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vendredi 31 mars 2023

Le Fact Checking de LLC : Participer à une manifestation non déclarée ou à une manifestation interdite, c'est différent


"Il faut savoir qu'être dans une manifestation non déclarée est un délit, mérite une interpellation". Ces propos ont été tenus par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, lors d'une visite aux forces de police, le 21 mars 2023. Il visait, à l'évidence, les rassemblements qui ont eu lieu depuis l'utilisation de l'article 49-3 de la Constitution par la Première ministre. Alors que les manifestations précédentes, initiées par les syndicats, avaient donné lieu à déclaration, conformément au droit commun, ces rassemblements plus ou moins spontanés sont initiés par les réseaux sociaux, sans procédure déclaratoire et sans organisateurs identifiés. Les propos du ministre ont eu un écho supplémentaire après les évènements de Sainte-Soline qui se sont produits alors même que la préfète du département avait pris un arrêté d'interdiction de la manifestation.

On doit constater d'emblée que les deux situations ne sont pas identiques. Dans le premier cas, celui des manifestations contre l'usage de l'article 49-3, la situation qui doit être éclaircie est celle des participants à une manifestation déclarée. Dans le second cas, Sainte-Soline, c'est le cas des participants à une manifestation interdite qui est soulevé. 

 

La participation à une manifestation interdite


Lorsque la manifestation est interdite, le droit positif a le mérite de la clarté. Le décret du 20 mars 2019 introduit dans le code pénal un article R 644-4 qui énonce : "Le fait de participer à une manifestation sur la voie publique interdite sur le fondement des dispositions de l'article L. 211-4 du code de la sécurité intérieure est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe". Tout participant à une manifestation interdite peut donc se voir condamner à une contravention de 135 €.

Les propos visant à présenter les manifestants de Sainte-Soline comme des jeunes gens pacifiques simplement désireux de faire une marche dans la campagne sont donc sans influence sur l'illicéité de leur participation à la manifestation. L'infraction est constituée par le seul fait de participer à un rassemblement interdit. Bien entendu, d'autres poursuites sont possibles pour sanctionner les violences commises.

 

La participation à une manifestation non déclarée 


La situation est un peu plus compliquée dans le cas d'une manifestation non déclarée. En effet, un principe général du droit pénal affirme qu'il n'y a pas d'infraction sans texte. Et précisément, aucun texte ne prévoit ce cas de figure. 

La chambre criminelle de la Cour de cassation s'est prononcée sur cette question dans un arrêt du 14 juin 2022. Elle est alors saisie par un requérant qui a été condamné, sur le fondement de l'article R 644-4 du code de procédure pénale, à une amende de 135 € pour avoir participé à une manifestation non déclarée. Cela signifie que les juges du fond ont considéré qu'une manifestation qui n'était pas déclarée était interdite. Or, il n'en est rien. Sur le plan juridique, une manifestation interdite est celle qui a fait l'objet d'un arrêté d'interdiction. Une manifestation qui n'est pas déclarée n'est donc pas officiellement interdite. En l'état actuel du droit, aucune disposition légale ou réglementaire n'incrimine le seul fait de participer à une manifestation non déclarée.

En cassant la condamnation du requérant, la Cour de cassation applique le principe classique nullem crimen nulla poena sine lege. Il n'y a pas d'infraction sans texte, et la Cour de cassation sanctionne les juges du fond qui avaient assimilé deux situations juridiquement distinctes, l'interdiction et l'absence de déclaration. 

On pourrait s'étonner dans ce vide normatif dans un domaine pourtant particulièrement sensible. Son motif réside d'abord dans les difficultés de preuve. Une fois devant le juge, les participants à une manifestation non déclarée racontent avoir été sollicités pour se joindre au cortège en ignorant que les organisateurs ne s'étaient pas pliés à la procédure déclaration. Ils ne sont certes pas toujours de très bonne foi, mais comment le prouver ? 

