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mardi 3 mai 2022

La fermeture de la mosquée de Pessac suspendue en référé


Le 26 avril 2022, le juge des référés du Conseil d'État a rendu une ordonnance qui suspend la fermeture d'un lieu de culte, en l'espèce la mosquée Al Farouk de Pessac. La suspension avait été décidée par la préfète de la Gironde pour une durée de six mois, par un arrêté du 14 mars 2022. Les responsables de l'association qui gère ce lieu de culte ont donc immédiatement saisi le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux qui avait déjà prononcé la suspension. L'ordonnance du 26 avril a donc été rendue sur recours du ministre de l'Intérieur.

Elle présente l'intérêt d'être l'une des premières décisions de justice rendues à l'occasion de l'application de la loi du 24 août 2021 confortant les principes de la République, même si les dispositions de ce texte sont très proches de celles qui, antérieurement, étaient issues de la loi du 30 octobre 2017. Ce premier texte avait un objectif plus étroit de lutte contre le terrorisme, sa finalité état d'intégrer dans le droit commun des mesures purement administratives autorisées par l'état d'urgence.

L'article L 227-1 du code de la sécurité intérieure impose trois conditions de fond pour qu'une telle fermeture soit prononcée. D'une part, elle doit avoir pour finalité de "prévenir la commission d'actes de terrorisme". D'autre part, elle ne peut viser qu'un lieu de culte dans lequel "les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la violence, à la haine ou à la discrimination, provoquent à la commission d'actes de terrorisme ou font l'apologie de tels actes". Enfin, la durée de la fermeture doit être "proportionnée aux circonstances qui l'ont motivée" et ne saurait excéder six mois. En l'espèce, la préfète de la Gironde a donc choisi la durée de fermeture la plus longue possible autorisée par la loi.

 

Liberté de conscience et liberté de culte

 

La liberté de conscience, purement individuelle, énonce que chacun à la droit de choisir sa religion librement, ou de n'en choisir aucune. Dans sa décision QPC du 18 octobre 2013, le Conseil constitutionnel fonde la liberté de conscience sur l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, affirmant qu'elle est "au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit". Elle suppose donc l'abstention de l'État qui n'a pas à s'ingérer dans les convictions de chacun.

La liberté de culte s'analyse en revanche comme une liberté de la vie collective. Elle doit donc être conciliée avec les nécessités de l'ordre public et la protection des personnes, ce qui suppose un encadrement juridique défini par l'État. Le passage de la liberté de conscience à la liberté de culte traduit ainsi un passage des convictions intimes à une pratique sociale et collective. Les dispositions de la loi du 24 août 2021, en permettant la fermeture des lieux de culte, encadrent ainsi les manifestations extérieures de la religion, sans porter atteinte aux convictions des personnes. 

S'il est donc possible d'établir des restrictions d'ordre public à la liberté de culte, le caractère constitutionnel de cette liberté, également protégée par l'article 10 de la Déclaration de 1789, impose un contrôle du juge sur la proportionnalité de la mesure prise. 

 


 Femmes devant la mosquée de la pêcherie, Alger. Léon Cauvy. 1874-1933

 

La jurisprudence issue de la loi du 30 octobre 2017

 

En l'espèce, le juge des référés peut se référer à la jurisprudence issue de la loi du 30 octobre 2017, elle même interprétée par le Conseil constitutionnel, dans sa décision QPC du 29 mars 2018, M. Rouchdi B. et autres. Il précise en effet que "la mesure de fermeture d'un lieu de culte ne peut être prononcée qu'aux fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme et que les propos tenus en ce lieu, les idées ou théories qui y sont diffusées ou les activités qui s'y déroulent doivent soit constituer une provocation à la violence, à la haine ou à la discrimination en lien avec le risque de commission d'actes de terrorisme, soit provoquer à la commission d'actes de terrorisme ou en faire l'apologie". 

