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dimanche 22 mai 2022

Permis de communiquer : Comment court-circuiter la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel ?


La décision M. Mohammed D., rendue par le Conseil constitutionnel sur question prioritaire de constitutionnalité (QPC) le 20 mai 2022 déclare conformes à la Constitution les dispositions de l'article 115 du code de procédure pénale. Celui-ci est ainsi rédigé : " Les parties peuvent à tout moment de l'information faire connaître au juge d'instruction le nom de l'avocat choisi par elles ; si elles désignent plusieurs avocats, elles doivent faire connaître celui d'entre eux auquel seront adressées les convocations et notifications ; à défaut de ce choix, celles-ci seront adressées à l'avocat premier choisi". Ces dispositions n'interdisent donc pas au juge d'instruction d'accorder un permis de communiquer, c'est-à-dire une autorisation de visite, au seul avocat nominativement désigné par la personne mise en examen et placée en détention provisoire.

C'est précisément ce qui est reproché à ces dispositions par le requérant, rejoint par le Conseil national des Barreaux, l'association des avocats pénalistes et le Syndicat des avocats de France. En effet, certains juges d'instruction ont cru bon d'appliquer la loi à la lettre. Ils ont donc délivré des permis de communiquer au seul avocat désigné par la personne qui a besoin d'être défendue. Ces pratiques ont suscité l'ire des avocats qui souhaitent que l'ensemble des collaborateurs et associés du cabinet puissent bénéficier de ces permis de communiquer. Autrement dit, si le ténor du barreau n'est pas disponible, il doit pouvoir envoyer au client un collaborateur lambda, quand bien ce dernier n'a pas été formellement choisi. Le problème est que les personnes placées en détention provisoire sont rétives à toute évolution dans ce domaine et refusent de désigner l'ensemble des collaborateurs du cabinet. L'un des avocats intervenant à l'audience de la QPC a ainsi volontiers reconnu que "les clients rechignent à désigner les collaborateurs". Ils tiennent à leur ténor du barreau, et n'ont pas envie que leur affaire soit traitée par le stagiaire.

Tous les moyens ont été mis en oeuvre par la profession pour obtenir une modification des textes, qui permettrait aux avocats de solliciter des permis de communiquer pour tout le cabinet, et d'imposer cette situation aux clients. 

Le Conseil constitutionnel est donc saisi d'une QPC qui porte plus spécifiquement sur le passage de l'article 115 qui impose à la personne de faire connaître au juge d'instruction "le nom de l'avocat choisi par elle". Le moyen reposant sur le non-respect des droits de la défense est écarté avec une certaine sécheresse. 

 

La liberté de choisir son avocat

 

Le Conseil rappelle en effet que ces dispositions ont d'abord pour objet de "garantir la liberté de la personne mise en examen de choisir son avocat". Le choix est donc intuitu personae. Le client ne choisit pas un cabinet mais un avocat, avec lequel il entretient une relation personnelle et qui doit lui inspirer confiance. Sur ce point, la décision du 20 mai 2022 présente l'intérêt de rappeler l'existence d'une liberté de choix de l'avocat. Dans sa décision QPC du 17 février 2012, Ordre des avocats du Barreau de Bastia, le Conseil s'était déjà fondé sur cette liberté pour déclarer inconstitutionnelle une disposition qui obligeait les personnes gardées à vue pour des faits liés au terrorisme à choisir leur conseil sur une liste d'avocats dûment habilités à intervenir dans le domaine par le bureau du Conseil national des Barreaux.

Surtout, la personne mise en examen peut toujours, à la demande de son avocat ou même spontanément, désigner d'autres conseils au sein du même cabinet, qu'ils soient collaborateurs ou associés. Si elle "rechigne à désigner des collaborateurs", c'est à son avocat de la convaincre ou d'assumer la charge des visites. Rappelons en effet que le juge d'instruction est tenu de délivrer un permis de communiquer à l'avocat ou aux avocats désignés par la personne en détention provisoire. C'est donc à l'avocat de convaincre son client. S'il n'y parvient pas, il n'appartient pas au juge d'instruction d'imposer au client une organisation de sa défense à laquelle il n'adhère pas.

 


Les avocats. Danse bretonne. 2011

 

L'arrêt du 15 décembre 2021

 

La décision du Conseil constitutionnel se situe ainsi dans la ligne de l'arrêt du 15 décembre 2021, rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation. En l'espèce, M. C. était poursuivi pour assassinat, destruction de bien d'autrui, recel, association de malfaiteurs et autres infractions diverses. Il a désigné deux avocats qui, dès le lendemain, ont sollicité du juge d'instruction la délivrance de nouveaux permis de communiquer comportant leurs deux noms, mais aussi ceux de leurs collaborateurs et associés respectifs. Hélas, le juge d'instruction a refusé de faire droit à cette demande, en s'appuyant précisément sur l'article 115 du code de procédure pénale.

