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vendredi 20 janvier 2023

Droit à l'hébergement d'urgence et intérêt supérieur de l'enfant


Le juge des référés du Conseil d'État, dans une ordonnance datée du 16 janvier 2023 M. E. B. et Mme D. C., estime que l'absence d'hébergement d'urgence peut constituer "une carence caractérisée de la mission confiée à l'État". C'est le cas lorsqu'une famille est laissée dans la rue, alors qu'elle est particulièrement vulnérable. En l'espèce, cette vulnérabilité trouvait son origine dans la période hivernale mais aussi et surtout dans la présence d'une enfant âgée de cinq mois. 

 

Un devoir de l'État


L'hébergement d'urgence est d'abord un devoir de l'État. L'article L 345-2-1 du code de l'action sociale et des famille confère ainsi au préfet de la région Ile-de-France une compétence générale pour assurer la mise en place d'un dispositif de veille sociale, permettant l'accueil des personnes sans abri ou en détresse. Ce dispositif unique, mieux connu sous son numéro d'appel, le 115, doit leur assurer, aux termes de l'article L 345-2-2 "des conditions d'accueil conformes à la dignité de la personne humaine et garantissant la sécurité des biens et des personnes" et leur offrir " des prestations assurant le gîte, le couvert et l'hygiène (...)".

 

Une liberté fondamentale


Le juge des référés du Conseil d'État, dans une ordonnance du 10 février 2012 a fait de cet hébergement d'urgence, l'une des "libertés fondamentales" de nature à justifier une mesure d'urgence, au sens de l'article L 521-2 du code de justice administrative. Le juge des référés peut désormais constater une atteinte grave et manifestement illégale à cette nouvelle liberté et donner injonction à l'administration de garantir son exercice.

Le problème est que la procédure ne fonctionne pas vraiment. En témoigne l'affaire soumise au juge des référés du Conseil d'État qui, évidemment, avait été soumise en première instance au juge des référés du tribunal administratif de Paris. Cette famille de demandeurs d'asile guinéens, donc en situation régulière au moins jusqu'à ce qu'il soit statué sur leur cas, a saisi le juge pour qu'il soit enjoint au préfet d'Ile de France de les héberger sans délai, à compter de la notification de l'ordonnance de référé. Le 29 décembre 2022, le juge des référés du tribunal administratif a rejeté leur requête, en estimant que l'absence d'hébergement d'urgence ne portait pas, dans la situation de la famille requérante, une atteinte grave et manifestement excessive à une liberté fondamentale.

Le juge des référés du Conseil d'État prend une position résolument inverse, en affirmant que cette famille se trouve précisément dans la situation de détresse sociale qui est la condition même du droit à l'hébergement d'urgence.

 

I want to go home. Johny Cash.

L'intérêt supérieur de l'enfant

 

La présence d'une enfant de cinq mois constitue l'élément essentiel caractérisant cette situation de détresse. En effet, le juge administratif, et le juge des référés en particulier, apprécie la mesure d'urgence qui lui est demandée au regard de l'article 3 al. 1 de la Convention internationale sur les droits de l'enfant, disposition qui affirme que toute décision concernant un enfant doit être prise avec comme "considération primordiale" son intérêt supérieur. Cet intérêt supérieur de l'enfant prévaut sur toute autre disposition conventionnelle ou législative. Or, en l'espèce, l'intérêt de l'enfant est d'avoir un toit, même provisoire, avec ses parents. 

L'intérêt de l'enfant est donc apprécié de manière concrète, à partir de l'évaluation de ses besoins les plus élémentaires. Le juge des référés du tribunal administratif de Lille, dans son ordonnance du 26 février 2016, refusait ainsi de suspendre en urgence l'évacuation de la Jungle de Calais. Les requérants invoquaient l'intérêt de l'enfant en invoquant la présence de nombreux mineurs isolés sur ce site. Ils s'appuyaient sur un rapport du Défenseur des enfants mentionnant l'insuffisance de la prise en charge de ces mineurs isolés. Avec un certain sens des réalités, le juge des référés écarte ce moyen. Il observe que le maintien de ces enfants dans une zone particulièrement insalubre n'est pas nécessairement le meilleur moyen d'assurer une meilleure prise en charge. Leur évacuation est donc une mesure proportionnée à leur intérêt supérieur.

 

L'effectivité de la décision

 

Il reste à s'interroger sur l'effectivité de l'injonction donnée le 16 janvier 2023 au préfet d'Ile de France. Témoignant de l'importance de cette affaire, le Conseil d'État a décidé de tenir une audience publique, la décision étant finalement prise par une formation collégiale. Il est apparu que le droit à l'hébergement d'urgence ne peut être effectivement garanti, faute de lieux disponibles. L'ordonnance mentionne ainsi que, le 6 janvier 2023, le 115 a reçu 18 709 appels. Seulement 981 ont obtenu une réponse conduisant à ce qu'une solution d'hébergement soit proposée à 651 personnes dont 150 appartenant à des familles avec enfants mineurs. Or, ce jour là, on dénombrait, parmi les demandeurs, 223 familles avec enfants mineurs.

En janvier 2023, le juge des référés du Conseil d'État statue sous une pression discrète mais certaine de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Dans une décision du 8 décembre 2022 M. K. c. France, la Cour sanctionne la passivité des autorités administratives françaises qui n'ont pas exécuté les injonctions d'un juge des référés en matière d'hébergement d'urgence, le préfet n'essayant même pas de trouver un hébergement dans un autre département. Aux yeux de la CEDH, il s'agit d'une violation de l'article 6 § 1 qui garantit le droit à juste procès, puisque des décisions de justice sont demeurées lettre morte.

En prononçant l'injonction du 16 janvier 2023, le juge des référés respecte la jurisprudence européenne. Mais le mérite n'est pas aussi grand que l'on pourrait le penser. En effet, la famille requérante a, heureusement, obtenu un hébergement le 7 janvier dans un hôtel de Villabé (Essonne). Le Conseil d'État intervenant le 16 janvier peut donc se montrer d'autant plus protecteur du droit à l'hébergement d'urgence qu'il sait que sa décision est dépourvue de conséquences concrètes et qu'elle n'impose aucune contrainte supplémentaire à l'administration.


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