Trois ordonnances rendues par le juge des référés des tribunaux administratifs de Paris, Lyon et Bordeaux le 1er mai 2023 refusent la suspension des arrêtés préfectoraux autorisant l'usage des drones pour la surveillance des manifestations du 1er mai. Seul le juge des référés du tribunal administratif de Rouen donne, très partiellement, satisfaction aux demandeurs. Il sanctionne en effet une autorisation d'usage des drones au Havre qui couvrait une période de huit heures après le début du cortège. Il considère donc que l'atteinte à la liberté d'aller et venir et droit au respect de la vie privée est excessive, et suspend l'autorisation "après 14 heures", sans modifier le périmètre de survol.
Ces décisions sont pratiquement identiques, et la suspension partielle prononcée à Rouen ne modifie en rien l'analyse juridique. Celle-ci était prévisible. Après les premières hésitations sur les conditions de légalité de l'usage des drones dans le domaine de la sécurité, les autorités ont en effet renforcé les fondements juridiques de cette pratique. Les ordonnances de référé rendues le 1er mai prennent acte de cette évolution.
Les premières décisions, ou l'hésitation jurisprudentielle
Tout a commencé avec plusieurs ordonnances rendues par le juge des référés du Conseil d'État le 18 mai 2020, saisi sur le même fondement du référé-liberté. A l'époque, il agissait dans un contexte de sortie progressive du confinement lié à la crise sanitaire. Les forces de police avaient alors utilisé, dans la ville de Paris, quatre drones équipés d'un zoom optique et d'un haut-parleur, utilisés deux à trois heures par jour. Le télépilote du drone filmait les lieux dans lesquels des rassemblements étaient susceptibles de se former, en violation des mesures prescrites par l'état d'urgence sanitaire. Les images étaient transmises en temps réel dans un centre de commandement, où il était décidé de la conduite à tenir, soit ne rien faire, soit utiliser le haut-parler pour diffuser un message de mise en garde aux personnes présentes sur le site, soit envoyer des agents susceptibles de verbaliser. Le juge des référés avait suspendu l'arrêté préfectoral autorisant cette pratique pour un motif de procédure. En l'absence de dispositif technique imposant au drone de voler suffisamment haut pour ne pas capter de données identifiantes, il considère que la procédure doit être celle imposée par le Règlement général de protection des données (RGPD). Elle suppose donc un avis préalable de la CNIL, qui n'avait pas été saisie en l'espèce.
La seconde décision dans ce domaine est venue du Conseil constitutionnel. Le 20 mai 2021, il s'est prononcé sur la conformité à la Constitution de la loi "pour une sécurité globale préservant les libertés". Parmi les multiples dispositions annulées par le Conseil, se trouvent celles permettant 'utilisation des drones par les forces de police aux fins de recherche, de constatation ou de poursuite des infractions pénales, ou aux fins de maintien de l'ordre.
Le Conseil constitutionnel ne conteste pas l'intérêt que peuvent représenter les drones pour ces différentes missions qui ne concernent pas seulement le contrôle des manifestations, mais aussi le repérage des points de drogue ou des rodéos urbains. Il affirme au contraire que le législateur peut autoriser de telles pratiques "pour répondre aux objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions". Mais il note que la mobilité des drones, et la hauteur à laquelle ils peuvent évoluer, rendent possible la captation de l'image d'un grand nombre de personnes et le suivi de leur déplacement, alors même qu'elles n'ont rien à voir avec les finalités d'ordre public poursuivies. Le Conseil censure donc ces dispositions car le législateur aurait dû assortir l'usage des drones de garanties particulières destinées à garantir le respect de la vie privée des personnes.
Cette décision du Conseil offre ainsi au législateur un véritable mode d'emploi des drones dans le domaine de la sécurité. Des textes nouveaux interviennent donc pour rendre l'usage des drones conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Gus, septembre 1969
Les textes récents
La loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure a permis d’autoriser les services de la police et de la gendarmerie nationales à recourir à la captation d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs, drones, hélicoptères, ballons captifs. Cette fois, le Conseil constitutionnel déclare, le 20 janvier, le texte conforme à la Constitution. En effet, le législateur a précisément rédigé la loi, de manière à empêcher la captation de données identifiantes.
