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jeudi 22 décembre 2022

Il n'y a pas de Zemmour heureux


Dans Le Point du 6 octobre 2018, Eric Zemmour dénonçait, avec sa vigueur habituelle, les juges européens qui "s'imposent au peuple, et donc foulent aux pieds la démocratie". Cela ne l'a pas empêché de saisir la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), pour contester une condamnation pour provocation à la discrimination qui lui a été infligée en 2017. Mais la Cour, dans un arrêt Zemmour c. France du 20 décembre 2022, ne lui donne pas satisfaction et estime que cette sanction ne porte pas une atteinte excessive à la liberté d'expression, garantie par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.




Les propos tenus à "C à vous"




Les propos reprochés à Eric Zemmour ont été tenu lors de l'émission télévisée "C à vous" diffusée le 16 septembre 2016. Ils sont fort nombreux, et nous n'en citerons donc qu'une partie, l'intégralité étant mentionnée dans l'arrêt. D'abord la réponse négative, "non", à la question de savoir « s’il y a des musulmans en France qui vivent dans la paix, qui n’interprètent pas à la lettre les textes du Coran, qui sont totalement intégrés ». Ensuite, à propos d'une distinction entre les "bons et les mauvais musulmans", Eric Zemmour déclare : « Les soldats du djihad sont considérés par tous les musulmans, qu’ils le disent ou qu’ils ne le disent pas, comme des bons musulmans, c’est des guerriers, c’est des soldats de l’Islam ». Et d'insister ensuite, à propos de la distinction entre djihadisme et Islam : "Pour moi, c'est égal". Enfin, le sort des musulmans de France est rapidement réglé : « Je pense qu’il faut leur donner le choix entre l’Islam et la France ». Ce propos est suivi de l’affirmation selon laquelle « Donc s’ils sont Français ils doivent, mais c’est compliqué parce que l’islam ne s’y prête pas, ils doivent se détacher de ce qu’est leur religion ».

A la suite de cette émission, Éric Zemmour a été poursuivi devant le tribunal correctionnel de Paris sur le fondement de l’article 24 alinéa 7 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (loi de 1881), qui réprime la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Il est condamné à 5000 € d'amende, sanction relativement modérée, si l'on considère que l'infraction est punie d'une peine de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. La peine d'Éric Zemmour a été confirmée par la Cour d'appel en 2018, puis par la Cour de cassation en 2019. Il se tourne donc vers la CEDH, en invoquant une violation de sa liberté d'expression.

Nul ne conteste que cette condamnation emporte une ingérence dans la liberté d'expression. Mais conformément au texte même de la Convention européenne des droits de l'homme, la CEDH va examiner si cette ingérence est « prévue par la loi », si elle poursuit « un but légitime» et enfin si elle est « nécessaire dans une société démocratique ».



Zemmour, j'adore ! 

Les Goguettes, en trio mais à quatre, 2019

Prévisibilité de la loi




Conformément à sa jurisprudence Perincek c. Suisse du 15 octobre 2015, la Cour interprète le fait que l'ingérence soit "prévue par la loi" comme imposant une exigence de prévisibilité de la loi. Autrement dit, Éric Zemmour était-il censé savoir qu'il engageait sa responsabilité pénale en tenant de tels propos ?

La Cour observe que la jurisprudence française, celle de la Cour de cassation, est solidement établie, depuis un arrêt de la chambre criminelle rendu le 29 janvier 2008. Depuis une vingtaine d'années, elle juge donc que sont incriminés sur le fondement de l'article 24, les propos qui, même sous une forme implicite, « incitent », « exhortent » ou « appellent » à la discrimination. Un arrêt du 1er février 2017 précise que sont également concernés les propos qui "tendant à susciter un sentiment d’hostilité ou de rejet envers un groupe de personnes à raison d’une religion déterminée".

La CEDH elle-même avait déjà admis, dans un arrêt Le Pen c. France du 20 avril 2010, que l'infraction de l'article 24 alinéa 7 de la loi de 1881 satisfaisait aux exigences d’accessibilité et de prévisibilité requises par l’article 10 de la Convention.  Cette jurisprudence a été récemment confirmée par l'arrêt Bonnet c. France du 25 janvier 2022, relatif à la condamnation d'Alain Soral pour des propos très clairement antisémites.

De tous ces éléments, la Cour déduit qu'Éric Zemmour savait que ses propos tombaient sous le coup d'une condamnation.

