La vie des lanceurs d'alerte est loin d'être facile, et leur protection juridique ne progresse que lentement. Il faut donc saluer la décision de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui, le 10 février 2023, impose au juge des référés statuant sur un licenciement, de rechercher si les éléments du dossier permettent de présumer que la personne licenciée peut bénéficier du statut de lanceur d'alerte. Si tel est le cas, il doit alors s'assurer que l'employeur apporte la preuve que la rupture du contrat de travail repose sur un ou plusieurs autres motifs.
La requérante est un ancien cadre de Thalès qui, en mars 2019, saisit le comité d'éthique de l'entreprise pour signaler des faits qu'elle estime constitutifs de corruption. En février 2020, ce comité rend son rapport, concluant à l'absence de violation de règles juridiques ou éthiques. Les choses se précipitent alors. Le 13 mars 2020, la requérante est convoquée à un entretien préalable à son licenciement, et ce dernier intervient deux mois plus tard. Bien entendu, la lettre de licenciement ne mentionne comme motif que des insuffisances dans le travail de la requérante, se gardant bien de toute référence à l'alerte qu'elle a lancée.
Quoi qu'il en soit, la requérante saisit les Prud'hommes en référé. Elle demande la nullité du licenciement et sa réintégration dans l'entreprise. Mais son recours est rejeté, d'abord par le juge des référés des Prud'homme, puis par la Cour d'appel de Versailles.
La Chambre sociale de la Cour de cassation se montre en revanche plus sensible aux demandes de la requérante, et surtout plus soucieuse de la protection des lanceurs d'alerte.
Ils sont, en principe, déjà protégés par le droit positif, avec notamment la loi du Sapin 2 du 9 décembre 2016. Elle introduit dans le code du travail un article L 1132-3-3 qui affirme qu'aucun salarié ne peut être licencié (...) pour avoir "témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont elle a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions", à la condition évidemment qu'elle ait respecté la procédure définie par la loi de 2016.
Reconnaissance du statut de lanceur d'alerte
Aujourd'hui, mais ce texte n'était pas en vigueur au moment des faits, la loi du 21 mars 2022, le lanceur d'alerte est défini comme « une personne physique qui révèle ou signale, sans contrepartie financière et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l'intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international (…), du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement ».
Le droit positif fait donc de la bonne foi l'un des critères de définition du lanceur d'alerte. En l'espèce, la Cour d'appel de Versailles a d'ailleurs reconnu à la requérante sa qualité de lanceur d'alerte en s'appuyant précisément sur bonne foi, appliquant la jurisprudence de la Chambre sociale, et particulièrement son arrêt du 8 juillet 2020. La Cour affirmait alors que la mauvaise foi ne saurait être admise au seul motif que les faits dénoncés n'ont finalement pas été établis par l'enquête. Pour que le lanceur d'alerte soit considéré comme de mauvaise foi il faut qu'il ait eu connaissance de la fausseté des faits qu'il dénoncés.
La Cour d'appel de Versailles, se fondant sur cette jurisprudence a donc reconnu la bonne foi de la requérante, ce que confirme la Chambre sociale de la Cour de cassation. La requérante, en effet, avait le sentiment de dénoncer des pratiques de corruption et sa bonne foi ne saurait être mise en cause, dès lors que cette dénonciation risquait de lui coûter son emploi. Surtout, la Cour se fondait également sur le contenu du dossier, et notamment la procédure de licenciement qui a été initiée et menée à terme par ceux-là même que la requérante accusait de corruption. Sur ce point, l'affaire illustre parfaitement les limites d'une législation qui contraint le lanceur d'alerte à utiliser une procédure interne qui le confronte toujours, à un moment ou à un autre, à ceux qu'il dénonce.
Le contrôle des Prud'hommes
Le juge des Prud'hommes, lorsqu'il intervient en référé sur le fondement de l'article R 1455-6 du code du travail "peut toujours (...) prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite". De fait, ces dispositions ont été utilisées pour ordonner la réintégration provisoire d'un salarié, lorsque la rupture du contrat de travail se révèle illégale, et donc entachée de nullité. La Chambre sociale, dans un arrêt du 6 février 2013, considère ainsi que le juge des référés peut ordonner la réintégration d'un salarié licencié pour avoir demandé la requalification de son contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée. Plus proche de l'affaire jugée le 10 février 2023, l'arrêt du 25 novembre 2015 confirme l'injonction du juge des référés ordonnant la réintégration d'un salarié qui avait dénoncé des faits de harcèlement moral.
Rien de bien surprenant dans la décision du 10 février 2023, si ce n'est que la Chambre sociale fait peser sur le juge des référés une charge plus lourde. Non seulement, il doit apprécier la bonne foi du salarié, ce qui lui permet de le qualifier de lanceur d'alerte, mais il doit aussi apprécier la bonne foi de l'employeur, même si ce mot n'est pas directement utilisé dans la décision. En effet, la Cour de cassation impose désormais au juge des référés de rechercher, en plus, si l'employeur apporte la preuve que la rupture du contrat de travail repose sur d'autres motifs, étrangers aux faits dénoncés par le salarié. C'est précisément ce que n'a pas fait le juge des référés en l'espèce, abstention confirmée par la Cour d'appel, et c'est ce qui justifie la cassation de la décision de la Cour d'appel.
Derrière ce motif de cassation apparaît une critique assez vive de la pratique du juge des référés des Prud'hommes. On ne peut qu'être choqué de voir qu'un juge n'a pas respecté les droits de la défense, en l'occurrence la règle Audi alteram partem. L'entreprise s'est bornée à affirmer que le licenciement ne reposait pas sur l'alerte lancée par la salariée, et le juge l'a crue sur parole, sans se demander si, par hasard, la rupture du contrat de travail ne serait pas une mesure de représailles. En protégeant le lanceur d'alerte contre un licenciement abusif, la Chambre sociale protège aussi les principes généraux du droit processuel, et plus spécialement les droits de la défense. Ils irriguent ainsi l'ensemble du système juridique, du droit pénal au droit de la fonction publique, en passant par le droit du travail.
Les lanceurs d'alerte : Chapitre 9 Section 1 § 2 B du manuel sur internet
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