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jeudi 12 août 2021

Contrôle technique des deux-roues : Mais où est passé le Premier ministre ?


Le 12 août 2021, le ministère des transports annonce officiellement que "le contrôle technique des deux-roues est suspendu sur demande d'Emmanuel Macron". Il aura duré vingt-quatre heures, le décret du 9 août 2021 le mettant en place et imposant son respect à partir du 1er janvier 2023 ayant été publié au Journal officiel le 11 août. Sa mise en oeuvre est donc repoussée aux calendes, le ministre étant invité à rencontrer les fédérations de motards « à la rentrée pour échanger largement sur les différents sujets les concernant". On ne doute pas que ces échanges dureront jusqu'aux élections présidentielles.

On pourrait évidemment se borner à constater une nouvelle fois la puissance des lobbys durant l'actuel quinquennat, les motards ayant réussi l'exploit d'obtenir la non-application d'un décret publié.  On pourrait aussi sourire en constatant que la presse quotidienne du même jour relaie d'autres propos, bien différents, du Président de la République. A la veille de a Cop 26, celui-ci invoque en effet une "écologie de gouvernement", invitant les États à sceller "un accord à la hauteur de l'urgence". On doit donc déduire que l'urgence n'est pas si grande, dès lors que la non application du décret conduit à laisser circuler sur les routes une grande quantité de véhicules polluants dont l'empreinte carbone devrait donner des allergies aux experts du Giec. 

Au-delà de ces questions de fond qui n'ont rien de nouveau, le problème posé est celui de la conformité au droit de l'intervention du Président de la République. On pourrait résumer la situation en affirmant qu'il ignore le droit de l'Union européenne et méprise souverainement la Constitution.

 

Le droit de l'Union européenne

 

Le contrôle technique des deux-roues est imposé par le droit de l'Union européenne. Une directive du 3 avril 2014 l'impose en effet pour tous les véhicules motorisés de deux et trois roues d'une cyclindrée supérieure à 125 cm3. Elle fixe au 1er janvier 2022 la date limite de mise en oeuvre de cette contrainte. Le décret publié le 11 août fixait déjà cette date au 1er janvier 2023, soit avec une année de retard par rapport à ce qu'impose le droit européen. Sept ans après les directive, il faut bien reconnaître que ses dispositions demeurent ignorées en France, alors même que les autres États de l'Union imposent depuis longtemps ce contrôle technique.

Rappelons tout de même qu'aux termes de l'article 260 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) les États sont non seulement tenus de transposer une directive dans leur ordre interne, mais ils sont aussi tenus de communiquer à la Commission les mesures qu'ils prennent pour assurer cette transposition. En cas de manquement à ces obligations, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) peut être saisie, et, éventuellement, condamner l'État réticent au paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte. Un premier recours en manquement a ainsi été accueilli dans un arrêt du 8 juillet 2019 dirigé contre la Belgique qui, en septembre 2017, n'avait pas engagé la transposition d'une directive de 2014 sur les réseaux de communication à haut débit. 

Si le droit de l'Union européen est traité avec négligence par le Président de la République, le droit constitutionnel, lui, est totalement méprisé.



Harley Davidson. Brigitte Bardot. 1968. Chanson de Serge Gainsbourg

 

La Constitution

 

Le décret du 9 août 2021 est évidemment l'expression du pouvoir réglementaire du Premier ministre. Il s'ouvre ainsi par cette formule : "Le Premier ministre, Sur le rapport de la ministre de la transition écologique (...)". Il s'achève par les signatures du Premier ministre Jean Castex, du ministre de la transition écologique Barbara Pompili et du ministre délégué chargé des transports Jean-Baptiste Djebbari. Le Président de la République ne signe pas ce type de décret, car il n'a pas été délibéré en conseil des ministres.

