Dans un arrêt du 4 janvier 2023, la 3e chambre civile de la Cour de cassation, affirme que les personnes publiques peuvent acquérir un bien immobilier par prescription acquisitive, ou usucapion. Avouons que c'est le genre de sujet qui ne fait guère vibrer la doctrine, du moins celle qui s'intéresse aux libertés publiques.
Elle
considère généralement que le droit de propriété est un droit de
seconde zone. Lorsqu'il s'agit de la propriété des personnes privées, on
l'étudie en droit civil des biens. Lorsqu'il s'agit de la propriété des
personnes publiques, c'est le droit administratif des biens qui est
sollicité, avec son cortège de normes techniques et ses empilements de
procédure. Et pourtant, l'arrêt du 4 janvier 2023 concerne au premier
chef les libertés publiques. En permettant aux personnes publiques
d'acquérir une propriété immobilière par prescription acquisitive, il
offre aux collectivités un intéressant moyen d'action, quand on sait que
l'appropriation publique est souvent l'instrument le plus efficace pour
assurer la sauvegarde de biens, notamment culturels, voire tout
simplement pour faire entrer dans la voirie communale des chemins privés
entretenus depuis longtemps aux frais de la collectivité.
L'usucapion
L'article 2258 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, définit la prescription acquisitive comme "un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi". Ainsi, la propriété ne se perd pas par le non-usage du bien, mais elle se perd par l'usage du bien par une autre personne. Celle-ci pourra alors être considérée comme propriétaire, à l'issue d'un délai de trente ans, et ceci sans bourse-délier.
La justification de l'usucapion se trouve finalement dans le principe simple d'adaptation du fait au droit. Il s'agit de prendre acte d'une situation dans laquelle le droit de propriété sur un bien n'est plus exercé par celui qui en était titulaire, une autre personne, publique ou privée, se substituant à lui pour assumer les charges liées à ce bien.
La
conformité de cette procédure à la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l'homme a suscité des interrogations, dans la mesure où le
transfert de propriété ne s'accompagne d'aucune indemnistation. Après
quelques hésitations, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH),
dans un arrêt du 30 août 2007, J. A. Pye (Oxford) Ldt et J. A. Pye (Oxofrd) Land c. Royaume-Uni,
a toutefois considéré que cette procédure ne portait pas une atteinte
excessive à l'alinéa 1er du Protocole n° 1 à la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme, disposition qui protège précisément
le droit de propriété.
Quant à la conformité de la prescription acquisitive à la Constitution, et plus particulièrement à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui précise que nul ne peut être privé de sa propriété que "sous la condition d'une juste et préalable indemnité", la question n'a pas été posée. En effet, dans un arrêt du 17 juin 2011, la même 3è Chambre civile de la Cour de cassation a refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité sur ce sujet. Le raisonnement de la Cour était alors un peu quelque peu "jésuitique". L'idée était que l'usucapion n'a ni pour objet, ni pour effet, de priver une personne de son droit de propriété. Elle permet seulement au possesseur, sous certaines conditions, et par le simple écoulement du temps, de bénéficier d'un titre de propriété correspondant à une situation de fait qui n'a pas été contestée pendant une très longue durée. Avouons que l'analyse n'était guère satisfaisante, car l'usucapion a tout de même pour effet de priver la personne de tous les attributs du droit de propriété, ce qui peut être considérer comme une privation du droit de propriété lui-même.
Le Domaine des Dieux
René Goscinny et Albert Uderzo. 1971
Une évolution substantielle de la jurisprudentielle
La question de l'usucapion au profit d'une personne publique n'a pas souvent été envisagée, tout simplement parce que la question ne s'est guère posée. Et lorsqu'elle se posait, la prescription acquisitive était écartée. Dans un contentieux portant sur l'élargissement d'un chemin par une commune, la Cour d'appel de Rennes, le 30 octobre 2012 affirmait ainsi que la collectivité "ne peut invoquer à son profit la prescription acquisitive, une personne publique ne pouvant (...) bénéficier du régime juridique de la possession". Cette analyse reposait sur l'idée que le code général de la propriété des personnes publiques dresse, dans sa partie législative, une liste des différents modes d'acquisition des biens mobiliers et immobiliers (art. L 1111-1 et suivants). Cette liste est présentée comme exhaustive, excluant les autres modes d'acquisition du droit commun, figurant dans le code civil.
Dans son arrêt du 4 janvier 2023, la Cour de cassation fait, en quelque sorte, bénéficier les collectivités publiques d'un procédé du droit commun. La décision semble logique dans la mesure où ce qui constitue le coeur de l'usucapion, à savoir la mise en conformité du droit au fait, peut être invoqué aussi bien au profit d'une personne publique. De même, cette décision offre aux collectivités un outil de gestion, certes exceptionnel, mais aussi destiné à répondre à des situations inextricables. On imagine ainsi les biens plus ou moins abandonnés par une indivision trop nombreuse et ingérable, des chemins pas entretenus par des propriétaires éloignés, ou des terrains non défrichés, etc. Bien souvent, les collectivités sont contraintes d'effectuer un entretien minimum, ne serait-ce que pour assurer la sécurité, mais elles ne peuvent entreprendre des travaux plus importants, travaux qui seraient effectués au profit de personnes privées. L'usucapion, aussi exceptionnelle soit-elle, permet ainsi aux collectivités territoire de conserver le contrôle de leur espace en leur retirant à ceux qui, précisément, sont absents et indifférents.
Les atteintes du droit de propriété : Chapitre 6 Section 2 du manuel sur internet
l'égalité des armes conduirait à reconnaitre aux administrés la possibilité d'usucaper le domaine public alors ?!
RépondreSupprimerIl y a-t-il seulement un droit d’égalité des « armes » entre administration et administrés ?
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