Pages

vendredi 3 novembre 2023

Le contrôle des notes blanches

Le jugement rendu par le tribunal administratif de Montreuil le 13 octobre 2023 annule une décision conjointe du préfet de police de Paris et du préfet de la région Pays de Loire, préfet de Loire-Atlantique. Cet acte était en fait l'abrogation de l'habilitation donnée au requérant, M. B., pilote de ligne, lui permettant d'accéder aux zones de sûreté à accès réglementé de certaines zones aéroportuaires. En d'autres termes, le requérant se voyait interdire de faire son métier puisque, interdit d'accès à ces zones, il ne pouvait pas davantage prendre les commandes d'un avion. 

La décision est annulée par le juge, et ses auteurs se voient enjoindre de délivrer au requérant une nouvelle habilitation dans un délai d'un mois. Les motifs de cette annulation résident dans le caractère incertain, voire franchement erroné, des informations mentionnées dans des "notes blanches" concernant M. B.

 

Les notes blanches

 

Les services de renseignement sont évidemment fondés à collecter des informations de nature à fonder certaines mesures, notamment justifiées par les nécessités de la lutte contre le terrorisme ou de la protection des intérêts vitaux du pays. Couvertes par le secret de la défense nationale, elles sont conservées dans des fichiers comme le fichier de traitement des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FRSTP) ou Centralisation du renseignement intérieur pour la sécurité du territoire et les intérêts nationaux (CRISTINA).

Ces informations confidentielles peuvent fonder des mesures de police administrative, comme les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS), qui ont succédé à l'assignation à résidence de l'état d'urgence. Parmi ces mesures de police, figure par exemple l'expulsion d'une personne. L'arrêt ministre de l'intérieur c. Bouziane du 4 octobre 2004 affirme nettement de telles informations peuvent justifier l'expulsion de l'imam de Vénissieux, accusé de prêcher un islam particulièrement radical. Il ne fait aucun doute que l'abrogation d'une habilitation à pénétrer dans des zones à accès réglementée est également au nombre des mesures. 

 


 Indiana Jones et la dernière croisade. Steven Spielberg. 1989


Le respect du principe du contradictoire


M. B. désireux de connaître les motifs de la mesure qui le frappe, ne peut, quant à lui, se voir communiquer qu'une "note blanche". Elle mentionne les informations contenues dans le fichier, à l'exception des éléments permettant l'identification du rédacteur et de ses sources. En cas de recours, l'administration ne peut s'appuyer sur ses informations que si la "note blanche" est versée au dossier, conformément au principe du contradictoire. Ce principe posé dès l'arrêt ministre de l'intérieur c. Diouri du 11 octobre 1991 permet au requérant comme au juge administratif d'en avoir communication. 

La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a pris acte de ce respect du principe du contradictoire. Dans l'arrêt Mustapha Fanouni c. France du 15 juin 2023 , elle estime que l'usage de ces "notes blanches" fait l'objet de "garanties procédurales suffisantes". 

 

Le contrôle de proportionnalité

 

La communication au juge administratif des motifs de la mesure de police, tels qu'ils sont mentionnés dans la "note blanche", lui permet ensuite d'exercer son contrôle de proportionnalité. Dès un arrêt du 7 mai 2015, le juge des référés du Conseil d'Etat avait admis l'expulsion d'un Algérien, des "notes blanches" faisant état de sa radicalisation et de sa présence injustifiée auprès de différentes synagogues. Dans une ordonnance du 11 décembre 2015, ce même juge, intervenant cette fois à propos d'une assignation à résidence intervenue sur le fondement de l'état d'urgence, pose un principe général, selon lequel "aucune disposition législative ni aucun principe ne s'oppose à ce que les faits relatés par les " notes blanches " produites par le ministre, qui ont été versées au débat contradictoire et ne sont pas sérieusement contestées par le requérant, soient susceptibles d'être pris en considération par le juge administratif".

Une jurisprudence très nuancée est donc développée, allant tout à fait à l'encontre d'une idée reçue selon laquelle les actes pris sur le fondement d'une "note blanche" ne seraient jamais sanctionnés. En témoigne l'ordonnance du 26 avril 2022 du juge des référés du Conseil d'État qui suspend la fermeture pour six mois d'un lieu de culte, en l'espèce la mosquée Al Farouk de Pessac,  mesure décidée par la préfète de la Gironde, sur le fondement de la loi du 24 août 2021 confortant les principes de la République. A l'appui de sa décision, elle invoquait l'accueil d'imams "connus pour leur appartenant à la mouvance islamiste", des "messages incitant au repli identitaire" et invitant les fidèles à méconnaître les lois de la République. De même, la mosquée était-elle accusée de diffuser, "sous couvert d'un soutien au peuple palestinien", des "publications antisémites et haineuses à l'égard d'Israël". Enfin, il était fait état de propos favorables à l'assassinat de Samuel Paty par "un groupe de jeunes fidèles".