Le fondement de ce décret réside donc dans l'article 21 de la Constitution qui énonce que "sous réserve des dispositions de l'article 13, c'est-à-dire des décrets délibérés en conseil des ministres et co-signés par le Président, le Premier ministre "exerce le pouvoir réglementaire". L'article 22 affirme ensuite que "les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution". Ce contreseing des ministres les associe de manière symbolique à la décision, mais la seule signature du Premier ministre suffit à assurer la validité d'un texte réglementaire. En d'autres termes, le Président de la République n'est pas associé au pouvoir réglementaire ordinaire. 

Le plus amusant, mais est-ce vraiment amusant, est que le ministre délégué aux transports ne l'est pas beaucoup plus, sa signature étant une formalité non substantielle. Mais peu importe, c'est à lui qu'Emmanuel Macron s'adresse pour suspendre le décret... comme s'il était compétent pour le faire. En d'autres termes, le Président, incompétent en l'espèce, s'adresse à un ministre tout aussi incompétent. En revanche, le malheureux Premier ministre, le seul qui soit réellement compétent, n'est pas "dans la boucle". Le pauvre Jean Castex a été oublié dans l'affaire.

On pourrait évidemment conseiller au Président de la République de suivre quelques cours de droit constitutionnel, car ce n'est pas la première fois qu'il écarte purement et simplement la Constitution. Le professeur Serge Sur, invité de Liberté Libertés Chéries, citait déjà, l'intervention télévisée du 12 juillet dernier, dans laquelle Emmanuel Macron annonçait une batterie de mesures sanitaires, ajoutant : « Pour pouvoir faire cela, je convoquerai le parlement en session extraordinaire à partir du 21 juillet pour l’examen d’un projet de loi qui déclinera ces décisions". Le Président ignorait alors l'article 30 de la Constitution qui précise qu'il ne peut convoquer une session extraordinaire que sur proposition du premier ministre, déjà oublié dans l'affaire. Ajoutons qu'il violait aussi l'article 39 qui attribue l'initiative des lois au seul Premier ministre. 

Chargé de "veiller au respect de la Constitution" par l'article 5, le Président de la République l'ignore donc superbement, quand il l'entend et comme il l'entend. Tous ces manquements présentent le point commun de tout ramener à la personne du Président, de présenter la décision politique comme émanant de lui seul. C'est en outre une démarche pathétiquement électorale. Selon la formule de Sieyès, "L'autorité vient d'en haut et la confiance d'en bas".  Sacrifier l'autorité à la confiance risque de les perdre toutes les deux.

 


2 commentaires:

  1. Mmes/MM :
    Votre critique du totalitarisme de notre Président de la République est bienvenue.
    Concernant le CT des 2 roues, j'attire néanmoins votre attention sur 2 faits :
    1. L'Article 2.2 in fine de la Directive Européenne prévoit que le CT n'est pas obligatoire pour les motos si la sécurité routière est améliorée sur une période de 5 ans.
    2. Les intérêts des contrôleurs techniques & des vendeurs de motos neuves sont souvent mieux pris en compte par le gouvernement que ceux des motards.
    Cordialement.
    Pierre MARTEL
    Avocat sp. en droit fiscal & douanier au barreau de Grasse

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  2. Votre assimilation générale des 2 roues à des véhicules polluants relève de la malhonnêteté intellectuelle. D'une part ces véhicules ont en moyenne une cylindrée qui est le dixième de celle des automobiles, la cylindrée la plus courante étant 125 cm3. D'autre part le temps de trajet en 2 roues en agglomération doit être entre le tiers et le quart de ce qu'il est en automobile. Le 2 roues n'est donc pas une cause de la pollution de l'air, mais une solution à ce problème. Imaginez seulement ce que serait la circulation, et donc l'atmosphère en ville, si tous les usagers 2 roues étaient contraints d'utiliser une automobile, fût-elle à la norme Euro 5. Et relisez vos propos : il ne suffit pas de faire du juridisme pour traiter un problème de façon pertinente et utile.

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