Est-il pour autant impossible de poursuivre les participants à une manifestation non déclarée ? Il faut alors distinguer deux hypothèses. 

 

 

Manifestation devant le journal Le Gaulois. Jules Le Natur (né en 1851)
 

 

La manifestation sans violences

 

La première est l'hypothèse optimiste. Tout se passe bien, et la manifestation non déclarée ressemble étrangement à une manifestation déclarée, pacifique et parfaitement encadrée. L'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme protège la liberté de réunion « pacifique », et elle le rappelle dans son arrêt du 2 octobre 2001, Stankov et Organisation macédonienne unie Ilinden c. Bulgarie. Peu importe la gêne occasionnée par le rassemblement, dès lors qu'il n'est pas violent. Dans l'arrêt de Grande Chambre du 15 octobre 2015, Kudrevicius et autres c. Lituanie, la CEDH estime ainsi que le blocage total par des agriculteurs des trois axes routiers les plus importants du pays, « au mépris flagrant des ordres de la police et des intérêts et droits des usages de la route » constitue un comportement répréhensible mais pas violent. Dès lors que le caractère pacifique est maintenu, la manifestation non déclarée est finalement gérée comme une manifestation déclarée, et ses participants ne seront pas poursuivis du seul fait de cette absence de déclaration.

 

La manifestation avec violences 

 

Hélas, il y a aussi une seconde hypothèse, pessimiste. Tout se passe mal, la manifestation non déclarée se traduit pas des violences et n'est donc plus "pacifique" au sens de l'article 11 de la Convention européenne. La protection offerte par ces dispositions ne couvre pas, en effet, les manifestations dont les organisateurs et participants sont animés par des intentions violentes ou incitent à la violence. Le droit français est conforme à ces dispositions.

Si une manifestation trouble l’ordre public ou est seulement susceptible de le troubler, elle est alors qualifiée d’attroupement et peut être dissipée par la force publique après deux sommations, sur le fondement de l'article 431-3 du code pénal. A ce stade, le fait de continuer volontairement de participer au rassemblement après les sommations est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Cette condamnation peut s'accompagner de circonstances aggravantes lorsque le manifestant est porteur d’une arme ou dissimule son visage pour ne pas être identifié (art. 431-4 et art. 431-5 c. pén.).

A ces infractions éventuelles, s'en ajoutent d'autres, connexes à la manifestation. Elles sont le fait de ceux qui profitent du rassemblement pour se livrer à des infractions de droit commun, violences volontaires, pillages, incendies etc. Elles sont donc réprimées selon ce même droit commun, avec la circonstance aggravante qu’elles sont généralement commises en réunion.

Finalement, le critère essentiel utilisé par le droit positif en matière de droit pénal des manifestations n'est pas la distinction en manifestations déclarées, non déclarées ou interdites. C'est plutôt celui de la violence, car une manifestation parfaitement déclarée peut aussi s'achever dans le chaos et susciter des condamnations sévères. La phrase prononcée par Gérald Darmanin est donc parfaitement fausse et ne rend pas compte du droit positif. 

De manière un peu surprenante, ces propos ont donné lieu à une demande de référé-liberté déposée par un ancien élu de Grenoble, Raymond Avrillier. Sans doute s'agissait-il d'un recours destiné uniquement à l'opinion publique, invoquant à la fois une atteinte à la liberté de circulation et à la liberté de manifestation. Mais il n'avait guère d'espoir de prospérer, sauf à considérer que le requérant était aussi ignorant du droit positif que le ministre de l'Intérieur qu'il attaquait. Il était en effet pour le moins étrange de demander au juge de référé de suspendre un acte qui n'existait pas, la déclaration du ministre n'ayant donné lieu à aucune décision administrative. L'irrecevabilité était donc certaine. Mais précisément parce qu'il n'y avait aucun enjeu contentieux, la décision offre au juge des référé l'occasion de déclarer  que "pour regrettables qu'elles soient en raison de leur caractère erroné", les déclarations du ministre "ne sont pas susceptibles d'avoir par elles-mêmes des effets notables sur l'exercice de la liberté de manifester et de se réunir". Espérons que cette petite pichenette du juge administratif incitera Gérald Darmanin à s'informer sur le droit positif. Cela peut se révéler utile au regard des fonctions qu'il exerce.

