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mercredi 2 novembre 2022

Miracle chez les motards : Le Conseil d'État ressuscite un décret


Les promesses électorales n'engagent que ceux qui les croient. Cette maxime bien connue trouve une nouvelle application dans la décision rendue par le Conseil d'État le 31 octobre 2022. De manière très prévisible, le juge déclare illégal le décret du 25 juillet 2022 qui lui-même abrogeait un décret précédent du 9 août 2021


Le contrôle technique, sujet sensible


Pour comprendre le problème, il faut savoir que le décret d'août 2021 instaurait le contrôle technique obligatoire des deux-roues d'une cylindrée égale ou supérieure à 125 cm3, répondant ainsi aux exigences de la directive européenne du 3 avril 2014. Rien de surprenant, si ce n'est que les motards constituent un lobby efficace, et un nombre d'électeurs considérable, surtout si l'on considère que l'élection présidentielle se rapprochait. Ils ont donc protesté bruyamment, et même très bruyamment. 

Le résultat ne s'est pas fait attendre et, dès le 12 août, le ministère des transports annonçait officiellement que "le contrôle technique des deux-roues est suspendu sur demande d'Emmanuel Macron". Suspendu dans son application, mais le décret demeure dans l'ordre juridique. Peut-être convient-il de faire observer que le Président de République n'est pas compétent pour se livrer à de telles ingérences dans le pouvoir réglementaire ? Peu importe, à l'époque, la mise en oeuvre du contrôle technique est repoussée aux calendes, le ministre étant invité à rencontrer les fédérations de motards « à la rentrée pour échanger largement sur les différents sujets les concernant". On a compris que l'idée était de faire durer ces échanges jusqu'aux élections présidentielles.

 

Les malheurs du décret du 9 août 2021 devant les juges

 

Quoi qu'il en soit, par une ordonnance du 17 mai 2022, le juge des référés du Conseil d'État, saisi par différentes association écologistes qui contestaient le calendrier prévu, suspend ce décret, au motif qu'il n'est pas conforme à la directive européenne. Celle-ci prévoyait en effet une entrée en vigueur généralisée au 1er janvier 2022. Mais c'était un peu fâcheux, à quelques mois avant les présidentielles. Le gouvernement avait donc décidé d'échelonner son entrée en vigueur du 1er janvier 2023 au 1er janvier 2026, selon l'ancienneté des véhicules. Par la suite, dans un arrêt du 27 juillet 2022, le Conseil d'État annule finalement ce décret d'août 2021, pour non-conformité à la directive.

Que faire ? Il est bien clair que les motards demeurent un lobby structuré et le gouvernement entend ne pas le contrarier. Sans attendre la trop prévisible annulation par le Conseil d'État, un nouveau décret du 25 juillet 2022 est intervenu, dont l'unique article consiste en l'abrogation du texte du 9 août 2021. 

Pour justifier une mesure aussi radicale, le gouvernement s'engouffrait dans une brèche ouverte dans la directive. Elle autorise en effet les États membres à ne pas mettre en place le contrôle technique des deux-roues si, et seulement si, ils ont mis en place "des mesures alternatives de sécurité routière efficaces, en tenant compte des statistiques pertinentes sur la sécurité routière". L'idée était donc de rédiger un autre texte montrant l'existence de ces mesures.

 


 Le Conseil d'État ressuscite un décret

Résurrection de Lazare. Maître de Coëtivy, circa 1450

 

Le décret est ressuscité

 

Les associations, décidément persévérantes, ont également contesté la légalité de ce nouveau décret d'abrogation. Et précisément la décision du 31 octobre 2022 annule le décret d'abrogation, une nouvelle fois pour non-conformité à la directive de 2014. La rédaction de l'arrêt montre que le dossier transmis par le gouvernement au juge est d'un vide abyssal et que l'éventuelle dérogation au contrôle technique est traitée avec une grande légèreté.

D'une part, les "statistiques pertinentes sur la sécurité routière" sont franchement mauvaises en France. La mortalité des conducteurs de deux-roues y est même particulièrement élevée, si on la compare avec les autres pays de l'UE. Quant aux mesures notifiées à la Commission européenne et transmises au Conseil d'État, elles se bornent à prévoir une réduction des nuisances sonores ou des émissions de polluants, voire à transposer, tardivement, des mesures constituant déjà des obligations imposées par l'Union, comme l'obligation de prévoir un système antiblocage des roues. En tout état de cause, ces mesures ne sauraient être regardées comme des "mesures alternatives de sécurité routière", la plupart n'ayant d'ailleurs aucun impact sur la sécurité.

Si on a bien suivi, on s'aperçoit que l'annulation du décret d'abrogation du 25 juillet 2002 a pour effet immédiat de ressusciter le décret du 9 août 2021 qui est donc censé n'avoir jamais été annulé. A dire vrai, la situation est plutôt comique. Pour avoir voulu donner satisfaction au lobby des conducteurs de deux-roues, le gouvernement parvient à réintégrer dans l'ordre juridique une disposition qui avait suscité l'ire de ce même lobby. Heureusement, la période électorale est passée, et les conducteurs de deux-roues ne constituent plus un électorat qui doit être ménagé. On va peut-être enfin pouvoir se préoccuper de la sécurité routière.



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