Les conditions d'usage des drones sont clairement précisées. Il doit avoir pour seule finalité d'assurer la sécurité des interventions des services chargés de la sécurité, pour la seule durée de ces intervention. Un usage généralisé et discrétionnaire des drones est donc illicite, ce qui suppose une définition de sa durée. De même, les images enregistrées concernent les lieux publics, ce qui interdit tout enregistrement dans une habitation privée. Enfin, les instruments biométriques de reconnaissance faciale sont prohibés, comme tout rapprochement ou interconnexion de données. Concrètement, le drone peut donc être utilisé à des fins de police administrative, pour filmer de haut les mouvements de groupes de personnes, sans que les individus puissent être identifiés.
Les manifestations sur la loi travail ont incité les pouvoirs publics à accélérer la mise en oeuvre de ces dispositions. Un décret du 19 avril 2023 définit ainsi un cadre juridique précis pour l'usage des drones en matière de police administrative. Intégré dans la partie réglementaire du code de la sécurité intérieure, il dresse la liste des cas dans lesquels les drones peuvent être utilisés. Y figure notamment "la sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public ainsi que l'appui des personnels au sol, en vue de leur permettre de maintenir ou de rétablir l'ordre public, lorsque ces rassemblements sont susceptibles d'entraîner des troubles graves à l'ordre public".
Les différents juges des référés des tribunaux administratifs saisis ne manquent pas de se référer à cette disposition. Il est évident que les manifestations récentes ont donné lieu à des troubles graves à l'ordre public, le plus souvent provoqués par une petite minorité de manifestants violents. Les juges notent également que l'usage des drones est limité à la durée de la manifestation, et d'ailleurs l'arrêté du préfet de Seine Maritime est suspendu pour la seule période allant au-delà de la durée estimée du rassemblement.
Les associations requérantes ont développé un ensemble de moyens qui auraient peut-être pu se révéler efficaces avant la loi du 24 janvier 2022 et le décret du 19 avril 2023. Hélas pour elles, les pouvoirs publics ont voulu éviter une mésaventure telle que celle du 18 mai 2020. Ils ont donc considérablement musclé le droit applicable à l'utilisation des drones en matière de police administrative. Ils ont, en quelque sorte, anticipé les recours. In fine, la question est celle de savoir si les associations requérantes ne se trompent pas de combat. Ils voient les drones, et le disent dans leur recours, comme une atteinte à la liberté de manifester. Mais au contraire, l'utilisation de cette technique, dès lors que les données recueillies ne sont pas identifiantes car filmées de très haut, permet par exemple de déceler la présence de Black Blocs, de voir les violences dès leurs prémices. Il s'agit alors de protéger les manifestants, les vrais, ceux qui viennent pour faire valoir leurs revendications.
A la faveur du développement de la violence lors des manifestations, contre la loi sur les retraites les associations requérantes ne cessent de se tromper de combat juridique. Au lieu de mettre en avant la sécurité des honnêtes citoyens, elles s'évertuent à vouloir défendre la pseudo-liberté de personnes dont le seul objectif est de renverser l'ordre établi au nom de la révolution permanente. Tout ce qui est excessif est insignifiant. A cet égard, le débat sur les méthodes de la LDH ne manque pas d'intérêt théorique et pratique.
RépondreSupprimerEntre sécurité stricto sensu et liberté largo sensu, il faut savoir choisir. A trop galoper dans les nuages, l'exécutif fait le lit du RN qui tire habilement les marrons du feu. Il est à craindre que si cette éventualité devenait réalité, le champ de la sécurité serait élargi et celui des libertés restreint. Le voulons-nous ?
Merci pour cette analyse.
RépondreSupprimerJ'aimerais avoir autant confiance en la police française pour protéger les manifestants. On a plutôt l'impression d'une dérive rapide, que les dispositifs légaux ne suffisent plus à empêcher. Qu'il faille lutter contre les casseurs et leur violence, oui, mais les faits montrent de façon croissante que cette violence des casseurs est utilisée par le pouvoir à d'autres fins. A quand une police des polices indépendante ? Sans police, le droit n'est rien. Sans police des polices digne de ce nom, le droit risque de n'être rien pour la police...a fortiori avec un pouvoir qui ferme les yeux.