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jeudi 27 juillet 2023
Le député dépité
Dans un arrêt du 24 juillet 2023, le Conseil d'État se déclare incompétent pour connaître de la sanction infligée à un député par l'Assemblée nationale. En l'espèce, l'anonymisation des décisions de justice a quelque chose de comique. Le juge administratif appelle le requérant M. B. A., mais nul n'ignore le nom du député La France Insoumise (LFI) qui a cru bon de prendre la pose le 9 février 2023, ceint de son écharpe tricolore, posant le pied sur un ballon à l'effigie du ministre du travail. Il a ensuite diffusé ce cliché sur Twitter, et la photo a ensuite été reproduite dans les médias.
La sanction ne s'est guère fait attendre. Dès le lendemain, l'intéressé a été l'objet d'une sanction disciplinaire. La peine infligée est la censure avec exclusion temporaire, c'est-à-dire la plus élevée dans l'échelle des sanctions énoncée à l'article 70 du règlement de l'Assemblée nationale, après le rappel à l'ordre, le rappel à l'ordre avec inscription au procès-verbal et la censure simple. De manière très concrète, le député sanctionné n'a plus le droit de prendre part aux travaux de l'Assemblée durant quinze jours, et se voit privé, pendant deux mois, de la moitié de son indemnité parlementaire. Sur le plan de la procédure, la sanction a été votée par l'Assemblée nationale, sur proposition de son bureau.
Le parlementaire ainsi sanctionné souhaite exercer un recours contre la mesure qui le frappe, mais le Conseil d'État se déclare incompétent.
Séparation des pouvoirs et autonomie des assemblées parlementaires
La décision ne surprendra personne. Elle repose sur le principe de séparation des pouvoirs, qui induit le principe d'autonomie des assemblées parlementaire, dont le Conseil d'État a précisé le contenu dans un arrêt du 4 juillet 2003. Il a alors rejeté le recours déposé par Maurice Papon contre une
décision du collège des questeurs de l'Assemblée nationale qui avait
suspendu le versement de sa pension d'ancien député. Le règlement de la
caisse des pensions et de sécurité sociale des députés prévoit en effet
une telle sanction en cas de condamnation à une peine infamante ou
afflictive. Pour le Conseil d'Etat, le régime de pensions des anciens
députés "fait partie du statut parlementaire, dont les règles particulières résultent de la nature de ses fonctions". Ce statut se rattache "à l'exercice de la souveraineté nationale par les membres du Parlement".
Le juge administratif est, avant tout, le juge de l'administration. Les
activités du Parlement échappent donc à son contrôle, quand bien même
ces activités présenteraient un caractère administratif. Tel est le cas des sanctions infligées aux députés qui, finalement, ressemblent à des sanctions administratives ordinaires. Mais la différence essentielle réside dans le fait qu'elle n'est pas prise par une autorité
administrative mais par
l'Assemblée nationale. Le principe de séparation des pouvoirs interdit ainsi l'ingérence des juges dans son fonctionnement, et notamment dans les
actes liés à la police des séances.
Les dispositions du règlement de l'Assemblée nationale relatives aux sanctions ont été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, dans une décision du 11 décembre 2014. Il était alors saisi d'une résolution de l'Assemblée nationale modifiant son règlement.
Il n'en demeure pas moins que cette décision d'incompétence rendue par le Conseil d'État suscite quelques questions.
Les élus insoumis. Les Goguettes. 2017
Une double incompétence
Observons d'emblée que le Conseil d'État est, en quelque sorte, doublement incompétent. Il s'appuie certes sur la séparation des pouvoirs et l'autonomie des assemblées parlementaires, ce qui lui permet de ne pas trancher sur le choix du juge. Le requérant a saisi directement le Conseil d'État, estimant sans doute que l'importance de la personnalité en cause, c'est-à-dire lui-même, imposait la saisine de la juridiction suprême de l'ordre administratif. On doit rappeler toutefois que Julien Aubert, sanctionné d'un rappel à l'ordre avec inscription au procès-verbal pour avoir donné du "Madame LE Président" à la vice-présidente de l'époque, avait, quant à lui, saisi le tribunal administratif de Paris. Le 24 juin 2015, celui-ci s'était déclaré incompétent sur le fondement de la séparation des pouvoirs, décision confirmée par la Cour d'appel de Paris le 12 juillet 2016. Aucune de ces deux juridictions n'avait renvoyé l'affaire au Conseil d'État. On objectera que le choix du juge est sans importance puisque tous les juges administratifs se déclarent incompétents.
Sans doute, mais c'est précisément le problème. La protection de la souveraineté parlementaire est sans doute une nécessité au regard de la séparation des pouvoirs, mais son respect doit-il priver un parlementaire sanctionné de son droit au recours ?
Le droit au recours
Le droit au recours est pourtant un principe très solidement ancré dans
le droit. Il a été consacré par le Conseil d'Etat lui-même dans son
arrêt ministre de l'agriculture c. dame Lamotte du 17 février 1950. Il est également garanti par le Conseil constitutionnel qui le rattache à
l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dans sa décision du 9 avril 1996. De son côté, la Cour européenne des droits de l'homme se réfère au
"droit d'accès à un tribunal", considéré comme un élément du droit au
procès équitable garanti par l'article 6 § 1.
Elle admet toutefois que des limitations puissent être apportées à ce
droit, dès lors qu'elles poursuivent un but légitime et qu'il existe "un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé" (CEDH 28 mai 1985, Ashingdane c. Royaume-Uni).
En l'espèce, le respect de la séparation des pouvoirs constitue sans
doute un but légitime. Mais la condition de proportionnalité peut-elle
être remplie lorsque le système conduit à supprimer totalement le droit
au recours ? En effet, le député ne peut saisir le juge, mais il ne peut
pas davantage bénéficier d'une procédure de recours interne.
