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lundi 3 octobre 2022

L'Homo Politicus contrôlé par l'Arcom


Comment définir un homme, ou une femme, politique ? La question de l'Homo Politicus a agité bon nombre de penseurs depuis Aristote, mais n'est plus guère étudiée aujourd'hui. L'arrêt rendu par le Conseil d'État le 28 septembre 2022 actualise cette délicate question, à propos de l'accès aux services de radio et de télévision de ces personnalités politiques qui ont une présence médiatique, mais pas de mandat électoral ni de fonction gouvernementale. En refusant d'annuler une délibération du CSA qui réglemente leur temps de parole, le Conseil d'État offre à l'autorité qui lui a succédé, l'Arcom, le soin de définir qui est une personnalité politique, ou pas. A l'Homo Politicus succède en effet l'"acteur du débat politique national", notion particulièrement englobante qui ne limite pas l'activité politique aux mandats parlementaires ou gouvernementaux.


La loi du 30 septembre 1986


L'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication énonce que "la communication au public par voie électronique est libre. L'exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise (...) par le respect (...) du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion (...) ". Les articles 3 et 13 du même texte confient ensuite au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), devenu Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique le 1er janvier 2022 (Arcom), la compétence pour adresser aux éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle des recommandations destinées à garantir le respect de ce principe. Ces recommandations reposent sur la mesure de l'audience transmise à l'autorité de contrôle, mesure qui lui permet de s'assurer que le respect du pluralisme est assuré, et, le cas échéant, de prononcer mises en demeure et sanctions.


La délibération du 22 novembre 2017


C'est précisément ce qu'a fait le CSA, avec la délibération du 22 novembre 2017 relative au pluralisme politique dans les services de radio et de télévision. De manière très concrète, ce texte concerne les temps de parole, hors campagne électorale. Il se montre particulièrement généreux à l'égard des interventions du Président de la République et des membres du gouvernement, qui disposent du tiers du temps global. Pour les autres groupements, la répartition repose, non sur l'égalité, mais sur l'équité. Cela signifie que les temps de présence à l'antenne sont calculés au regard "notamment des résultats des consultations électorales, du nombre et des catégories d’élus qui s’y rattachent, de l’importance des groupes au Parlement et des indications des sondages d’opinion, et de leur contribution à l’animation du débat politique national". Ces éléments conduisent ainsi à une sur-représentation des partis politiques les plus puissants et des leaders particulièrement en vue dans les sondages. Les partis minoritaires éprouvent, dans ces conditions, bien des difficultés à obtenir une visibilité médiatique.


 

Le débat de La Cinq. Les Inconnus

 

Le recours contre la délibération du 3 mars 2021

 

Une seconde délibération, celle qui est contestée par les requérants, du 3 mars 2021 se montre encore plus précise. Elle demande aux éditeurs de services audiovisuels de "décompter intégralement les temps d'intervention", de Mesdames Ségolène Royal et Marion Maréchal-Le Pen, et de Messieurs Nicolas Hulot, Laurent Joffrin, Arnaud Montebourg et Manuel Valls. Il s'agit donc d'intégrer dans le décompte des personnes dont la liste semble établie de manière quelque peu aléatoire, pour ne pas dire arbitraire. Au moment de la délibération, ces personnalités ont certes une certaine influence médiatique, mais elle ne sont ni élues ni candidates à aucune élection et ne sont pas ou plus adhérentes à un parti ou à un groupement politique.


Le choix du fondement juridique


Quoi qu'il en soit, Canal + et la société C8 font un recours contre la délibération de mars 2021, sans obtenir son annulation. Celle-ci se fondait juridiquement, non sur la première délibération du 22 novembre 2017, mais directement sur la loi de 1986, dont l'article 13 énonce que le CSA, puis l'Arcom, "assure le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d'information politique et générale". 

L'atteinte à la liberté d'expression est évidemment écartée par le Conseil d'État. En imposant une simple obligation de décompte du temps de parole, la délibération n'empêche pas les personnalités visées de parler aux médias. Certes, mais avouons que cette analyse, parfaitement fondée en droit, présente tout de même quelques inconvénients au regard de cette même liberté d'expression. Car si elles ont le droit de parler, la diffusion de leurs interventions se trouve ramenée à la règle de l'équité figurant dans la délibération du 22 novembre 2017. Leur audience risque alors d'être considérée comme très modeste. De fait, la règle ainsi imposée conduit à réduire leur espace médiatique. Dans ces conditions, comment ne pas se féliciter de l'existence même des réseaux sociaux ? En dépit des excès que l'on y trouve quotidiennement, ils constituent encore un espace de libre parole non décomptée.

En se fondant directement sur la loi de 1986, le CSA permet d'écarter totalement la délibération du 22 novembre 2017. Or ce texte mentionne pourtant que le rôle de l'autorité de régulation est de "veiller à assurer aux partis et groupements politiques qui expriment les grandes orientations de la vie politique nationale un temps d'intervention équitable". Le décompte du temps de parole concerne donc les partis politiques et non pas les individus en tant que tels, surtout non affiliés à un parti. Peu importe, on se place donc sur le fondement de la loi de 1986 qui attribue au CSA, et à l'Arcom, une compétence générale pour assurer le respect du pluralisme des courants d'opinion. Le rattachement à un parti politique disparaît dans l'opération.

L'arrêt du Conseil d'État ne mentionne pas que, sur ce point, la délibération du 3 mars 2021 est en contradiction avec celle de novembre 2017. On doit en déduire qu'en se fondant directement sur la loi de 1986, l'autorité de contrôle peut faire à peu près ce qu'elle veut. Celle-ci n'a d'ailleurs pas attendu l'arrêt du 28 septembre 2022 pour procéder comme elle l'entendait. On se souvient, par exemple, que le CSA n'a adopté que le 8 septembre 2021, soit six mois plus tard, une délibération imposant à CNews de décompter le temps de parole d'Éric Zemmour portant sur le débat politique national. Le CSA estimait alors que l'intéressé "pouvait être regardé dorénavant, tant par ses prises de positions et ses actions, que par les commentaires auxquels elles donnent lieu, comme un acteur du débat politique national". Avouons qu'il l'était depuis un certain temps déjà, et que son audience dépassait déjà largement celle d'Arnaud Montebourg et de Ségolène Royal réunis. 

L'Homo Politicus est donc celui que l'Arcom définit comme tel, en se fondant sur les dispositions très générales de la loi de 1986. Une solution bien commode, qui permet au passage d'écarter le problème de la distinction embarrassante entre chaînes d'information et chaînes d'opinion. La parole politique devient ainsi un espace étroitement contrôlé, et il devient possible de permettre aux uns de s'exprimer, et pas aux autres.

Les espaces de la vie privée : Chapitre 9, section 2 § 2, B du manuel de libertés sur internet

1 commentaire:

  1. Encore un superbe exemple d'un Conseil d'Etat qui ose se présenter comme protecteur naturel des libertés publique dans la patrie des droits de l'homme ! Une fois encore, ceci se passe de commentaires en dépit de ce qu'en pensent ses thuriféraires.

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