Dans un arrêt du 5 juillet 2022, le Conseil d'État rappelle qu'un médecin ne saurait être poursuivi devant la formation disciplinaire du Conseil de l'Ordre pour avoir signalé un soupçon de maltraitance d'un enfant, lorsqu'il a réalisé ce signalement de bonne foi et conformément à la procédure prévue par la loi.
Dans l'affaire jugée en cassation par le Conseil d'État, Mme C., mère de la petite Julie, âgée de neuf ans au moment des faits, a porté plainte devant le conseil départemental de l'Ordre des médecins. Elle reproche au docteur B., psychiatre attaché au centre médico-psychologique pour enfants et adolescents (CMPEA) de Lamballe, d'avoir signalé en novembre 2017 la situation de sa fille comme préoccupante à la Cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP) des Côtes d'Armor. Le Dr B. s'inquiétait particulièrement du comportement de la mère de l'enfant à l'égard de sa fille. On observe que ce signalement n'est pas le premier, une première lettre ayant déjà été adressée à la CRIP en juin 2017, par un autre praticien, procédure qui avait suscité la prise en charge de l'enfant par la CMPEA.
Le conseil départemental de l'Ordre des médecins transmet la plainte sans s'y associer. Elle est rejetée en avril 2019 par la chambre disciplinaire régionale, qui condamne en même temps Mme C. à une amende de 1000 € pour recours abusif. Saisie en appel, la chambre disciplinaire nationale de l'Ordre des médecins annule la condamnation pour recours abusif, mais confirme le rejet de la plainte dirigée contre le docteur B. En cassation, le Conseil d'État maintient le rejet de la plainte, et, sans condamner la plaignante à une amende pour recours abusif, exige qu'elle verse, au titre des frais irrépétibles de l'article L 761-1 du code de la justice administrative, la somme de 1000 €.
Signalement et secret médical
L'arrêt du 5 juillet n'a rien de surprenant, mais il offre l'opportunité au Conseil d'État de rappeler les principes gouvernant la procédure de signalement et notamment son articulation avec le secret médical.
Pour Mme C., le docteur B. a violé le secret médical en transmettant à l'administration des informations sur la santé de sa fille.
Le secret médical n'a rien de spécifique et constitue simplement l'une des facettes du secret professionnel défini par l'article 226-13 du code pénal : "La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende".
Contrairement à ce qui est parfois affirmé par les médecins eux-mêmes, ce secret n'a rien d'absolu. L'article L 1110-4 al 3 du Code de la santé publique autorise ainsi le partage d'informations concernant un patient au sein d'une équipe médicale. Cette pratique était d'ailleurs considérée comme licite par le Conseil d'État dès un arrêt Crochette du 11 février 1972, intégré ensuite dans une circulaire du 20 avril 1973. Elle énonce que "l'obligation de secret professionnel lie nécessairement tous les auxiliaires du médecin qui sont ses confidents indispensables. Le secret est alors partagé entre ces diverses personnes et prend le caractère collectif".
Ce partage peut aussi exister hors de l'équipe médicale, lorsqu'il s'agit d'informer l'administration ou le procureur de la République d'une situation potentiellement dangereuse pour la santé d'une personne. C'est alors un véritable devoir de signalement qui pèse sur le praticien. L'article 226-14 du code pénal précise en effet que "l'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre, il n'est pas applicable (...) au médecin qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance de la CRIP les sévices ou privations qu'il a constatés sur le plan physique ou psychique, dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences (...) de toute nature ont été commises". La loi du 5 mars 2007 ajoute un alinéa à ces dispositions, précisant que l'accord de la victime n'est pas nécessaire lorsqu'elle est mineure, ce qui est le cas de la jeune Julie.
Condamnation des médecins, et des évêques
Cette jurisprudence a été indirectement confirmée par la Cour de cassation, dans sa décision du 14 avril 2021 concernant les poursuites diligentées contre l'ancien archevêque de Lyon, accusé de ne pas avoir dénoncé des faits d'agressions sexuelles commis par un prêtre de son diocèse. En l'espèce, il n'est pas contesté que l'évêque était tenu de procéder à cette dénonciation, et il n'obtient la relaxe qu'en raison de la prescription et du fait que les victimes, devenues majeures, étaient elles-mêmes en mesure de dénoncer les traitements subis.
La bonne foi du bon docteur B.
Reste évidemment le dernier moyen dont fait état la plaignante dans l'arrêt du 5 juillet 2022. Il est tiré de la loi du 5 novembre 2015 qui précise que le signalement aux autorités compétentes ne peut engager la responsabilité de son auteur, "sauf s'il est établi qu'il n'a pas agi de bonne foi". Dans ce cas précis, la bonne foi se définit a contrario : est de mauvaise foi celui qui connaît la fausseté des faits qu'il dénonce. Cette règle est d'ordre général et s'applique aussi bien aux médecins qu'aux lanceurs d'alerte, voire aux agents qui exercent leurs fonctions dans le renseignement. En l'espèce, le Conseil d'État rappelle que le docteur B. a agi de bonne foi, son signalement n'ayant pas d'autre finalité que la protection de l'enfant.
La responsabilité du docteur B. ne saurait donc être engagée, et l'arrêt du 5 juillet 2022 semble ainsi placé sous le sceau du bon sens. Il n'en demeure pas moins que cette décision témoigne, en creux, des menaces judiciaires qui désormais pèsent sur les médecins. Ils sont poursuivis lorsqu'ils s'abstiennent de faire un signalement sur des violences éventuelles. Mais ils sont aussi poursuivis lorsqu'ils font un signalement, parfois par ceux là mêmes soupçonnés d'être les auteurs des violences. En l'espèce, il est bien clair que le recours de Mme C. est bien proche du recours abusif, et le Conseil d'État a fait preuve de mansuétude en ne la condamnant qu'au paiement des frais irrépétibles. Peut-être serait-il plus judicieux, au contraire, d'utiliser cette sanction pour recours abusif de manière quasi-systématique, dans le simple but de dissuader ce type d'accusation.
Il convient de rappeler que certains médecins se font régulièrement condamner par les chambres disciplinaires de l'Ordre des médecins pour rédaction de certificats de complaisance. Sur la foi de propos de leurs patients (es), ils n'hésitent pas à faire état de constations dont ils ne sont pas les témoins (Cf. multiplication des pseudo-affaires de harcèlement moral).
RépondreSupprimerComme vous le soulignez, le médecin est face à un dilemme : faire ou ne pas faire. La décision du Conseil d'Etat semble équilibrée.