Le but légitime de la législation française n'est guère susceptible de débat, dès lors que tous les États européens disposent de textes permettant de sanctionner la provocation à la discrimination. Ils ont pour but de protéger la réputation et les droits d'autrui, en l'espèce les droits des personnes de confession musulmane.


Nécessité de l'ingérence



Conformément à la jurisprudence Perincek, la CEDH rappelle qu'elle n'a pas à définir le droit applicable en France. Il lui appartient seulement de s'assurer que le droit interne, et donc le pouvoir d'appréciation laissé aux juges, est compatible avec l'article 10. Elle rappelle toutefois, dans sa décision Baldassi et autres c. France du 11 juin 2020, que l'appel à l'intolérance ou à la violence est une limite qui ne doit pas être dépassée. Les États peuvent donc disposer de législations de nature à sanctionner ce type de discours.

En l'espèce, la défense d'Éric Zemmour repose exclusivement sur le débat d'intérêt général. Il se réfère ainsi directement à l'arrêt Périncek, dans lequel la CEDH avait refusé la condamnation infligée par les tribunaux suisses au requérant qui était accusé de nier l'existence du génocide arménien, infraction reconnue par le droit suisse. Mais, la Cour affirme qu'il ne lui appartient pas de qualifier de génocide les meurtres de masse dont les Arméniens ont été victimes en 1915, et que l'intéressé, intervenu en sa qualité d'universitaire dans les médias, n'avait jamais nié l'existence de ces massacres.

La situation d'Éric Zemmour est bien différente. Certes, la Cour relève qu'il était l'invité d'une émission de télévision à une heure de grande écoute, invité comme journaliste polémiste, et invité à parler de la place de l'islam en France. A une époque, 2016, marquée par différents attentats terroristes, il ne fait aucun doute que ce débat pouvait être qualifié d'intérêt général.

Mais la CEDH rappelle, et c'est sans doute l'intérêt essentiel de sa décision que, "pour autant, les propos tenus par le requérant n'échappaient pas aux limites posées par la Convention européenne en matière de liberté d'expression. La qualification de "débat d'intérêt général" n'entraine donc pas d'exonération de toute responsabilité pénale, lorsque les limites posées par le droit interne sont franchies.

Or, les juges internes ont précisément estime que les barrières étaient franchies. Car Éric Zemmour ne se bornait pas à une critique de l'Islam ou à une formulation de ses craintes sur l'évolution des banlieues françaises. Il allait beaucoup plus loin en postulant une nécessaire solidarité des musulmans avec les violences terroristes commises au nom de l'Islam. C'est précisément cette généralisation, ainsi que l'agressivité des termes employés, qui constitue le caractère discriminatoire des propos. Il s'agit en effet de rejeter l'ensemble des "musulmans" considérés comme une entité globale, qui doit donc faire l'objet d'une exclusion tout aussi globale.

La CEDH insiste en outre sur le fait qu'Éric Zemmour était à l'époque lui-même journaliste et chroniqueur, intervenant régulièrement sur les plateaux de télévision. Il ne pouvait donc ignorer les responsabilités qui sont celles d'un journaliste, et pouvait parfaitement mesurer la portée de ses propos et leurs conséquences, y compris pénales.

De tous ces éléments, la Cour déduit que les juges internes ont commis une ingérence dans la liberté d'expression de l'intéressée parfaitement proportionnée à l'impératif de lutte contre les discriminations et de protection des droits d'autrui. 

La décision est conforme à la jurisprudence de la CEDH, et on pourrait penser que Éric Zemmour aurait pu consulter d'autres requérants devant cette juridiction comme Jean-Marie Le Pen ou Alain Soral, avant d'engager un contentieux. Il ne l'a pas fait, car la décision de la Cour n'est pas sans avantage pour lui. Il va pouvoir se présenter comme une nouvelle victime de ces "juges européens qui foulent aux pieds la démocratie". Battu aux élections présidentielles, battu aux élections législatives, et battu devant la CEDH. Un homme qui aime l'échec ?



1 commentaire:

  1. https://www.bvoltaire.fr/zemmour-et-la-cedh-souvent-juge-varie/
    Cet article tiré du site Boulevard Voltaire (classé à droite !) donne une vision intéressante de l'approche déroutante, pour ne pas dire idéologique de la CEDH. Les exemples ne manquent malheureusement pas. Rares sont les critiques de la manière d'agir de la juridiction strasbourgeoise alors que les motifs d'interrogation de ses motivations sont nombreux. En particulier, la marge d'interprétation permet de faire tout et son contraire en toute bonne foi.

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