Le Conseil d'État expédie quelque peu le moyen reposant sur l'absence de droit au recours. Il affirme d'abord que "la circonstance qu'aucune juridiction ne puisse être saisie d'un tel
litige ne saurait avoir pour conséquence d'autoriser le juge
administratif à se déclarer compétent". Il reconnaît donc le déni de justice, c'est-à-dire l'absence de juge compétent, mais considère que ce n'est pas son affaire. Il ajoute ensuite que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme "n'impose pas qu'une parlementaire frappé d'une sanction disciplinaire jouisse d'un droit au recours juridictionnel".
Sur ce point, l'analyse du Conseil d'État est quelque peu rapide. D'une part, la jurisprudence de la CEDH n'impose pas qu'un parlementaire sanctionné jouisse du droit au recours, mais elle ne l'interdit pas non plus. L'absence de jurisprudence n'impose pas de conclure à l'absence de droit au recours. D'autre part, un arrêt Cordova c. Italie du 30 janvier 2003 semble moins péremptoire. La CEDH admet en effet que des limitations peuvent être apportées au
droit au recours, dès lors qu'elles poursuivent un but légitime et qu'il existe "un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé". Le rapport de proportionnalité est-il raisonnable lorsque le droit au recours est purement et simplement supprimé ?
La réponse à cette question est d'autant plus incertaine qu'une solution pourrait être trouvée dans le droit interne, à travers la notion de détachabilité. On pourrait imaginer que les propos d'un député dans l'hémicycle durant le débat parlementaire ne sont pas détachables de la fonction législative et que leur sanction relève exclusivement de l'assemblée. En revanche, les propos tenus dans une manifestation, devant des journalistes ou sur les réseaux sociaux pourraient être tenus comme détachables de la fonction législative. L'éventuelle sanction pourrait alors être contestée devant un juge. C'est ce que proposait le commissaire du gouvernement Vallée dans l'affaire Papon, mais il n'a pas été entendu. De même, peut être serait-il possible de réfléchir à un juge compétent, peut être le Conseil constitutionnel ?
Dans ce genre d'affaire, le problème essentiel est l'indifférence. Un député de droite refuse d'appeler la vice-présidente de l'Assemblée autrement que "madame LE Président", un député LFI prend la pose, le pied posé sur un ballon représentant Olivier Dussopt. D'une certaine manière, les affaires, d'ailleurs peu nombreuses, se ressemblent. Elles ont pour point commun de mettre en évidence l'indigence du débat politique, au mieux de faire sourire, au pire de nourrir l'antiparlementarisme. Mais avec tout cela, personne ne songe sérieusement à consacrer un droit au recours au profit de ces turlupins.
Encore une fois, vous apportez des éléments d'informations utiles pour éclairer la lanterne du citoyen peu au fait des arcanes du droit, en général et des subtilités du droit administratif, en particulier. Le principe de la séparation des pouvoirs apparait ici comme un écran de fumée. Que dire des membres du Conseil d'état désignés comme vice-président de l'institution après avoir occupé le poste prestigieux de secrétaire général du gouvernement ?
Encore une fois, le Conseil d'état apparait sous son vrai jour: une "juridiction Potemkine" soit pour protéger l'Administration, soit pour jouer les Ponde Pilate. Le domaine des sanctions constitue son terrain de chasse privilégié. Alors que ses vice-présidents ne cessent de nous présenter le Conseil d'état comme le protecteur des libertés, il en est surtout le fossoyeur et cela dans l'indifférence générale.
Tout ceci est indigne d'un pays qui se présente comme un état de droit et comme la patrie des droits de l'homme. Plus que comique, cette situation est pathétique. A quand la convocation des états généraux de la justice administrative pour réformer drastiquement ce système d'un autre âge ? Bien évidemment, la présidence de ce groupe ne devrait en aucun cas revenir à un membre de la juridiction administrative. Outre des citoyens "normaux', ses membres devraient être choisis en raison de leur indépendance d'esprit et non en fonction de leur proximité avec le pouvoir.
Encore une fois, vous apportez des éléments d'informations utiles pour éclairer la lanterne du citoyen peu au fait des arcanes du droit, en général et des subtilités du droit administratif, en particulier. Le principe de la séparation des pouvoirs apparait ici comme un écran de fumée. Que dire des membres du Conseil d'état désignés comme vice-président de l'institution après avoir occupé le poste prestigieux de secrétaire général du gouvernement ?
RépondreSupprimerEncore une fois, le Conseil d'état apparait sous son vrai jour: une "juridiction Potemkine" soit pour protéger l'Administration, soit pour jouer les Ponde Pilate. Le domaine des sanctions constitue son terrain de chasse privilégié. Alors que ses vice-présidents ne cessent de nous présenter le Conseil d'état comme le protecteur des libertés, il en est surtout le fossoyeur et cela dans l'indifférence générale.
Tout ceci est indigne d'un pays qui se présente comme un état de droit et comme la patrie des droits de l'homme. Plus que comique, cette situation est pathétique. A quand la convocation des états généraux de la justice administrative pour réformer drastiquement ce système d'un autre âge ? Bien évidemment, la présidence de ce groupe ne devrait en aucun cas revenir à un membre de la juridiction administrative. Outre des citoyens "normaux', ses membres devraient être choisis en raison de leur indépendance d'esprit et non en fonction de leur proximité avec le pouvoir.
Dans l'affaire "Aubert" il y a eu pourvoi (non admission de mémoire) puis saisine CouEDH (rejet en juge unique de memoire)...
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