Certes, mais le juge met en lumière les lacunes du dossier. Il n'est pas établi que les prêches des imams actifs à Pessac encouragent la haine ou la violence. Quant aux propos tenus par des "jeunes fidèles" ou des intervenants sur internet, il n'est certes pas contesté qu'ils puissent inciter au repli identitaire, voire contenir des propos antisémites. Mais le juge précise qu'il ne faut pas confondre les responsables de la mosquée et les fidèles, d'autant que précisément les imams, informés des menaces de fermeture, se sont hâtés de mettre en place un système de modération de la page Facebook de la mosquée. Pour toutes ces raisons, le juge des référés suspend l'acte préfectoral, estimant que la réalité des motifs invoqués n'est pas établie.

Le contrôle du juge est de même nature dans le cas de M. B. Tous les motifs invoqués par l'autorité préfectorale sont soigneusement étudiés et le tribunal administratif met en évidence un dossier fait d'accusations non étayées. C'est ainsi que les relations de M. B. avec des individus proches de la mouvance islamiste radicale sont évoquées sans que l'on sache qui sont ces individus ni l'intensité de ces relations. Le juge en déduit que "ces seules affirmations, dépourvues de précisions et d'éléments justificatifs, ne permettent pas de démontrer la réalité de la fréquentation". Quant au "comportement radicalisé" de M. B., les témoignages de son ex-épouse et de ses collègues montrent qu'il n'a jamais hésité à fréquenter bars et restaurants à l'escale et en vacances, y compris ceux où il pouvait boire de l'alcool. Les supérieurs hiérarchiques de M. B., louent avec unanimité son professionnalisme et son attachement aux valeurs de la République. 

A partir de cette étude approfondie du dossier, le juge estime donc que la réalité du dossier remet en cause "sérieusement" les affirmations contenues dans la note blanche. Les griefs invoqués à l'encontre de M. B. sont donc considérés comme sans fondement.

Le jugement du tribunal administratif présente l'intérêt de ne pas être une décision de référé, mais une décision de fond, impliquant donc un contrôle des motifs particulièrement approfondi. Surtout, elle montre que l'activité des services de renseignement peut faire l'objet d'un contrôle contentieux. Loin de leur porter préjudice, ce contrôle renforce la légitimité de leur action. L'image des services de renseignements agissant à l'écart du droit, dans l'opacité, est ainsi remise en cause, pour le plus grand bien de l'État de droit.


2 commentaires:

  1. Excellente initiative que cette présentation sur un sujet sensible peu traité par la doctrine ! Avec les notes blanches, nous nous trouvons face à ce qui pourrait s'apparenter aux "lettres de cachet" de l'Ancien Régime. Cette pratique soulève de nombreuses questions dont les réponses sont pour le moins fluctuantes.

    - L'existence de la note blanche. Comment la personne incriminée (citoyen ou fonctionnaire) peut-elle savoir que ce qui lui est reproché figure dans une note blanche. Il ait des cas bien réels où elle n'en est pas informée. Elle est informée de griefs plus ou moins fantaisistes justifiant la mesure prise à son encontre. Et, ce n'et st pas un cas d'école.

    - Le contenu de la note blanche. Si tant est que le justiciable ait la certitude de l'existence d'une note blanche, comment être assuré qu'il ait accès à un document dont les éléments essentiels n'aient pas été caviardés, rendant le contrôle factice ? Figure-t-elle dans le dossier du fonctionnaire ?

    - Le contrôle par le juge (national ou européen) est assez aléatoire comme le caractère contradictoire de la procédure, violant ainsi le respect du droit à un procès équitable. Une fois de plus, la question ne relève pas du cas d'école.

    Encore une pratique qui affaiblit la crédibilité des services de renseignement et discrédite la France, patrie des droits de l'homme, donneuse de leçons à la terre entière.

    RépondreSupprimer
  2. Merci pour ce commentaire, tout ceci est plutôt rassurant.

    RépondreSupprimer