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lundi 10 janvier 2022

Joint-Venture dans le cannabis


Dans sa décision QPC du 7 janvier 2022, Association des producteurs de cannabinoïdes, le Conseil constitutionnel donne, pour la première, la définition juridique de la notion de "stupéfiant". Peut-être qualifiée ainsi une "substance psychotrope qui se caractérise par un risque de dépendance et des effets nocif pour la santé". A dire vrai, cette définition semble relever du simple bon sens et ne pas devoir donner lieu à des débats très vifs.

Le plus surprenant réside cependant dans le fait que le Conseil constitutionnel soit conduit à apprécier la définition du stupéfiant, appréciation qui devrait plutôt appartenir aux scientifiques. Mais le cannabis est actuellement l'objet d'un débat qui dépasse le seul espace scientifique pour pénétrer dans le champ politique. Les producteurs de cannabinoïdes et de chanvre ainsi que les industries pharmaceutiques veulent aujourd'hui commercialiser la molécule de cannabidiol (CBD). Celle-ci est présentée comme non psychotrope, et ayant des effets relaxants. 

Ce lobby doit donc, pour arriver à ses fins, faire évoluer le droit français, et il faut reconnaître qu'il y parvient, à petits pas, devant le pouvoir réglementaire. En revanche, il se heurte à une difficulté réelle devant le Conseil constitutionnel.


Le lobby et le pouvoir réglementaire


A l'origine en effet, la règle juridique lui était très défavorable. Elle interdisant la production et la vente des produits issus du cannabis, avec une seule dérogation possible issue d'un arrêté du 22 août 1990, lorsque le taux de molécule active ne dépassait pas 0, 2 % et que l'usage du chanvre était limité aux fibres et aux graines. Or, précisément, la molécule de CBD exige l'exploitation de la plante entière. Les industriels désireux de commercialiser le CBD ont donc engagé un contentieux pour obtenir l'abrogation de cette législation.

A la suite d'une question préjudicielle, ils ont obtenu de la Cour de justice de l'Union européenne une décision Kanavape du 22 août 1990. Elle considère que, en l'état des connaissances scientifiques, le CBD n'est pas un produit stupéfiant. Elle en tire pour conséquence que le principe de libre circulation est applicable à ce produit un peu particulier. A ses yeux, la législation français porte donc atteinte à cette libre circulation. Appliquant cette jurisprudence, la Cour de cassation a donc considéré, dans un arrêt du 23 juin 2021, que le CBD pouvait être vendu en France s'il était légalement produit dans un autre État de l'Union européenne. C'était évidemment insuffisant pour les producteurs, puisque la décision permettait la commercialisation mais pas la production de la molécule.

Quoi qu'il en soit, les autorités françaises ont finalement rédigé un nouvel arrêté du 30 décembre 2021. Il accepte de considérer que le CBD  peut être cultivé et vendu. En revanche, il restera interdit de dépasser le seuil de molécule active 0, 3 %. 

 


 Viva Zapata, que viva Marijuana. Renaud. 1994

 

Le lobby devant le Conseil constitutionnel

 

La demande de QPC a été formulée devant le Conseil d'État, à l'occasion d'un recours dirigé contre le refus d'abrogation de l'arrêté de 1990. Le renvoi au Conseil constitutionnel date ainsi du 18 octobre 2021, deux mois avant la publication du nouvel arrêté. Cela ne signifie pas que la QPC soit désormais dépourvue d'intérêt, loin de là. Il s'agit en effet, pour le lobby des producteurs et vendeurs de CBD, de faire sortir cette substance de la liste des produis stupéfiants.

La QPC est dirigée contre trois dispositions législatives du code de la santé publique, les articles L 5132-1, L 5132-7 et L 5132-8.  Elles classent les "substances stupéfiantes" et les "produits psychotropes" parmi les "substances vénéneuses". Différents arrêtés opèrent ensuite un classement de ces substances selon le type de danger qu'elles représentent, et des décrets en Conseil d'État peuvent prendre toute une série de prohibitions, comme l'interdiction de leur prescription ou de leur intégration dans des spécialités pharmaceutiques. 

Cette fois pourtant, le lobby de la CBD n'obtient pas satisfaction. Il invoquait devant le Conseil l'imprécision des dispositions du code de la santé publique, le principe d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi étant qualifié d'objectif de valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel. Dans une décision du 28 décembre 2011, celui-ci affirme ainsi que ce principe impose au législateur l'adoption de "dispositions suffisamment précises et de formules non équivoques".

Dans le cas présent, le Conseil estime que la notion de stupéfiant est pleinement définie à travers deux critères, le risque de dépendance et les effets nocifs pour la santé. En incluant les "substances stupéfiantes" et les "produits psychotropes" parmi les "substances vénéneuses", le législateur n'a donc pas adopté de dispositions imprécises. Rien ne lui interdisait ensuite de confier au pouvoir réglementaire le soin de dresser la liste de ces substances illicites. Cette opération est d'ailleurs réalisée en fonction de l'état des connaissances scientifiques et médicales, et sous le contrôle du juge administratif.

Le lobby du CBD se heurte donc à un refus du Conseil constitutionnel, qui n'évoque même pas la question de la liberté d'entreprendre et se limite à affirmer que les dispositions contestées "ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit"
 
Mais ce n'est qu'un demi-échec pour le lobby, car le Conseil constitutionnel lui indique tout de même la voie à suivre pour faire évoluer le droit. Il lui faudra en effet montrer que le CBD n'implique aucune dépendance et est dépourvu d'effets nocifs pour la santé. Soyons assurés que les professionnels du secteur ne feront pas chanvre à part dans ce combat. Ils bénéficient en effet du soutien actif des consommateurs de cannabis dit récréatif qui aspirent à une légalisation de leur produit favori. Assistera-t-on à une Joint-Venture entre les marchands de CBD et les baba cool consommateurs de haschisch ?



 

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