La colère des avocats s'est manifestée en l'espèce d'une étrange manière, bien peu respectueuse des intérêts de leur client. Ceux qui avaient été choisis par le prévenu ne se sont pas déplacés, et le placement en détention provisoire a été décidé par le juge de la liberté et de la détention (JLD), en leur absence. M. C. a ensuite pu faire un recours en invoquant le fait qu'il avait été privé de l'exercice des droits de la défense. Et la Chambre de l'instruction de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence lui a donné satisfaction, ordonnant en même temps la mise en liberté d'une personne poursuivie pour assassinat.

La Chambre criminelle casse cette décision, car le non-respect des droits de la défense n'est pas imputable aux juges, mais aux conseils qui ne se sont pas déplacés. Dans son arrêt de décembre 2021, elle affirme tout simplement que, conformément à l'article 115 du code de procédure pénale," le permis de communiquer est délivré aux seuls avocats désignés par la personne mise en examen". C'est exactement le raisonnement du Conseil constitutionnel.
 
 

Éric Dupont-Moretti, au secours de ses anciens confrères 


 
Doit-on en déduire que le principe de liberté du choix du défenseur a prévalu ? Certainement pas, car lorsque la jurisprudence se montre rétive, le ministre, lui, sait intervenir rapidement pour venir au secours de ses anciens confrères. Le calendrier était particulièrement serré. Il fallait obtenir une modification des textes après la décision du 15 décembre 2021 et avant que la QPC soit examinée par le Conseil. Son rejet risquait en effet de rendre plus délicate l'intervention par la voie réglementaire.

Le Garde des Sceaux, à l'écoute des désirs des avocats, a donc obtenu du Premier ministre, six semaines après la décision de la Cour, la signature du décret du 31 janvier relatif au permis de communiquer délivré à l'avocat d'une personne détenue. De manière très concrète, il s'agit d'ajouter au code de procédure pénale un article D 32-1-2 qui précise les modalités de remise aux avocats du permis de communiquer avec les personnes en détention provisoire. Ce permis de communiquer est établi par le juge d'instruction, à la demande de l'avocat qui l'assiste. Le décret du 31 janvier 2022 précise que les avocats et collaborateurs de celui qui a été formellement saisi pourront également bénéficier de ce permis de communiquer, à la seule condition que l'avocat saisi demande qu'il soit aussi établi au nom de ses associés et collaborateurs. La personne en détention ne saisit donc plus un avocat, mais un cabinet.
 
Sur le plan formel, le décret se présente comme organisant simplement la mise en oeuvre de l'article 115 du code pénal. Du moins c'est ainsi qu'il a été présenté par le Garde des Sceaux, Éric Dupont-Moretti. Mais le Conseil constitutionnel semble offrir une piste à ceux qui envisageraient de contester ce décret. En effet, il est clair que l'article 115 du code de procédure pénale a valeur législative parce qu'il traite des droits de la défense, et le Conseil n'a pas manqué de le rappeler. Et le nouvel article D 32-1-2, quant à lui, a valeur réglementaire, alors même qu'il porte atteinte à la liberté de choisir son avocat. Or, l'article 37 de la Constitution énonce que les règles relatives à "la procédure pénale" font partie du domaine de la loi. Ce décret pourrait-il être annulé pour incompétence ?

Ce n'est pas tout-à-fait impossible, mais, pour cela, il faudrait un recours par voie d'exception, le délai de recours pour excès de pouvoir étant expiré. Pour être fixé sur la légalité de ce décret, il faut donc attendre qu'une personne en détention provisoire estime avoir été mal défendue par le collaborateur chargé de remplacer le ténor du barreau qu'elle avait choisi, retenu par d'autres activités plus importantes. Certes, mais pourra-t-elle trouver un avocat pour l'assister dans cette démarche ?

 

 

3 commentaires:

  1. Excellente analyse juridique qui démontre amplement que les voies du droit sont impénétrables mais aussi que la Justice (l'autorité judiciaire pour être plus précis) n'est jamais totalement indépendante, y compris dans la Patrie de Lumières.

    Cette dernière question était au centre de la querelle opposant deux procureurs, deux Philippe : Courroye et Bilger. Lire à ce sujet l'article paru dans le Monde (19 mai 2022, page 15) : "A Lyon, duel judiciaire entre l'avocat général Courroye et son ancien collègue. Dans son livre 'Le mur des cons', Philippe Bilger avait cité le magistrat comme un exemple de soumission au pouvoir politique".

    "Rire, c'était la seule chose qui valait la peine et tant qu'on pouvait contempler le monde et en rire, on avait encore une chance" (Le Grec, Romain Gary).

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  2. Lorsque le délai pour former un recours pour excès de pouvoir (REP) contre un décret réglementaire a expiré, il n'y a pas qu'une seule alternative, la voie de l'exception. En effet, une demande d'abrogation dudit décret peut-être présentée au Premier ministre puis le refus, implicite ou explicite, de ce dernier d'y faire droit peut faire l'objet d'un REP. L'auriez-vous oublié ?

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  3. Attention ! Dupond et non Dupont…

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