Constitution : Un étrange gardien
Lors du Conseil des ministres du 13 juillet, le président de la République, Emmanuel Macron, a, selon la presse, rappelé qu’il était « le gardien des institutions ». Il faisait ainsi référence à l’article 5 de la Constitution, qui dispose qu’il « veille au respect de la Constitution ». Apparemment, il n’a pas lu son texte plus avant, voire a omis certains articles précédents, comme l’article 3 relatif à la souveraineté nationale. Si l’on examine même sommairement la pratique qu’il en développée de sa fonction depuis son élection en 2017, on peut en effet relever trois occurrences exemplaires où la Constitution semble avoir été oubliée ou méprisée par cet étrange gardien. Il évoque le fameux sabre de Joseph Prudhomme, qui était là pour défendre les institutions et au besoin pour les attaquer. Qu’on en juge.
Une « souveraineté européenne » ?
D’abord, lors du fameux discours de la Sorbonne du 26 septembre 2017 dans lequel il a développé sa conception de la construction européenne. A cette occasion solennelle il a appelé de ses vœux, et sans apparemment consulter personne, une « souveraineté européenne ». Qu’est-ce à dire ? La souveraineté est une notion juridique essentielle, qui signifie qu’un groupe à la maîtrise absolue de lui-même. Jusqu’à présent, seuls les Etats sont souverains et tous les Etats sont souverains. Il y a un lien indéfectible entre souveraineté et Etat. Le président Macron entend-il faire de l’Union européenne un super-état, avalant la souveraineté des Etats membres ? Si c’est le cas, il méconnaît doublement ses obligations constitutionnelles. D’une part parce que l’article 5 en fait le « garant… du respect des traités », et qu’aucun traité européen ne parle de souveraineté européenne. Tout au contraire, le traité de Lisbonne protège et défend « l’identité nationale », dont l’identité constitutionnelle est une composante. D’autre part parce que la Constitution déclare dans son article 3 que « la souveraineté nationale appartient au peuple ».
On voit mal comment le président de la République peut s’affranchir de ces principes pour en appeler à la dissolution de la souveraineté de l’Etat et de la nation dans un ensemble superétatique. Ceci alors même que le peuple français, en rejetant largement le projet de traité portant constitution de l’Europe en 2005 a démontré qu’il refusait cette logique. Or la souveraineté est ou n’est pas. Elle ne s’érode pas, elle ne se partage pas, elle ne se démultiplie pas, elle n’est pas exercée en commun. Les autres pays membres ont au demeurant ignoré ces envolées, et ce vocabulaire a été abandonné depuis lors. L’expérience a confirmé que la construction européenne était plutôt une variante du multilatéralisme, un sport de combat où chacun défend ses intérêts nationaux. Au fond, le président avait de l’Union européenne la conception que Madame Bovary se faisait de l’amour : immatérielle, transcendante et transgressive. Dommage que la transgression soit en l’occurrence celle de la Constitution, dont le gardien se ferait ainsi le liquidateur.
Tu parles trop
Eddy Mitchell et les Chaussettes Noires. Archives INA 1961
Le premier ministre et le parlement ignorés
Ensuite, tout récemment, dans son allocution télévisée du 12 juillet 2021, après avoir annoncé la prise d’une batterie de mesures d’ordre sanitaire, le président Macron a prononcé les mots suivants : « Pour pouvoir faire cela, je convoquerai le parlement en session extraordinaire à partir du 21 juillet pour l’examen d’un projet de loi qui déclinera ces décisions ». Merveilleuse formule qui ne contient pas moins de trois violations de la Constitution. La première, celle de l’article 30, puisque le président ne peut décider seul de convoquer le parlement. Il ne peut le faire que sur proposition du premier ministre, oublié en l’occurrence – on ne lui fait pas même l’aumône de le mentionner. Il pourrait aussi le faire sur proposition de la majorité des membres de l’Assemblée nationale. Mais au parlement on demandera à peine de débattre, puisqu’il s’agira d’avaliser des « décisions » déjà prises. Voici une deuxième violation, puisqu’il ne revient nullement au président de les arrêter, mais au parlement d’en délibérer et de les voter, puis au président de les promulguer. Troisième violation, c’est la référence à un projet de loi, puisque le président n’a pas l’initiative des projets de loi, qui aux termes de l’article 39 appartient au seul premier ministre.