A partir de ces principes, le Conseil d'État s'est efforcé d'exercer un contrôle de proportionnalité réel sur les mesures de fermeture des lieux de culte. Il apprécie donc les circonstances qui les ont motivées de manière détaillée. Dans une ordonnance du 22 novembre 2018, il justifie ainsi la fermeture du Centre Zahra à la Grande Scynthe par la tenue de "prêches, de propos tenant à légitimer le djihad armé, s'accompagnant d'un endoctrinement de la jeunesse". Le contrôle se précise ensuite dans l'ordonnance du 25 novembre 2020 Fédération musulmane de Pantin. La fermeture de la mosquée de Pantin est alors justifiée par deux éléments. D'une part, est mentionnées la violence des prêches, la pratique radicale de l'imam ainsi que sa polygamie religieuse et ses choix éducatifs. D'autre part, il est également reproché aux responsables de la mosquée, et c'est sans doute l'élément essentiel de la décision, d'avoir laissé diffuser sur le compte Facebook le nom et les coordonnées de Samuel Paty ainsi que des messages violents faisant l'apologie d'un islam radical.

 

Notes blanches et contrôle de proportionnalité

 

La lecture de l'ordonnance du 26 avril 2022 révèle une situation bien différente. La motivation de la décision de fermeture fait état d'accusations moins précises. La préfète se réfère ainsi à l'accueil d'imams "connus pour leur appartenant à la mouvance islamiste" et à des "messages incitant au repli identitaire" et invitant les fidèles à méconnaître les lois de la République. De même, la mosquée est-elle accusée de diffuser, "sous couvert d'un soutien au peuple palestinien", des "publications antisémites et haineuses à l'égard d'Israël". De même, est-il fait état de propos favorables à l'assassinat de Samuel Paty par "un groupe de jeunes fidèles".

Le juge des référés mentionne clairement qu'une bonne part de ces informations viennent de "notes blanches" produites par les services de renseignement. En soi, ce n'est pas illégal. Dès un arrêt du 7 mai 2015, le juge des référés du Conseil d'Etat avait admis l'expulsion d'un Algérien, des "notes blanches" faisant état de sa radicalisation et de sa présence injustifiée auprès de différentes synagogues. Dans une ordonnance du 11 décembre 2015, ce même juge, intervenant cette fois à propos d'une assignation à résidence intervenue sur le fondement de l'état d'urgence, a ensuite posé un principe général, selon lequel "aucune disposition législative ni aucun principe ne s'oppose à ce que les faits relatés par les " notes blanches " produites par le ministre, qui ont été versées au débat contradictoire et ne sont pas sérieusement contestées par le requérant, soient susceptibles d'être pris en considération par le juge administratif".

En l'espèce, ce ne sont pas les notes blanches qui posent problème, mais le fait que les comportements relevés par la préfètes ne peuvent que difficilement être qualifiés en termes d'incitation ou de provocation au terrorisme. Il n'est pas établi que les prêches des imams actifs à Pessac encouragent la haine ou la violence. Quant aux propos tenus par des "jeunes fidèles" ou des intervenants sur internet, il n'est certes pas contesté qu'ils puissent inciter au repli identitaire, voire contenir des propos antisémites. Mais le juge précise qu'il ne faut pas confondre les responsables de la mosquée et les fidèles, d'autant que précisément les imams, informés des menaces de fermeture, se sont hâtés de mettre en place un système de modération de la page Facebook de la mosquée. 

De tous ces éléments, le juge des référés, confirmant la décision du juge bordelais, déduit que la mesure de fermeture était disproportionnée et portait une atteinte excessive à la liberté de culte. Cette décision témoigne de la vigilance du juge pour protéger les libertés, mais aussi, finalement, d'une certaine efficacité du dispositif mis en place par la loi du 24 août 2021. En effet, on s'aperçoit que la menace de fermeture suffit, en l'espèce, à susciter un changement d'attitude des responsables de la mosquée. Se sachant surveillés, ils ont tendance, eux aussi, à mieux surveiller leurs fidèles. C'est déjà un progrès en soi.

 

 

Sur la fermeture des lieux de culte : Chapitre 10 Section 2 § 2 A  du Manuel


 

 

 

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