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mardi 28 décembre 2021

Le projet de loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire


Le projet de loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique a été déposé à l'Assemblée nationale le 27 décembre 2021 par le Premier ministre, immédiatement après son adoption en conseil des ministres, accompagné de l'avis du Conseil d'État demandé par l'Exécutif. Le texte sera débattu selon la procédure accélérée, ce qui signifie qu'il n'y aura qu'une seule lecture à l'Assemblée nationale et au Sénat.

Nous sommes donc dans l'urgence, mais pas tout à fait. Il ne s'agit pas en effet de mettre en oeuvre l'état d'urgence sanitaire dont on se souvient qu'il fut initié par la loi du 23 mars 2020, prorogée jusqu'au 10 juillet 2020. Ensuite, une seconde période d'état d'urgence est intervenue avec la loi du 14 novembre 2020, prorogée jusqu'en juin 2021. L'exposé des motifs de l'actuel projet de loi pourrait laisser envisager un troisième état d'urgence, tant il insiste sur l'importance de l'actuelle reprise épidémique et sur les tensions du système de santé. Mais la période n'est pas seulement épidémique, elle est aussi électorale. Pas question donc de revenir à l'état d'urgence sanitaire, sauf à La Réunion où la situation est particulièrement grave. Sur le reste du territoire, il convient de limiter autant que possible la circulation du virus, sans limiter celle des vacanciers du réveillon de la Saint-Sylvestre.

L'actuel projet de loi se présente donc comme un texte d'adaptation de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, déjà modifié à deux reprises par les lois du 5 août et 10 novembre 2021. Rédigé très rapidement, il est extrêmement concis et ne comporte que trois articles. 

Écartons d'emblée l'article 3 qui se présente comme une sorte de cavalier législatif. Conformément à la décision QPC rendue par le Conseil constitutionnel le 4 juin 2021, il établit un contrôle systématique du juge de la liberté et de la détention (JLD) sur les mesures d'isolement et de contention dans les services psychiatriques hospitaliers. Ce contrôle doit s'exercer avant la 72è heure, si l'état du patient nécessite le renouvellement de cette mesure. Rien à voir avec la Covid-19, et il s'agit seulement d'utiliser un support législatif qui apparaît fort opportunément, le Conseil constitutionnel ayant reporté l'abrogation de la mesure contestée au 31 décembre 2021.

On peut aussi être bref sur l'article 2 qui autorise les services préfectoraux à utiliser le fichier SI-DEP pour assurer le suivi et le contrôle des mesures de placement en isolement ou en quarantaine. Il s'agit du fichier dans lequel sont saisis les résultats des tests et vaccinations. Comme tous les fichiers de données personnelles, l'usage de celui-ci est soumis à un certain nombre de contraintes qui doivent être respectées. Le projet de loi se borne à ajouter une nouvelle finalité au fichier et à permettre aux agents d'accéder aux données strictement nécessaires à leur mission. Cette disposition relève du droit commun des données personnelles.


Du "passe sanitaire" au "passe vaccinal"


Reste donc l'article 1er, le seul qui soit réellement important. Il modifie la loi du 31 mai 2021, en transformant le "passe sanitaire" qu'elle prévoyait en "passe vaccinal". L'accès aux activités de loisir, de restauration, de foires et salons sera donc désormais subordonné à la présentation de ce nouveau justificatif de statut vaccinal. Il s'appliquera aussi à l'accès aux établissements de santé pour les visiteurs et les accompagnants, mais évidemment pas aux "cas d'urgence", c'est-à-dire aux patients. Il s'appliquera enfin aux transports interrégionaux, là encore "sauf en cas d'urgence". Quant aux grands centres commerciaux, l'exigence du "passe vaccinal" sera décidée, au cas par cas, par le préfet.

Le simple résultat d'un test ne sera donc plus suffisant pour accéder à ces activités. Le Conseil d'État, dans son avis sur le projet de loi, rappelle cependant que la loi du 31 mai 2021 autorise le Premier ministre à subordonner l'accès à certains lieux à la présentation d'un test négatif. Il appartiendra en outre aux décrets d'application de prévoir le recours à un certificat de rétablissement pour les personnes ayant été récemment atteintes par la maladie, ou à une attestation mentionnant une contre-indication au vaccin et le Conseil d'État insiste sur la nécessité de prévoir l'usage de ces documents. Le projet de loi offre ainsi un nouvel instrument qui ne fait pas disparaître les anciens. Il appartient dès lors au gouvernement de choisir les mesures de police sanitaire les mieux en mesure de répondre à la nécessité.