Sans doute on sait depuis longtemps que le président a entièrement subordonné le gouvernement en dehors des périodes de cohabitation et qu’il est devenu lui-même premier ministre effectif depuis l’instauration du funeste quinquennat. Mais ignorer à ce point les apparences, rendre fantomatiques premier ministre et parlement dès lors que l’on dispose d’une majorité soumise n’est pas bon signe pour les institutions, oubliées ou méprisées. Et l’on s’étonne que les électeurs se détournent des consultations populaires, lorsque l’on méconnaît ainsi les résultats référendaires et que la Constitution, qui est un bien public national, est foulée aux pieds ! On a fait voter une loi contre le séparatisme. Un autre séparatisme contre lequel il faut lutter n’est-il pas celui qui oppose d’un côté le président aux institutions de l'autre ? Ne seraient-elles devenues qu’un chiffon de papier flottant au gré des décisions présidentielles ?
Justice : l’indépendance qui fâche
Un troisième exemple provient enfin des déclarations du président Macron lors du Conseil des ministres du 16 juillet. Il a rappelé, à propos de la perspective de mise en examen du Garde des Sceaux qu’il était le garant de l’indépendance de la justice, qu’elle était une autorité et pas un pouvoir, et qu’il ne la laisserait pas devenir un pouvoir. On voit mal en quoi cette distinction pourrait empêcher l’autorité judiciaire, qui applique la loi, de mettre quiconque, Garde des Sceaux ou pas, en examen. Elle est en l’occurrence sans pertinence. Soutenir l’idée qu’une mise en examen du Garde des Sceaux est réalisée dans le but de provoquer sa démission relève du procès d’intention ou de la confusion intellectuelle et juridique. Après avoir été confirmé dans ses fonctions, le ministre de la justice a dénoncé l’action des syndicats de magistrats en affirmant que leur seul but en portant plainte était d’aboutir à sa mise en examen : il n’est donc plus question d’un objectif de démission, et une mise en examen n’est-elle pas le but légal de toute mise en examen ?
La séparation des pouvoirs implique que chaque autorité s’exerce de façon autonome et aille jusqu’au bout de ses attributions – jusqu’au bout, mais pas plus loin. Les déclarations présidentielles, répercutées par la presse, ne peuvent s’analyser que comme une pression sur la justice, contraire à son indépendance. En outre, maintenir en fonctions un ministre contraint de déléguer une partie de ses attributions au premier ministre est-il conforme au « fonctionnement régulier des pouvoirs publics » que doit assurer le président ? On est à l’acmé du « en même temps » et du sabre de Joseph Prudhomme. Le président garantit l’indépendance de la justice, mais elle a intérêt à rester dépendante, sinon gare !
Cumulés, ces exemples parmi d’autres dénotent, non une dictature, mais une indéniable tentation autoritaire, le dédain des principes et procédures constitutionnels par celui qui devrait en être le gardien. Ce n’est plus le droit qui organise et guide les pouvoirs publics en dépit des déclarations, c’est, pour en revenir à Madame Bovary, un bovarysme de la volonté qui se heurte à l’incompréhension des sujets et à l’impuissance publique. C’est ainsi que, dès le lendemain des annonces décisionnaires du président le 12 juillet, les ministres se sont efforçés d’en retarder voire d’en écarter l’application. C’est ainsi encore que le débat parlementaire qui a suivi a souligné la nécessité de revenir sur diverses « décisions » annoncées. L’autoritarisme ne mène qu’à la confusion.
Serge Sur
Professeur émérite de l'Université Panthéon-Assas (Paris 2)
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