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jeudi 13 juillet 2023

Sport : Les traitements hormonaux dans les compétitions internationales

Dans un arrêt du 11 juillet 2023 Semenya c. Suisse, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) sanctionne pour discrimination et atteinte à la vie privée le système judiciaire suisse. Il n'offre pas, en effet, de garanties institutionnelles et procédurales suffisantes à une athlète de haut niveau contestant un règlement de l'International Association of Athletic Federation (IAAF), devenue aujourd'hui World Athletics.

Madame Mogkadi Caster Semenya est une athlète sud-africaine, spécialiste des courses de demi-fond. Elle a remporté deux fois la médaille d'or du 800 mètres féminin au Jeux Olympiques de Londres en 2012 et de Rio de Janeiro en 2016. Après sa victoire aux championnats du monde de Berlin en 2009, elle fut soumise à un test de vérification du sexe, afin de contrôler si elle n'était pas un homme d'un point de vue biologique. L'IAAF admit qu'elle était une femme. Mais, se fondant sur son règlement alors en vigueur, l'informa ensuite qu'elle devrait abaisser son taux de testostérone si elle souhaitait continuer à participer aux compétitions internationales. Elle a donc subi un traitement hormonal contraignant, ce qui lui a permis de s'aligner aux championnats du monde en 2011 et 2012. 

Le 24 juillet 2015, dans une autre affaire Dutee Chand, le Tribunal arbitral du sport (TAS) a suspendu pour deux ans le règlement auquel Mme Semenya avait été soumise. Durant cette période, l'IAAF était invitée à produire la preuve qu'une athlète possédant un taux de testostérone supérieur à la limite imposée par l’IAAF possédait un avantage injuste sur ses concurrentes, situation qui justifiait son exclusion des compétitions réservées aux femmes. A la suite de cette sentence, Mme Semenya a interrompu son traitement. Mais en 2018, un nouveau règlement de l'IAAF renouvela en 2018 l'exigence d'un plafond de testostérone au delà duquel une athlète ne peut participer aux compétitions officielles féminines. 

La requérante, à laquelle s'est jointe la Fédération sud-africaine d'athlétisme, a donc fait un recours devant le TAS, situé à Lausanne. Sa demande d'arbitrage a été écartée, au motif, un peu étrange, que le règlement était discriminatoire, mais qu'il constituait néanmoins un moyen raisonnable et proportionné d'atteindre les buts de l'IAAF, à savoir assurer une compétition équitable. Cette sentence a ensuite été confirmée par le tribunal fédéral suisse. La requérante, ayant épuisé les voies de recours internes, a donc saisi la CEDH.



Certains l'aiment chaud. Billy Wilder.

 

Sportives intersexes ou transgenres

 

L'arrêt Semenya présente l'intérêt essentiel d'opérer une distinction entre les personnes intersexes et transgenres. La requérante n'a pas volontairement souhaité augmenter son taux de testostérone pour gagner des compétitions. C'est plutôt parce qu'elle avait naturellement un taux anormalement élevé qu'elle a pu produire des performances sportives exceptionnelles. En effet, elle est intersexe de naissance, ce qui signifie qu'elle possède des chromosomes XX mais est atteinte d'hyperandrogénie, ce qui signifie qu'elle a naturellement un taux de testostérone bien supérieur à la moyenne. Le fait de lui imposer un traitement constitue donc, à l'évidence, une ingérence dans sa vie privée.

Pour la CEDH, le cas de Mme Semenya ne saurait être confondu avec la situation des personnes trangenres qui ont choisi de changer de sexe, à un moment où à un autre de leur vie, souvent pour exceller dans une activité sportive. Or précisément, à l'époque des faits, l'IAAF comme le tribunal fédéral suisse confondent les deux cas dans une règle unique, en imposant à tout le monde un traitement destiné à faire baisser le taux de testostérone. Depuis cette date, les règles ont toutefois évolué, et les règlements internationaux interdisent désormais l'accès aux compétitions internationales des athlètes devenus transgenres après la puberté.

Si la distinction opérée par la CEDH est intéressante, force est de constater qu'elle ne peut pas aller au bout de son raisonnement. La Suisse n'est pas condamnée pour discrimination, tout simplement parce que le fondement de cette discrimination réside dans un règlement de l'IAAF. Or l'IAAF est une institution de droit monégasque. Le recours étant dirigé contre la Suisse et non pas contre la principauté de Monaco, la Cour se contente de sanctionner la procédure suisse, tout en reconnaissant l'ingérence dans la vie privée de la requérante. Sur le fond, elle préfère se fonder sur le fait que cette dernière n'a pas bénéficié d'un droit de recours effectif.