Dans son avis, la formation administrative du Conseil d'État rappelle qu'il appartiendra à la formation contentieuse du Conseil d'État d'apprécier la proportionnalité aux nécessités de la lutte contre l'épidémie de ces mesures qui constituent nécessairement une ingérence dans les libertés des personnels. Le Conseil constitutionnel a lui-même affirmé ce principe dans sa décision du 13 novembre 2020. Dans le cas présent, la même formation administrative précise même à ses camarades de la formation contentieuse les éléments de langage juridiques qui pourront être utilisés, afin de justifier cette proportionnalité Elle développe ainsi une analyse contextuelle que l'on retrouvera certainement dans les futures décisions de référé, insistant sur le taux d'incidence très élevé de la maladie avec la variant Omicron et le fait que la vaccination perde un peu de son efficacité face à ce nouveau variant.

 


 Asterix et la Transitalique. Jean-Yves Ferri et Didier Conrad. 2017

 

L'application du "passe vaccinal" à certaines professions

 

Comme le passe sanitaire, le "passe vaccinal" pourra être exigé dans certaines professions, sous peine d'une suspension du contrat de travail, s'accompagnant d'une interruption de la rémunération. Ce type de mesure, concernant le passe sanitaire, a déjà été déclaré conforme à la Constitution par la décision rendue le 5 août 2021.

Une nouvelle fois, le Conseil d'État, dans son avis, refuse de considérer l'obligation de détenir un "passe vaccinal" comme une obligation vaccinale, refus qui va certainement décevoir les opposants à ces documents car il s'agit de l'un de leurs arguments essentiels. Le Conseil reconnaît toutefois qu'il s'agit d'"établir une contrainte conduisant la plupart de ces personnes à se faire vacciner". Cette contrainte le conduit à déduire que le "passe vaccinal" doit être soumis aux mêmes règles de procédure que l'obligation vaccinale, notamment en ce qui concerne la saisine pour avis de la commission nationale de la négociation collective. Il observe toutefois que les règles de suspension du contrat de travail ne sont pas modifiées par le nouveau texte et qu'il n'est donc pas utile d'effectuer une nouvelle saisine.

Dès lors que le passe vaccinal ne s'analyse pas comme une obligation vaccinale, le Conseil d'État rappelle qu'il n'est pas nécessaire d'appliquer la jurisprudence issue de l'arrêt du 7 juillet 2004, ministre de l'Intérieur c. B., qui précise que l'obligation vaccinale ne peut être imposée à des professionnels que par la loi. Le pouvoir réglementaire demeure donc compétent pour définir le champ d'application de cette obligation.

 

Le contrôle du "passe vaccinal"

 

Le projet de loi permet aux personnes chargées du contrôle, tant du passe sanitaire que du nouveau "passe vaccinal" de demander, en cas de doute sur ces documents, la présentation d'une pièce d'identité. Une telle disposition a déjà suscité une levée de bouclier des professionnels, notamment dans le domaine de la restauration, qui estiment qu'ils ne sont pas compétents pour effectuer un contrôle d'identité.

Dans son avis, le Conseil d'État écarte rapidement cette objection. Il est vrai que ces mêmes professionnels ne se plaignent pas de contrôler l'identité de leurs clients lorsqu'ils paient par chèque ( art. L 131-15 du code monétaire et financier), lorsqu'ils vendent des boissons alcoolisées ( Art. L 3342-1 du code de la santé publique), lorsqu'ils font entrer un joueur dans un casino ( art. R 321-27 du code de la sécurité intérieure) etc. La liste est loin d'être close, et aucun principe constitutionnel ou conventionnel ne s'oppose à un tel contrôle. Dans une ordonnance du 30 août 2021, le juge des référés du Conseil d'État a même jugé qu'un tel contrôle n'emportait aucune atteinte à la vie privée, dès lors qu'il se bornait à mentionner l'identité de la personne.