 

Sur la liberté de manifestation : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 1, section 1 § 2.

 

 

2 commentaires:

  1. Il doit être supposé que le principe de l'interdiction de la provocation à la commission d'infraction ne voit pas à s'appliquer dans le cas du délit de participation à un attroupement, quand bien même le prévenu poursuivit dudit délit prouverait que le comportement illégal d'individus membres des forces de l'ordre sont antérieurs au moment où le rassemblement pacifique a cessé de l'être. En effet, ce n'est pas l'attroupement en lui même qui est ainsi interdit, mais le fait de s'y maintenir, ce que le comportement des forces de l'ordre n'incite justement pas!

    Il doit être rappelé que, par principe, relevé par la Cour de Cassation, il ne peut y avoir de légitime défense s'agissant de violences perpétrées par des citoyens (re)vi(e)ndicatifs à l'encontre des membres des forces de l'ordre, quand bien même ces derniers agiraient de manière manifestement illégale (non port du RIO, tir avec des armes de guerres touchant malencontreusement le visage ou les parties génitales avant une éventuelle et très subtile interpellation des forces de l'ordre: "ramasse tes [gonades], [aficionado de la pénétration anale]!", lancé en cloche de grenade de démembre--désencerclement etc.).
    Il doit être complété à ce propos qu'il est illusoire de tenter de soulever le principe d'égalité devant la loi, les serviteurs zélés des Troupes de Maintien de l'Ordre Public et de l'Intérêt Général ne sont pas placés dans la même situation que tout autre citoyen et n'ont donc pas à être traités avec la même absence d'égard qu'eux.

    Il doit être martelé qu'il est également illusoire d'attendre la poursuite, pénale ou disciplinaire, et encore moins la condamnation, de toute autorité publique pour le fait de ne pas poursuivre pénalement et/ou sanctionner disciplinairement des agents dépositaires de l'autorité publique ayant fait un usage illégal de leurs pouvoirs.
    En effet, aucune sanction pénale n'est prévue s'agissant de l'obligation prévue à l'alinéa 2 de l'article 40 du Code de procédure pénale, obligeant pourtant à aviser le Procureur général de toute infraction dont tout fonctionnaire ou toute autorité constituée a connaissance.
    Pour ce qui est du disciplinaire, les tiers (tout le monde hormis l'administration et l'agent des forces de l'ordre concerné donc) n'ont pas d'intérêt à agir pour contester une sanction disciplinaire, empreinte de légèreté confinant à l'erreur manifeste d'appréciation voir au détournement de procédure, ou pour contester son absence même.
    Ainsi, savoir que le membre des forces de l'ordre vous ayant éborgné n'a pas été démis de ses fonctions et sera peut être à la prochaine manifestation ne constitue pas, per se, un intérêt à agir suffisant pour vous permettre de vous immiscer dans les relations très discrétionnaires des procédures disciplinaires.

    Ne reste plus alors que de vous munir d'un (bon) avocat, de patience, et peut être, tel pour Pierre Drouard Lefevre, l'on vous crachera au visage quelques piastres après 9 années de batailles judiciaires, sans toutefois vous rendre justice puisque votre bourreau sera relaxé, ce dernier ayant perpétré un "acte manifestement illégal commandé par une autorité légitime" (laquelle autorité ne sera pas non plus questionnée pour ce fait).

    Aux camarades de luttes, salutations amères..

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  2. Bonjour, il aurait été pertinent de prolonger votre propos dans le paragraphe "La participation à une manifestation interdite" en indiquant les cas où les interdictions peuvent être elles-mêmes illégales et constituer une atteinte à la liberté d'expression, ainsi que les moyens d'action des organisateurs. Cordialement,

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