans son arrêté les circonstances précises susceptibles de la caractériser, protestations des passants importunés, rixes entre les mendiants etc . Appliquant ensuite la célèbre jurisprudence Benjamin de 1933, le juge administratif vérifie si la mesure de police est strictement proportionnée à la gravité du trouble à l’ordre public qu’il s’agit de prévenir. 

De fait, la jurisprudence est nuancée, et le juge administratif n'admet pas tous les arrêtés anti-mendicité. Un arrêt interdisant la mendicité durant la seule période estivale dans un village très touristique, et dans un espace très limité en son centre est légal. Si la maire d'Amiens envisage, elle aussi une interdiction estivale, il ne fait aucun doute que le centre ville d'Amiens et plus grand que celui de Prades.

Une interdiction de six mois, quant à elle, est jugée excessive par la décision de la CAA de Douai du 13 novembre 2008, même dans une commune touristique. Quant au « maintien en position allongée » interdit aux personnes se livrant à la mendicité par un arrêté municipal du maire de Tarbes, la Cour administrative d’appel de Bordeaux, dans son arrêt du 26 avril 1999, fait observer, non sans malice, qu'« il ne ressort pas des pièces du dossier que l'éventualité des troubles occasionnés par (cette) attitude présentait un degré de gravité tel que son interdiction s'avérait nécessaire ».

Les arrêtés anti-mendicité sont aujourd'hui de plus en plus nombreux, mais la jurisprudence est remarquablement stable. Ceux qui ne sont pas soigneusement motivés sont, le plus souvent, suspendus par le juge des référés. La maire d'Amiens va devoir construire une motivation convaincante et ce ne sera pas facile. En effet, elle envisage une durée d'interdiction relativement longue, dans un espace très largement défini, le centre d'une grande ville. Enfin, sa ville n'est pas un très grand centre touristique, contrairement à la plupart des villes qui adoptent ce type de mesure. L'exercice est donc périlleux pour l'élue, mais l'arrêté anti-mendicité présente tellement d'avantages, en particulier électoraux.

 

Les arrêtés anti-mendicité : Chapitre 5 Section 1 § 1 A du manuel sur internet   

 

1 commentaire:

  1. Au-delà du problème juridique, que vous exposez clairement, s'en pose un autre plus général. Celui du tropisme français consistant à croire régler tous les problèmes par le droit. La question de la mendicité présente plusieurs autres dimensions : sociales, économiques, financières, sécuritaires, voire migratoires,... que nos dirigeants préfèrent occulter. La France ne peut continuer à accueillir toute la misère du monde (pour reprendre la formule de Michel Rocard) sans en accepter toutes les conséquences. Ce qui est loin d'être le cas de nos jours.

    Quand nos décideurs feront-ils preuve de courage, d'audace pour prendre à bras le corps la problématique de la mendicité dans toutes ses dimensions ? Faute de quoi, comme vous le soulignez si justement, les électeurs les sanctionneront en se tournant vers les partis qui osent soulever le lièvre ? La politique du chien crevé au fil de l'eau atteint ses limites. L'autorité judiciaire n'est pas la mieux placée pour se substituer aux carences systémiques des pouvoirs exécutif et législatif.

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