De la même manière, le projet de loi ajoute aux infractions pénales déjà définies par le texte du 31 mai 2021 la détention de documents, passe sanitaire ou vaccinal, falsifiés. Le détenteur sera donc puni de la même peine que celui qui aura fabriqué le faux document ou celui qui l'aura vendu ou donné, c'est à dire une peine pouvant aller jusqu'à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende. Bien entendu, conformément aux principes généraux du droit pénal, la preuve devra être faite que le détenteur du passe falsifié avait connaissance de son caractère frauduleux. 

Les deux articles du projet de loi ne constituent finalement que le prolongement des textes plus anciens, permettant le passage du passe sanitaire au passe vaccinal, et s'efforçant d'accroître l'efficacité des mesures d'isolement. 

La lecture de l'unique article utile du projet de loi est rapidement faite. Il n'en pas de même des 17 pages de l'avis du Conseil d'État. Mais ce texte est extrêmement instructif car il montre que la formation administrative du Conseil se livre à une véritable opération de déminage. Elle détruit ainsi successivement tous les arguments les plus fréquemment invoqués par les adversaires résolus du passe sanitaire, qui vont rapidement devenir des adversaires tout aussi résolus du passe vaccinal. Cela ne les empêchera pas de saisir le juge des référés d'une multitude de recours, mais ils vont sans doute devoir faire preuve d'imagination pour trouver d'autres arguments juridiques. Mais l'imagination n'est-elle pas la principale qualité des bons juristes ?


Sur l'état d'urgence sanitaire : Chapitre 2 section 2 § 1 du Manuel

 



2 commentaires:

  1. === LA COMEDIE DU PALAIS-ROYAL OU LA LIMITE DU RIDICULE ===

    Cet avis de la plus haute juridiction administrative, rendu dans la plus grande précipitation, constitue le fidèle reflet de trois maux qui résument son ADN. Ils peuvent être résumés en trois mots.

    - Confusion entre l'activité de conseil et de jugement de la même structure alors que son vice-président vantait, il y a quelques semaines dans un long entretien au Magazine M du Monde, l'étanchéité entre ces deux fonctions à travers la parabole des deux escaliers. Chacun conduisant à l'une des deux sections concernées. Tout ceci est, à l'évidence, factice et ne fournit au justiciable aucune garantie d'un procès équitable.

    - Triangulation : le contrôle de proportionnalité est une vaste farce tant le Conseil - y compris dans le contrôle de pleine juridiction - se repose très largement sur les motivations du gouvernement ou de l'administration pour l'apprécier. Il ne procède à aucune instruction à charge et à décharge. En réalité, il s'agit d'un contrôle de façade. Les mots sont là comme des paravents d'une réalité moins reluisante. Le contorsionnisme juridique est une spécialité Maison.

    - Soumission : c'est peu dire que le Conseil d'Etat joue à la perfection son rôle "d'idiot utile" du gouvernement ou de l'administration en tordant les faits et le droit à sa guise pour parvenir au résultat souhaité. Comme le soulignait un avocat pénaliste devenu Garde des Sceaux, il y a le droit et surtout le tordu.

    Nous sommes au coeur de l'hypocrise inscrite dans le fonctionnement de cette comédie du Palais-Royal. Et dire que ses vice-présidents successifs tentent d'accréditer l'idée qu'elle serait la gardien naturelle des libertés publiques. Les tempétueux membres de cette noble institution ne sont en vérité que de simples hauts fonctionnaires respectueux du pouvoir. Rappelons qu'ils sont désignés par le vocable de "membres" du Conseil d'Etat et non comme magistrats ! Ce qui en dit long sur leur indépendance et leur impartialité...

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  2. Vous avez écrit "Il [le passe vaccinal] s'appliquera aussi à l'accès aux établissements de santé pour les visiteurs et les accompagnants, mais évidemment pas aux "cas d'urgence", c'est-à-dire aux patients." Pourtant, l'exposé des motifs du projet de loi, son dispositif et l'avis du CE vont dans un sens différent : pour l'accès à ces établissements, tant aux visiteurs qu'aux patients s'y rendant pour des soins programmés, l'auteur du projet de loi souhaite le maintien de l'état actuel du droit, c'est-à-dire qu'on reste sur l'exigence du passe sanitaire, lequel permet de se contenter de présenter un test négatif et n'oblige donc pas à se faire vacciner. Quant au cas d'urgence que vous évoquez, il ne concerne pas les soins sur RDV et permettra toujours un accès sans aucun passe.

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