Le droit de recours effectif


Au termes de l'arrêt de Grande Chambre Al-Dulimi et Montana Management c. Suisse du 21 juin 2016, la CEDH examine les recours internes dans leur ensemble. Même si une large marge d'autonomie est laissée aux États dans l'organisation de leur système judiciaire, il n'en demeure pas moins que la Cour doit s'assurer que la requérante a bénéficié des garanties constituant "l'ordre public européen". Concrètement, il s'agit de garanties institutionnelles et procédurales et, sur ce point, Mme Mme Semenya s'est retrouvée confrontée à un système qui la plaçait dans une situation défavorable.

Les règlements sportifs imposent en effet un recours à l'arbitrage, ce qui interdit à la requérante de saisir les tribunaux. Elle a dû se tourner vers le Tribunal arbitral du sport (TAS) qui a étrangement considéré que le règlement de l'IAAF était discriminatoire, mais que néanmoins il était proportionné aux buts poursuivi par l'organisation. On peut certes s'étonner de voir un arbitrage admettre la discrimination comme un mal nécessaire, et la CEDH sanctionne cette approche, de manière indirecte. Elle fait observer que le TAS n'a pas apprécié la validité du règlement au regard de la convention européenne des droits de l'homme, et notamment de son article 14 qui interdit les discriminations. Il n'a d'ailleurs même pas répondu aux griefs articulés en ce sens par la requérante.

Quant au tribunal fédéral suisse, il n'exerce qu'un contrôle restreint sur un tel arbitrage, limité à la question de savoir si la sentence est contraire à l'ordre public au sens de la loi fédérale. Certes, dans l'affaire Platini c. Suisse du 11 février 2020, la CEDH observe que le contrôle restreint exercé par le tribunal fédéral ne l'a pas empêché, en l'espèce, de faire un examen de la compatibilité de la sentence avec l'article 8 de la Convention. Mais il ne s'agissait pas de la discrimination de l'article 14 et les griefs articulés par le requérant étaient voués à l'échec, en raison du non-épuisement des recours internes.

Dans l'affaire Semenya, les griefs développés devant le TAS et le Tribunal fédéral s'appuient directement sur la Convention européenne. La requérante invoque à la fois la discrimination fondée sur le sexe et l'atteinte à sa dignité par les traitements et examens médicaux qui lui ont été imposés. Or le Tribunal fédéral, limité par l'étroitesse de son contrôle, ne s'est pas prononcé sur ces points et n'a donc pas répondu aux griefs de la requérante. Il est évident qu'elle n'a pas bénéficié d'un droit de recours effectif, puisque, in fine, aucun juge ne s'est reconnu compétent pour apprécier les mesures dont elle a fait l'objet au regard de la Convention.

Au-delà d'une conclusion qui s'imposait, la décision suscite deux interrogations essentielles. 

D'une part, si la Cour opère une distinction claire entre les personnes intersexes et les transgenres, elle oublie quelque peu les femmes que l'on pourrait qualifier d'ordinaires. Elle ne laisse envisager aucune solution sur la seconde discrimination, à peine mentionnée dans l'arrêt. Si les femmes intersexes participent normalement aux compétitions féminines, il est clair que leur taux de testostérone leur procure un avantage manifeste par rapport aux autres qui se trouvent, de facto, discriminées. Dans leur opinion dissidente, les juges Grozev, Roosma et Ktistakis insistent ainsi sur l'égalité des chances dont doivent bénéficier toutes les compétitrices et incitent les instances internationales du sport à se pencher sur cette question.

D'autre part, on doit reconnaître que l'arrêt du 11 juillet 2023 est accablant pour le droit suisse. On doit en effet déduire que, pour accueillir le tribunal arbitral du sport, la Suisse a accepté débrancher son système judiciaire. Elle laisse finalement trois arbitres confortablement installés sur son territoire prendre des sentences qui reconnaissent le caractère discriminatoire d'une décision, sans en tirer la moindre conséquence. Il reste évidemment à se demander si les autorités suisses tiendront compte de cette jurisprudence.

 

Le droit à l'identité sexuelle : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 8 section 1 § 2





1 commentaire:

  1. Encore un nouvel exemple de la complexité du raisonnement de la CEDH qui se plait à opérer des distinctions subtiles à l'infini ! Tout ceci constitue la marque de son approche idéologique de problèmes sociétaux", concept pris dans son acception la plus large. Elle dit tout et son contraire sur des concepts importants de la convention qu'elle est censée appliquer. Comment croire un seul instant à son impartialité ?

    "Le droit est la plus puissante des écoles de l'imagination. Jamais poète n'a interprété la nature aussi librement qu'un juriste la réalité" (La guerre de Troie n'aura pas lieu, Jean Giraudoux). Que dire de plus !

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